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1903: Et si le Kenya était devenu l'Etat des juifs dont rêvait Theodor Herzl?
Le rêve fou de Théodore Herzl de construire un Etat pour les juifs est devenu réalité il y a exactement 70 ans. Pourtant, avant cela, le fondateur de l’idée sioniste a, un temps, envisagé d’installer cet Etat ailleurs qu’en «Eretz Israël». Ce fut l’objet du sixième congrès sioniste de 1903 avec l’idée d’installer les juifs qui le voulaient dans une terre de l’Empire britannique, le Kenya.
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Dans un contexte de montée des nationalismes en Europe, l’idée sioniste d'un Etat juif (le Judenstaat de Herzl) se développe chez certains juifs d’Europe. Et notamment chez Theodor Herzl, qui adopte cette idée après avoir été choqué par l’affaire Dreyfus qu'il a suivie comme journaliste. Le premier congrès sioniste a lieu à Bâle en Suisse en 1897. Hertzl y affirme: «Si je devais résumer le congrès de Bâle en un mot, ce serait celui-ci: à Bâle, j'ai fondé l'Etat juif (...). Peut-être dans cinq ans et certainement dans cinquante ans, chacun le saura.»
Le projet Ouganda
Mais l’histoire sioniste piétine et l'idée ne rencontre guère d'échos. Il ne se passe pas grand-chose après ce premier congrès et l’Empire ottoman qui domine le monde arabe, dont la Palestine, ne veut pas entendre parler de l’installation de juifs dans cette région (tout en abritant d'importantes communautés juives, à Salonique ou Constantinople). «Le Sultan veut bien ouvrir son empire aux juifs qui accepteraient la nationalité turque… mais la Palestine en sera exclue. La Compagnie judéo-ottomane pourra coloniser en Mésopotamie, en Syrie, en Anatolie, partout, sauf en Palestine! Une Charte sans la Palestine! J’ai refusé sur le champ», affirme Herzl.
En 1903, dans l'empire tsariste, des pogroms font des dizaines de morts, à Chisinau (aujourd'hui en Moldavie). Herzl estime urgent de trouver une solution pour les juifs de l'Est victimes de violences. Au même moment, les Britanniques cherchent à développer les terres qu'ils ont colonisées dans l'est de l'Afrique. Depuis 1895, le British East Africa Protectorate (qui prendra le nom de Kenya dans les années 1920) était administré par le Foreign Office britannique, mais le développement de la région stagnait en raison, selon eux, d'un manque de colons européens. En décembre 1902, Chamberlain, alors secrétaire des colonies britanniques, visite le protectorat. Il conçoit l'idée de l'offrir aux juifs et propose son idée à Herzl en avril, puis de nouveau en mai 1903.
Sir Clement Hill, surintendant des protectorats africains, écrivit que Chamberlain «serait prêt à recevoir favorablement l'établissement d'une colonie juive en Afrique de l'Est» Un territoire de quelque 15.500 km² dans le Kenya actuel. Une telle colonie juive aurait, selon la lettre, une autonomie locale, avec un «fonctionnaire juif en tant que chef de l'administration locale et une "main libre" en matière religieuse et domestique. Cette autonomie serait conditionnelle à ce que le gouvernement britannique "exerce un contrôle général"», raconte le journal israélien Haaretz.
C'est dans ce contexte qu'au sixième Congrès sioniste, le dimanche 23 août 1903, Theodor Herzl surprend les 600 congressistes en lançant son idée d'installer les juifs dans l'Est-africain, déclenchant une très vive polémique chez les sionistes. L'idée de Herzl fut connu sous le nom de «projet Ouganda», même si les terres visées se situaient plutôt dans ce qui sera le Kenya. Herzl ne voulait pas abandonner l'idée d'installer son Etat des juifs en Palestine, mais estimait urgent de trouver une terre d'accueil provisoire pour installer les juifs qu'il jugeait menacés. «Dans l’esprit du dirigeant sioniste, il ne s’agit nullement d’un projet de substitution à l’Etat juif en Eretz-Israël, mais d’une solution provisoire, contrairement à ce que ses détracteurs affirmeront», précise Pierre Lurçat.
L'idée de Herzl provoque une tempête dans le petit monde sioniste (sous les yeux de Trotski qui assiste au congrès comme journaliste) qui manque d'exploser. Malgré de vives oppositions, la proposition de Herzl est néanmoins adoptée par 295 voix contre 178.
Mission au Kenya
Une fois le projet voté, reste à le mettre en œuvre. Le Congrès a décidé d'envoyer une mission sur place pour vérifier sa faisabilité. Mais entre la mauvaise volonté d'une partie des sionistes et le manque de moyens, la mission a du mal à se mettre en place. Finalement, en 1905, une équipe d'enquêteurs un peu baroque part sur place.
