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Paludisme : quand la salive vient au secours de la recherche

Même avec des moyens insuffisants, la recherche sur le paludisme, maladie particulièrement active en Afrique, progresse. Alors que les personnels de santé ont un besoin crucial de nouveaux outils de détection et de prévention accessibles à tous, des chercheurs ont mis au point un test salivaire qui pourrait être utilisé d'ici trois ans.

Article rédigé par The Conversation - Isabelle Morlais
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L'anopheles funestus, l'un des principaux vecteurs du paludisme sur le continent africain. (CDC-GATHANY / PHANIE)

La Journée mondiale de lutte contre le paludisme est l’occasion de rappeler que ce fléau demeure l’une des maladies les plus meurtrières au monde, et que l’Afrique lui paye le plus lourd tribut. En effet, parmi les 435 000 décès liés au paludisme reportés en 2017 par l’OMS, 93 %, soit 403 000 morts, sont survenus sur le continent africain.

La « stratégie technique de lutte contre le paludisme » fixée par l’OMS vise à réduire d’ici à 2030 d’au moins 90 % le nombre de cas et de décès dus au paludisme. Cet objectif ambitieux est-il réalisable ? Difficile de le dire aujourd’hui. Dans l’avant-propos de l’édition 2018 du rapport sur le paludisme dans le monde de l’OMS, le directeur général de l’organisation, Tedros Adhanom Ghebreyesus, s’inquiète de ce que « nous ne sommes pas en bonne voie pour atteindre deux objectifs intermédiaires essentiels », la réduction de 40 % de l’incidence du paludisme et de la mortalité associée d’ici 2020, soit demain.

Au nombre des préoccupations figurent la hausse des cas rapportée dans les pays les plus durement touchés, et le niveau inadéquat d’investissement dans la lutte contre le paludisme.

Une chose est certaine, même avec ces moyens insuffisants, la recherche sur le paludisme progresse en suivant différentes pistes : lutte contre les moustiques vecteurs de la maladie, chimioprévention (traitements antipaludéens préventifs), traitements antipaludéens, recherche d’un vaccin. Sur le volet diagnostic, les personnels de santé ont un besoin crucial de nouveaux outils de détection précoce et de prévention accessibles à tous.

Pour y répondre, nous avons mis au point, avec nos collègues du Johns Hopkins malaria research institute et de la Faculté de Médecine et des Sciences pharmaceutiques de l’Université de Douala, un test salivaire. Ses premiers résultats, très encourageants, laissent espérer un déploiement dans les trois prochaines années.

Détecter les porteurs asymptomatiques

Cycle simplifié du développement de Plasmodium falciparum. I. Morlais/IRD, Author provided

Le parasite responsable du paludisme, Plasmodium falciparum, est transmis lors de la piqûre d’un moustique femelle, l’anophèle. Chez l’être humain, le parasite subit plusieurs phases de multiplication, d’abord dans les cellules du foie puis dans les globules rouges. C’est à ce stade que surviennent les symptômes de types grippaux : fièvres, céphalées et douleurs musculaires. Dans les zones d’endémie où les individus reçoivent des piqûres répétées, une immunité se met en place et les symptômes deviennent moins fréquents.

Sous l’action de stimuli encore mal connus, les trophozoïtes circulant dans le sang évoluent en formes sexuées, les gamétocytes. L’infection à ce stade est asymptomatique pour l’être humain, mais les personnes infectées constituent un réservoir de parasites : le Plasmodium au stade gamétocyte peut se développer chez le moustique et être transmis à d’autres individus. Il est donc essentiel de pouvoir identifier ces individus asymptomatiques afin de les traiter et stopper la transmission. Le test salivaire que nous avons développé pourrait constituer un outil de détection idéal.

Des traces moléculaires dans la salive

Les tests de diagnostic actuels exigent un prélèvement sanguin, ils sont réalisés à partir d’une goutte de sang prélevée au bout du doigt, qui est ensuite observée au microscope. Ces tests présentent plusieurs inconvénients : ils peuvent être traumatisants pour les enfants, et ils doivent être effectués par un personnel qualifié dans des structures de santé. De plus, ils ne sont pas toujours fiables lorsqu’il s’agit de détecter des infections submicroscopiques, c’est-à-dire pour lesquelles les parasites sont invisibles lors de l’observation de l’échantillon au microscope. Or ces infections sont fréquentes dans les zones d’endémie.

Pour toutes ces raisons, la salive pourrait constituer une meilleure source d’échantillons pour détecter les parasites. Ce fluide biologique contient en effet des protéines provenant du sang, lesquelles peuvent être utilisées comme biomarqueurs diagnostiques (un biomarqueur est une molécule dosable dans un liquide, dont la détection renseigne sur l’état de la personne). Le prélèvement de salive est simple, indolore et il ne nécessite pas de formation sanitaire spécialisée pour être réalisé. Afin d’évaluer la faisabilité de cette approche, nous avons collecté des échantillons de salive auprès d’une douzaine d’enfants dans des écoles au Cameroun.

Leur salive a été analysée grâce à des outils de pointe (par spectrographie de masse), ce qui nous a permis d’identifier une vingtaine de protéines liées au paludisme, dont la protéine PSSP17, spécifique des gamétocytes. Nous avons ensuite développé un prototype de test rapide de détection de cette protéine. Le test se présente sous la forme d’un dispositif médical similaire à un test de grossesse : une petite cassette contenant une bandelette imprégnée d’anticorps qui se lient à la protéine cible et permettent sa détection selon le principe de l’immunochromatographie.

Ce test est capable de mettre en évidence la protéine en moins de 20 minutes, à partir d’une gouttelette de salive de seulement 10 microlitres, soit un centième de millilitre. Nous avons employé notre prototype pour analyser 364 extraits de salive provenant d’enfants du Cameroun et de Zambie. Il s’est révélé aussi sensible que les tests de diagnostic moléculaire, qui sont basés sur l’amplification d’une séquence d’ADN du parasite et ne sont actuellement disponibles que dans des laboratoires de pointe.

Détecter les porteurs avant l’apparition des symptômes

L’objectif de notre étude est de détecter les infections ne présentant pas de manifestation clinique afin de les traiter, et de limiter ainsi la transmission du parasite. Il s’agit d’un enjeu de taille dans ces régions où la prévalence de la maladie est importante. En effet, au Cameroun où nous travaillons depuis plus de 15 ans, nous observons que plus de la moitié des enfants scolarisés sont des porteurs asymptomatiques.

Nos premiers résultats de test salivaire, très encourageants, nous laissent enfin l’espoir de pouvoir traiter tous ces enfants avant qu’ils ne développent des symptômes ou qu’ils n’infectent des moustiques. De nouveaux essais seront bientôt réalisés sur le terrain afin de valider le prototype de notre test et de permettre son déploiement à plus grande échelle en Afrique, d’ici trois ans.

Le but ultime est de sauver les populations les plus vulnérables, particulièrement les enfants en Afrique : plus de 70 % des décès imputables au paludisme concernent des enfants de moins de cinq ans.The Conversation

Isabelle Morlais, Directrice de Recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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