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«Y’a bon Banania» au front en 1914-1918 : «Les conséquences d’un flirt»

Pendant la Première guerre mondiale, les images ont joué un important rôle de propagande dans les deux camps. Replacées dans le contexte du conflit, certaines de ces images, comme «Le galant prisonnier… ou les conséquences d’un flirt», dessin du journaliste André Warnod, permettent aussi, de nos jours, de saisir sur le vif certains préjugés de l’époque.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
«Le galant prisonnier... ou les conséquences d'un flirt», dessin d'André Warnod.
Historial de la Grande Guerre - Péronne (Somme) et © communiqué par l'Historial de la Grande Guerre (André Warnod © ADAGP, Paris 2014)
«Le galant prisonnier... ou les conséquences d'un flirt», dessin d'André Warnod.
	Historial de la Grande Guerre - Péronne (Somme) et © communiqué par l'Historial de la Grande Guerre (André Warnod © ADAGP, Paris 2014)


Entre 1914 et 1918, la France a envoyé au front quelque 500.000 soldats venus des colonies. Parmi eux 130 000 «tirailleurs sénégalais», dont 30.000 ne sont pas rentrés. «L’adjectif sénégalais pèche par restriction : on avait enrôlé ces futurs soldats dans une zone géographique africaine autrement plus large que celle du seul Sénégal», observe le site Slate

Quoiqu’il en soit, le terme de «tirailleur sénégalais» continue à garder aujourd’hui une place à part dans la mémoire collective. Il évoque presque immanquablement le fameux chocolat Banania et la célébrissime publicité «Y’a bon Banania», inventée pendant le premier conflit mondial. Cette publicité représente un Noir avec un grand sourire, portant un fez (coiffe), la main gauche avec une tasse fumante, la main droite levée, s’écriant : «Y’a bon !». On peut y voir l’image caricaturale du «bon Noir», incapable de s’exprimer correctement en français, stéréotype des soldats coloniaux, alors très populaires dans l’opinion française pour leur ardeur aux combats.

Une image de pub. Une image d’Epinal, pourrait-on plaider. Mais qui résume les opinions et les préjugés des Français vis-à-vis des habitants de l’Afrique colonisée. Des habitants auquels la «Mère patrie», en manque de chair à canon, n’hésitait pas à faire appel. En échange, elle leur promettait de l’argent et d’acquérir la nationalité française à la fin du conflit. Cette dernière promesse a vite été oubliée après la guerre. Malgré les appels du député d’origine sénégalaise Blaise Diagne à honorer la «dette de sang».

Exemple parmi d’autres de ces préjugés : l’illustration du journaliste et critique d’art André Warnod (1885-1960), présentée en tête de cet article. Pendant le conflit, ce dernier fut emprisonné dans le camp de Mersebourg (Allemagne), où s’entassaient plus de 20.000 hommes, originaires de multiples pays. Il ramena de captivité quelques 400 dessins, qui témoignent du quotidien des prisonniers. Nombre de ces dessins furent par la suite publiés en feuilleton dans Le Figaro.

Parmi ces détenus figuraient aussi des Africains. Le premier dessin d’André Warnod présenté ici représente un détenu africain, habillé comme dans la pub de Banania, souriant à une caricature de (grosse) Allemande en Gretchen à nattes blondes. Laquelle est venue offrir une fleur et de la charcuterie ( !) au prisonnier, gardé par un soldat débonnaire en train de fumer. Une idylle est apparemment née entre le tirailleur et la femme. Dans le second dessin, le mari de la dame, un «casque à pointe», revient au pays. Et qui se précipite vers lui ? Un enfant noir qui croit voir rentrer son père… Commentaire du «casque à pointe», stupéfait: «Mein Gott !» («Mon Dieu !»). Lequel a donc devant lui la preuve vivante que sa femme a «fauté». Avec un Noir.

Humour de l’époque
Il faut évidemment se replacer dans le contexte de l’époque et voir là un trait d’humour, véhiculé par une image populaire dans l’opinion. Un trait d’humour de combat, destiné à ridiculiser l’ennemi. A travers ce type d’illustration, il s’agissait de «dénoncer l’adversaire et sa barbarie», explique le dossier de presse d’une exposition du musée Zadkine aux Arques (Lot) consacrée aux dessins d’André Warnod.
 
Dans celui du «galant prisonnier», on trouve là l’expression d’un préjugé vis-à-vis des peuples colonisés, assez fréquent à l’époque. Mais il ne s’agit en aucun cas de jeter l’opprobre sur l’auteur de l’illustration. Après guerre, André Warnod a défendu «l’Ecole de Paris» (expression qu’il aurait lui-même inventée en 1925). L’Ecole de Paris : une communauté d’artistes (tels Picasso, Modigliani, Chagall, Soutine…) venus de la planète entière qui, au début du XXe siècle, avait consacré la cité française comme capitale mondiale des arts, qualifiés de «métèques» sur fond de montée de la xénophobie.
 
Dans le même temps, en Europe, tout le monde n’était pas forcément d’accord avec l’écrivain François Mauriac (1885-1970), futur prix Nobel et grande figure de la décolonisation. Lequel expliquait que «les Nègres (sic) sont doux et mystérieux, très supérieurs à leurs officiers blancs qui les regardent comme des animaux»

Les clichés vis-à-vis des Africains sévissaient également dans le camp germanique. «Les Allemands redoutaient par-dessus tout les combattants noirs, les accusant de commettre des atrocités, de mutiler les hommes avec leur coupe-coupe», raconte Le Monde«Cette réputation sanguinaire est largement fantasmée. Elle sera après la guerre entretenue par la propagande nazie et alimentera le racisme anti-Noirs de la Wehrmacht, en 1940».

On trouve la trace de ces clichés dans les «images de combat» de la presse d’Outre-Rhin au cours du premier conflit mondial. Lesquelles se veulent, elles aussi, humoristiques.  Comme le dessin, signé d'un certain Werner Hahmann, dans le journal satirique berlinois Kladderadatsch, en date du 4 octobre 1914, quelques semaines après le bombardement de la cathédrale de Reims par l’armée allemande. On y voit un soldat noir, jugé sur l’édifice, en train de tirer avec un fusil, au milieu d’un fatras regroupant notamment la Vénus de Milo et la Joconde, œuvres majeures du Louvre, censés servir de bouclier aux Français. Avec ce commentaire : «Puisque la cathédrale de Reims leur a déjà servi de couverture, les rusés Français utiliseront bientôt le contenu du Louvre comme matériel de retranchement». Commentaire ou pas, comme aurait dit Napoléon, «un bon cliché vaut mieux qu’un long discours»
 

La publicité pour le chocolat Banania apposée sur différents objets du quotidien. (AFP - Photononstop - Henri de Gueltzl)

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