Le 13 janvier 1905, la commission sioniste débarque dans le port de Mombasa, sur la côte kenyanne. Elle comprend trois personnes: le Major Alfred St Hill Gibbons, un Boer britannique, le naturaliste suisse Dr Alfred Kaiser, converti à l'islam, et Nachum Wilbuschewitz, un ingénieur russe, seul membre juif du groupe. «Bien que cela ressemble à une mauvais blague, ces trois hommes – un chrétien, un musulman et un juif – ont mené leur expédition en arpentant la putative patrie juive. Cette Nouvelle-Palestine devait s'étendre sur 70 miles d'Est en Ouest – du lac Flamingo de Nakuru au lac Victoria – et 145 km du Nord au Sud, du mont Elgon à l'équateur. La superficie totale était environ 6.300 miles carrés, environ», rapporte avec humour Adam Rovner, professeur de litterature anglaise et juive.
Après deux mois d'enquête sur le terrain, la mission fait son rapport au congrès sioniste. Les explorateurs sont divisés – Wilbuschewitz aurait été un agent des sionistes opposés à l'idée d'une colonie juive en Afrique – et présentent des rapports divergents. Le 22 mai 1905, le Greater Actions Committee, un sous-comité du Congrès sioniste, se réunit à Vienne pour examiner le rapport et vote à l'unanimité pour recommander au Congrès sioniste d'abandonner le projet. Le 7e congrès rejette donc l'idée... Il est vrai qu'entre temps, Theodor Herzl est mort (en 1904), miné, selon certains, par les divisions du mouvement.
Installation de familles juives
Si le «projet Ouganda» de Herzl est mort-né, quelques familles juives ont cependant choisi de s'installer dans la région. «Une poignée de familles juives, venues de Pologne et de Russie, fuyant les pogroms, prit cependant la route du Kenya à partir de 1904. Selon la synagogue de Nairobi, qui a fêté en 2012 son centenaire, la communauté compterait aujourd’hui autour de 150 membres», rapporte Le Monde. A l'époque, «Nairobi était un peu plus qu'un camp de chemin de fer au milieu d'un marais à grenouilles. Les colons vivaient dans des cabanes de tôle, cuisinaient leurs repas dans la rue et voyageaient en pousse-pousse», détaille l'Agence télégraphique juive qui raconte le succès de certains membres de cette communauté.
Mais ces juifs venus de l'Est ne seraient pas les seuls dans la région au début du XXe siècle. RFI raconte une histoire surprenante: «C'est à peu près à la même période qu'un chef de guerre de la région de Mbale (est de l'Ouganda), allié aux Britanniques, commence à prendre ses distances avec l'empire qui ne lui a pas accordé le royaume qu'il convoitait. Semei Kakungulu crée son propre mouvement religieux, qui suit en grande partie le rituel juif. A partir de 1919, il déclare que son mouvement – les Abayudaya – est "juif", et adopte le calendrier hébraïque.» Cette communauté s'est maintenue et «en 2002 a eu lieu une conversion officielle au judaïsme de quelque 400 Abayudaya par des rabbins conservateurs américains. Depuis, d'autres conversions ont eu lieu, et la communauté compterait aujourd'hui entre 1100 et 2500 personnes. Déclarés comme entité "reconnue" par l'Alliance juive, ils sont autorisés à faire leur Aliya (droit au retour) en Israël depuis avril 2016.»
Mais ces juifs venus de l'Est ne seraient pas les seuls dans la région au début du XXe siècle. RFI raconte une histoire surprenante: «C'est à peu près à la même période qu'un chef de guerre de la région de Mbale (est de l'Ouganda), allié aux Britanniques, commence à prendre ses distances avec l'empire qui ne lui a pas accordé le royaume qu'il convoitait. Semei Kakungulu crée son propre mouvement religieux, qui suit en grande partie le rituel juif. A partir de 1919, il déclare que son mouvement – les Abayudaya – est "juif", et adopte le calendrier hébraïque.» Cette communauté s'est maintenue et «en 2002 a eu lieu une conversion officielle au judaïsme de quelque 400 Abayudaya par des rabbins conservateurs américains. Depuis, d'autres conversions ont eu lieu, et la communauté compterait aujourd'hui entre 1100 et 2500 personnes. Déclarés comme entité "reconnue" par l'Alliance juive, ils sont autorisés à faire leur Aliya (droit au retour) en Israël depuis avril 2016.»
Aujourd’hui, cette région d’Afrique (Ouganda, Kenya) est sans doute celle qui est la plus ouverte dans ses relations avec Israël, après des épisodes tendus (Entebbe en 1976, Mombassa en 2002)... Mais les raisons de ces liens ne sont sûrement pas à rechercher dans cette histoire qui appartient plus à la mémoire du mouvement sioniste qu'à celle du Kenya.
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