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Pourquoi l'Afrique est sous-représentée à la Coupe du monde de football

Avec environ un milliard d’habitants et 54 nations, l’Afrique n’a droit qu’à cinq représentants à la Coupe du monde de football… Un chiffre à comparer avec les 13 équipes qui représentent quelque 750 millions d’habitants et une cinquantaine d’Etats du continent européen. D’où vient une telle inégalité de traitement?
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
L'équipe de football du Maroc à la Coupe du monde 1970. L'Afrique a finalement obtenu cette année là une place en phase finale de la compétition.

Entre 25 et 30% des nations européennes ont droit à une place en phase finale de la Coupe du monde de football contre environ 10% des Etats africains. Telles sont les règles de la FIFA, l'ultra puissante Fédération internationale de Football Association, organisatrice de la compétition. Une situation qui vient de loin.

Au début était le football. Un sport né en Europe et qui s'est vite propagé en Amérique latine avant de devenir le spectacle mondialisé qu'il est devenu. Dans cette évolution, l'Afrique a sa propre trajectoire. L’histoire du continent africain explique en partie cette criante inégalité, même si la CAF (Confédération Africaine de Football) est née en 1957. De nombreux pays n’ont accédé à l'indépendance que dans les années 60. Il a ensuite fallu monter les structures et les équipements sportifs avant de penser rencontres internationales. Mais aujourd’hui, qu’est ce qui peut justifier cette différence de traitement?

Entre 1934 et 1970, pas une seule équipe africaine au Mondial
«C’est un rapport de force au sein de la FIFA», explique Loïc Ravanel, universitaire et chercheur au CIES (Centre international de recherche sur le sport de l’Université de Neuchâtel en Suisse. «Au départ, les participations au Mondial se font sur invitation. Ensuite, il y a toujours eu un débat entre le désir de maintenir un certain niveau de jeu et une représentation territoriale plus équilibrée.» Ce conflit est tranché par les puissantes fédérations européennes et sud-américaines qui font la politique du football mondial. 

Pourtant, la première participation d'une équipe africaine à un Mondial remonte à loin. En 1934, date de la deuxième compétition mondiale, l'Egypte participe à la Coupe du monde en Italie. La première Coupe du monde a eu lieu en 1930 en Uruguay. A l'époque, les participations se font sur invitation. Entre 1934 et 1970 pas une seule équipe africaine ne participe à une Coupe du monde.  

Places allouées aux différentes fédérations de football (continents) dans les Coupes du monde de football.  (Pascal Gillon et Loïc Ravenel )

Boycott de l'Afrique
En 1958, «le Soudan a préféré déclarer forfait par solidarité aux pays arabes que d’aller battre Israël. En 1962, le Maroc a trébuché sur la dernière marche, battu par l’Espagne (0-1, 2-3). En 1966, la CAF boycotte l’épreuve afin de protester contre la suffisance de la FIFA: une seule place pour l’Angleterre à répartir entre l’Afrique, l’Asie et l’Océanie… soit une seule place pour un tiers des équipes engagées dans les éliminatoires», raconte Afrik-foot.

Effectivement, «fait sans précédent, on assiste au seul boycott continental dont les causes ne sont pas politiques mais sportives. Les pays africains s’estiment brimés par la FIFA qui ne leur concède qu’un seul qualifié, et encore, puisqu’il doit affronter dans un ultime éliminatoire un pays issu d’un autre groupe continental» avant la compétition de 1966, racontent Pascal Gillon et Loïc Ravenel. La Coupe du monde 1966 en Angleterre fut donc marquée par une polémique sportive (lors de la finale) et par l'absence de tout pays africain, notamment sous l'impulsion de Kwame Nkrumah, le président ghanéen. La colère est payante puisqu'en 1970, l'Afrique obtient une place en phase finale.


Au fil des Coupes du monde, la situation évolue. Mais lentement. De 1970 à 1982, les Africains n’ont droit qu’à un seul représentant (sur les 16 finalistes). En 1982, la compétition se joue à 24 et les équipes africaines ont droit à un second représentant (un troisième en 1994, car le Cameroun a bien joué en 1990). Quand le Mondial passe à 32 équipes (comme aujourd’hui), l’Afrique bénéficie d'un cinquième représentant (six lors de la compétition en Afrique du Sud en 2010, en raison de la place attribuée d’office au pays organisateur).

Malgré ces améliorations, les disparités restent importantes. Pour les tenants du système actuel, les résultats des équipes africaines justifient la situation. «Si l’on prend en compte l’ensemble des équipes ayant accédé aux demi-finales de la Coupe du monde depuis sa création, on constate que ce sont presque tous de vieux pays de football. Les équipes africaines n'ont jamais dépassé les quarts de finale», note Loïc Ravanel.


Pourtant, le football africain a su enthousiasmer la compétition à plusieurs reprises avec des équipes comme l’Algérie en 1982 (éliminée par un accord entre les équipes allemande et autrichienne) ou des personnalités comme Roger Milla (qui a enchanté le Cameroun en 1990). 


Il est vrai cependant que la FIFA avait beaucoup mieux géré la question de l'apartheid en Afrique du Sud que le CIO. Dès 1964, l'Afrique du Sud avait été suspendue temporairement du football international avant d’en être exclue en 1976. L’Afrique du Sud revient dans la FIFA en 1992. Entre temps, l’apartheid est tombé. Puis en 2010, l'Afrique du Sud nouvelle obtient la Coupe du monde. Très paternaliste, la FIFA salue l'événement: «Si l’organisation de cet événement planétaire a été un véritable défi pour le peuple sud-africain, il a été relevé avec brio. Cette édition de la Coupe du Monde de la FIFA laissera, à n’en pas douter, une empreinte positive sur le continent africain dans son ensemble. Cette fête sera peut-être le début d’un avenir meilleur pour le berceau de l’humanité, sur les plans de la santé, de l’éducation et du football.»

Pourtant, depuis le Mondial sud-africain, «la CAF et son président Issa Hayatou tentent en vain de récupérer ce sixième strapontin», racontait RFI en 2015. Les évolutions dépendent donc des décisions de la FIFA où, un peu comme à l'ONU, tout dépend des rapports de force entre les fédérations et les alliances de circonstance. Sans compter que «ceux qui sont en bonne position veulent garder leur avantage», note Loïc Ravanel, en pensant aux confédérations européenne et sud-américaine. La FIFA devra choisir entre un équilibre géographique entre les continents et la qualité des équipes en jeu... A moins que les deux données finissent par se recouper. 

En Afrique, certains voient la chose d'un œil plus critique. «Quand on sait que la participation à une Coupe du monde donne droit à une importante manne financière, le football des pays européens et américains ne peut que se développer au détriment des pays africains. Ce, d’autant plus que cette manne va croissant au fur et à mesure qu’on avance dans la compétition. Or la probabilité pour que les représentants européens et américains aillent loin, et donc d’engranger plus d’argent, est beaucoup plus grande au regard de leur nombre», notait Ivoire Matin en 2017.

En attendant, en 2026, la Coupe du monde devrait se faire à 48 équipes (au lieu de 32 aujourd’hui) avec une proportion plus intéressante pour l'Afrique grâce à une nouvelle répartition. L'Afrique gagnera trois équipes avec 9 places directes. Mais l'Europe progressera aussi. De 13 équipes, elle passera à 16.

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