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Corruption islandaise pour des quotas de pêche en Namibie : l'affaire Fishrot bientôt jugée

La société islandaise impliquée, Samherji, dément tout lien dans la corruption dénoncée par son ancien directeur des opérations en Namibie.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Déchargement d'un bateau de pêche dans le  port de Walvis Bay, le plus grand port de Namibie. (OLEKSANDR RUPETA / NURPHOTO)

Le scandale éclate en novembre 2019, lorsque Wikileaks révèle que durant quatre ans, la société islandaise Samherji, l'une des plus grosses compagnies de pêche au monde, est au centre d'une vaste affaire de corruption en Namibie. L'affaire a été baptisée "Fishrot", comprendre "poisson pourri" ! En vertu de la loi namibienne, seules les entreprises détenues majoritairement par des Namibiens peuvent bénéficier de quotas de pêche dans les eaux nationales. La société islandaise Samherji, attirée par leurs eaux poissonneuses, va mettre en place tout un système de corruption afin d'obtenir une partie de ces quotas.

Le lanceur d'alerte, Johannes Stefansson, qui a fourni pas moins de 30 000 documents à Wikileaks, sait de quoi il parle. En tant que directeur des opérations de Samherji en Namibie, il est la pièce centrale de l'opération. Il va en révéler tous les mécanismes. 

Pourquoi cet intérêt pour la Namibie ?

Cet immense territoire du sud-ouest africain (825 000 km²) est très peu peuplé (2,6 millions d'habitants en 2020). En raison du désert du Namib, particulièrement hostile, qui longe la côte sur 1 500 kilomètres du Nord au Sud, la population vit au centre du pays (75% en zone rurale). Ainsi protégée de la pêche de subsistance, la réserve halieutique a longtemps été dense. Aussi, avec le développement de la pêche industrielle, les navires étrangers se sont de plus en plus intéressés à cette manne, délaissée par les autochtones.

Un chalutier échoué au nord du port de Walvis Bay en Namibie. Le désert du Namib qui longe la côte sur 1500 km rend le littoral particulièrement hostile à l'implantation humaine. (ALAIN MAFART-RENODIER / BIOSPHOTO)

"L'histoire de la pêche est marquée par une importante activité non contrôlée, et d'abord de la part des flottilles étrangères, ce qui a entraîné pratiquement la ruine de nombreux stocks", explique la FAO. Toujours selon la FAO, en 2000 année record, près de 600 000 tonnes ont été débarquées par plus de 300 navires de pêche.

Pour sauver la ressource, une législation plus restrictive imposant des quotas réservés aux seuls Namibiens a été mise en place. Afin de pouvoir pêcher, les navires étrangers devront battre pavillon namibien.

Des millions de dollars de pots-de-vin

Johanness Stefansson, pour le compte de sa société, dit-il, va se mettre à la tâche et "régionaliser" la flotte de pêche islandaise. Selon lui, son action est au départ très philanthropique. Il croit aux promesses de Samherji d'investir sur place.

Il lui faut d'abord faire passer la filiale locale de l'entreprise islandaise, Katla, sous pavillon namibien. Ainsi, elle pourra participer au mécanisme de distribution des quotas de pêche. Comme le monde est bien fait, le nouvel actionnaire majoritaire de Katla, Tamson Hatuikulipi, n'est autre que le gendre du ministre namibien des Pêches, Bernhard Esau.

Un atelier de conditionnement du poisson à Walvis Bay. L'usine traite chaque année 22 000 tonnes de merlu exportées vers l'Europe, les Etats-Unis et l'Australie. (OLEKSANDR RUPETA / NURPHOTO)

Une relation que Tamson Hatuikulipi va mettre à profit pour obtenir une partie de ces quotas. La répartition des prises de pêche relève d'un mécanisme particulièrement obscur, véritable tapis rouge déroulé à la corruption. Les dessous de table sont ajoutés aux "frais de quota". Des enveloppes sont alors versées, via des comptes off-shore, au parti présidentiel et à plusieurs hauts responsables et hommes d'affaires namibiens.

Des remords

Selon Johannes Stefansson, des centaines de millions de dollars ont ainsi été versés pendant quatre ans, avec la bénédiction du conseil d'administration de la maison mère, Samherji.

Sauf que les remords sont trop forts et Stefansson finit par dénoncer les agissements de son entreprise. "Je n'allais pas avoir cela sur ma conscience. Je n'allais pas faire partie d'un système trompant les habitants", confesse-t-il.

Samherji de son côté dénie toute implication dans l'affaire. "Samherji nie fermement que sa direction ait jamais voulu qu'une filiale se livre à des activités illicites, y compris la corruption ou le blanchiment d'argent, afin d'obtenir des avantages et réfutera rigoureusement toute autre allégation à cet effet."

Un énorme scandale

Mais localement, ces révélations font tomber des têtes. A commencer par celle du ministre des Pêches, Bernhard Esau, puis celle du ministre de la Justice, Sacky Shangala, qui sont contraints à la démission. Tous deux sont inculpés de corruption, de fraude et de blanchiment d'argent par les autorités namibiennes.

Au total, sept personnes sont poursuivies. Le PDG de Samherji, Thorsteinn Mar Baldvinsson, s'est un temps retiré avant de revenir à la barre de la société en mars 2020. La société a annoncé cesser ses activités en Namibie.

La Haute cour de justice de Windhoek siègera sur cette affaire à compter du 22 avril 2021. Quant aux autorités namibiennes, elles tentent de mettre en place un nouveau système d'attribution des quotas de pêche. Mais contraintes à la transparence, elles ont du mal à trouver un consensus entre les différentes parties prenantes.

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