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Le gavage des nourrissons perdure au Cameroun
Le gavage des nouveaux-nés est une pratique ancestrale au nord du Cameroun. Il s’agit de forcer un enfant sans appétit à manger, afin de «lui donner des forces». Une pratique dangereuse qui peut être mortelle. Mais la tradition est tenace et, dans l’extrême nord du pays, où sévit Boko Haram, il n’est pas question d’abandonner ce rituel. Un reportage de l’AFP.
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Florence, jeune mère de 22 ans de Maroua, dans la région de l'Extrême-Nord du Cameroun, pince le nez de sa fillette âgée d'un an et demi et la force à avaler de la bouillie à l'aide d'une louche. Dans cette région, le gavage traditionnel des nourrissons consistant à leur faire absorber de manière régulière de l'eau chaude ou de la bouillie pour les rendre plus forts reste très répandu, en dépit du danger.
Assise sur un tabouret, Florence Gavaina pose à côté d'elle une assiette contenant de la bouillie de maïs. Elle déshabille alors sa petite fille, l'asperge d'un peu d'eau et la fait asseoir sur ses pieds, dos contre ses jambes et tête coincée entre ses genoux. A l'aide d'une louche taillée dans une calebasse, elle puise la bouillie, la verse dans le creux de sa main qu'elle colle près de la bouche de l'enfant. Pour l'obliger à ingurgiter la bouillie, elle lui pince le nez par intermittence.
«Quand elle bouche le nez du bébé, celui-ci respire difficilement, ce qui l'oblige à ouvrir sa bouche dans laquelle elle verse la bouillie», explique une voisine de Florence qui assiste au gavage. L'enfant se débat, pousse des cris, rejetant à chaque fois une bonne quantité de bouillie. Le gavage ne dure que quelques minutes et quand c'est fini, l'enfant semble soulagé.
Une pratique ancestrale
«Je fais ça tous les matins», affirme Florence Gavaina, mais certaines mamans le font au moins deux fois par jour. «Je la force parce qu'elle ne veut pas boire, elle n'a pas d'appétit, se justifie-t-elle. Selon la jeune mère, «ce n'est pas violent, c'est pour son bien, car elle doit manger pour prendre des forces et bien grandir. J'ai appris à le faire auprès de ma grand-mère, je la regardais faire lorsque j'étais toute petite», se souvient-elle.
Le gavage «est une pratique ancestrale transmise de génération en génération» et «ça ne va pas changer», soutient Rosalie Mbatbai, vieille femme de Maroua, chef-lieu de l'Extrême-Nord, qui dit avoir gavé ses cinq enfants. Ce n'est pas dangereux, assure-t-elle.
Les enfants sont généralement gavés à partir de trois mois et jusqu'à deux ans dans certains cas. Si le recours au gavage semble marginal dans les villes, il est très généralisé dans les campagnes, selon Henry Tourneux, chercheur français et co-auteur d'une vidéo sur ce mode d'alimentation des nourrissons.
Dans plusieurs localités, les mamans privilégient le gavage à l'eau chaude, y trouvant de nombreuses vertus présumées, selon un médecin canadien, Arnaud Buffin, auteur d'une enquête auprès d'un millier de femmes du nord du Cameroun.
10 cas mortels
A l’hôpital de Tokombéré où travaillait le médecin, la consultation des enfants a reçu 896 cas de broncho-pneumopathies en un an. Cent ont imposé une hospitalisation et 10 enfants sont décédés. 28 cas ont clairement été attribués au gavage. «Il paraît très probable que les fausses routes répétées favorisent l'inoculation de la muqueuse respiratoire par les germes de l'oropharynx. Le liquide employé, le plus souvent l'eau chaude qui n'est pas toujours bouillie, peut contenir également tous les germes du péril fécal.»
Ces femmes croient dur comme fer que «l'eau chaude ainsi donnée est indispensable à la vie, une longue vie, à la survie, à la bonne croissance de l'enfant; celui-ci pourra bien se développer, puis consolider ses os, muscles et articulations, marcher rapidement, lutter contre les maladies et la mort, résister à la noyade, guérir la plaie ombilicale, posséder la force et l'intelligence», énumère M.Buffin dans son enquête qui met en avant le danger du gavage.
«C'est une pratique qui, objectivement, s'apparente à de la maltraitance, mais qui n'est pas du tout faite dans une perspective de maltraitance», estime de son côté M.Tourneux. «Les mères qui procèdent de cette façon sont persuadées qu'elles font du bien à leurs enfants», dit-il. Henry Tourneux déplore qu'aucun des programmes de nutrition infantile menés dans le nord du Cameroun ne propose «éventuellement aux mamans des solutions de rechange» pour «la bonne alimentation du bébé, sans lui faire courir de risques».
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