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Côte d’Ivoire: la croissance économique ne retient pas les migrants

C'est l'un des paradoxes de la Côte d'Ivoire: alors que son économie est l’une des plus dynamiques d'Afrique, de plus en plus d'Ivoiriens se lancent à travers désert et Méditerranée vers l'Eldorado français. Explications.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
A Daloa (385 km au nord-ouest d'Abidjan en Côte d'Ivoire), plaque tournante de la migration vers l'Europe. (SIA KAMBOU / AFP)

La Côte d'Ivoire enregistre depuis 2011 une croissance moyenne annuelle de 8% et «devrait rester sur un sentier de croissance autour de 7 à 7,5% ces prochaines années», a estimé récemment la Banque Mondiale.
           
Mais le niveau actuel du revenu par habitant reste cependant inférieur à celui du début des années 80, avec un taux de pauvreté avoisinant 45%, contre moins de 10% à l'aube de ces mêmes années.

Malgré la récente embellie économique, les demandeurs d'asile ivoiriens en France ont été deux fois plus nombreux en 2017 (3745) qu'en 2016. La même année, 8753 migrants, âgés de 14 à 24 ans et partis de Côte d'Ivoire, sont arrivés en Italie, dont 1263 femmes et 1474 mineurs non accompagnés, selon le Centre de volontariat international (CEVI), une ONG italienne. La Côte d'Ivoire se place au 3e rang des pays d'Afrique de l'Ouest pour le nombre de migrants qui tentent de gagner l'Europe, après le Nigeria et la Guinée, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).

«On constate une stagnation des indicateurs sociaux due à une répartition inégale des fruits de la croissance», explique l'économiste démographe Gervais N'Da cité par l'AFP. Exemple: à Daloa (centre-ouest, à 385 km au nord-ouest d'Abidjan), considérée comme une plaque tournante de l'émigration clandestine vers l'Europe, «il n'y a pas d'emplois, pas d'usines d'envergure capables d'absorber le taux de chômage». La croissance économique ivoirienne est «tirée par le BTP et les investissements directs étrangers, sans grand impact sur l'activité économique locale, comme la création d'entreprises et de richesses», commente de son côté l'économiste Yves Ouya.
 
Le rôle des réseaux sociaux
Si les difficultés socio-économiques sont les principaux responsables du phénomène d'émigration massive, les réseaux sociaux contribuent à l'amplifier. «Ton compagnon de galère se retrouve après une traversée en Italie et met en avant sa réussite sociale (voiture, maison...) sur les réseaux sociaux. Alors rien ne pourra t'empêcher de l'imiter», explique Chérif Aziz Haïdara, responsable de la jeunesse communale de Daloa.
           
Pour lui, Facebook, WhatsApp, Messenger… ont participé à cet appel d'air pour l'émigration clandestine. Ils sont aussi utilisés par les réseaux de passeurs, une véritable nébuleuse bien organisée. «La filière ou le réseau est composé d'une vingtaine de personnes sans activités fixes. Ce sont parfois des jeunes du quartier, travaillant dans l'ombre et qui investissent le terrain pour démarcher les candidats», explique Edouard Bado, responsable d'une ONG à Daloa.
           
Ces passeurs ont également profité de la destruction, il y a quatre ans, du grand marché de Daloa, le Black Market, où travaillaient plus de 2000 jeunes comme artisans, commerçants, cordonniers et vendeurs. Grâce à ces petits métiers, ces jeunes engrangeaient chacun mensuellement près de 200.000 francs CFA (300 euros) de revenus, l'équivalent d'un salaire moyen dans la fonction publique ivoirienne.

Nou Hou, 17 ans (à gauche), venu de Côte d'Ivoire, et Aidu Keita, 16 ans (à droite), venu du Mali, dans l'enclave espagnole de Melilla le 7 décembre 2014.   (REUTERS/Juan Medina)

«Les passeurs ont vendu aux sinistrés du Black Market le rêve suivant: "Avec la somme de 800.000 à 1,5 million de FCFA (de 1200 à 2200 euros), je peux te faire émigrer vers l'Italie afin que tu changes ta vie!"», souligne Edouard Bado, dont l'ONG lutte contre l'émigration clandestine.
 
Le point de vue d’un chercheur
Pour le géographe Michel Foucher, le lien immigration clandestine-pauvreté n’est pas pertinent. Dans une étude rédigée pour la fondation Jean Jaurès, il observe que les Etats les plus pauvres du Sahel (Burkina, Niger, Tchad…) ne sont pas «les principaux points de départ» de migrants vers l’Europe. Ce sont «ceux de la région qui ont déjà atteint un certain niveau de développement (Sénégal, Côte d’Ivoire, Nigeria, Ghana) qui font (…) le choix de l’Europe».

«Dans le cas de la Côte d’Ivoire, des groupes font le lien entre des jeunes avec des problèmes économiques et sociaux, et l’Europe», a-t-il commenté pour Géopolis. Et d’ajouter: ces groupes «servent d’intermédiaires pour vendre du rêve européen. C’est une information fausse et biaisée, diffusée et achetée par des gens qui n’y auraient pas pensé avant. Avant, justement, au lieu de partir pour l’Europe, ils seraient partis pour Abidjan. On assiste là à une mondialisation par le bas. C’est un peu différent de ce qui se passe en Libye où l’on est confronté à une nouvelle forme d’économie de la traite.»

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