Traite des enfants au Sénégal : "Une tragédie qui mérite d'être traitée en urgence absolue"
Franceinfo Afrique a recueilli le témoignage de Momar Fall, président de l’Association Les petites gouttes. Il dénonce la complicité de toute la société sénégalaise qui ferme les yeux sur la détresse des enfants-talibés maltraités..
Ils sont estimés à 100 000 par les experts indépendants du Comité des droits de l’homme de l’ONU, qui ont tiré la sonnette d’alarme début novembre 2019. Un chiffre effrayant, mais tout à fait crédible pour Momar Fall, président de l’association Les petites gouttes, qui leur apporte un peu de réconfort depuis cinq ans. Des Sénégalais de la diaspora et ceux vivant au pays se sont mobilisés depuis 2014. "Nous voulons apporter notre modeste contribution", explique Momar Fall, révolté par la détresse de ces milliers d’enfants, tombés entre les griffes de marabouts sans scrupules.
Ces enfants sont devenus comme des animaux qui errent. Ils vivent dans des abris délabrés et doivent remettre l'argent qu'ils mendient à leurs marabouts sous peine d'être punis. On a vu des cas où le marabout frappe l'enfant jusqu'à la mort
Momar Fall, président de l'association Les petites gouttesà franceinfo Afrique
Dans les écoles coraniques, où ils sont censés recevoir une éducation religieuse, des milliers d’enfants-talibés, âgés d'à peine cinq ans, sont forcés à mendier. Ils se lèvent à l’aube pour descendre dans la rue avec une mission bien précise : rapporter à leur maître des quotas journaliers d’argent sous peine d’être battus et parfois enchaînés en cas de refus.
"Les parents sont dans l’abandon"
"C’est une tragédie qui mérite d’être traitée en urgence absolue", confie à franceinfo Afrique la psychologue sénégalaise Aminata Mbengue. Malheureusement, constate-t-elle, l’Etat sénégalais "brille par son incompétence", tout comme les parents de ces pauvres malheureux, qui ferment les yeux sur la détresse de leurs propres enfants.
"Certains enfants n’ont pas de nouvelles de leurs parents depuis des années. Et s’ils fuguent pour retourner dans leur famille, certains parents les renvoient à leurs bourreaux. Les défaillances des parents entretiennent aussi cette traite. C’est tellement révoltant", s’insurge la psychologue sénégalaise. Elle décrit des enfants qui se retrouvent en bandes, en rupture familiale.
Des enfants qui se shootent comme pour se couper de la réalité. Comme pour s'anesthésier
Aminata Mbengue, psychologue sénégalaiseà franceinfo Afrique
Le président de l’Association Les petites gouttes, Momar Fall, explique à franceinfo Afrique que la paupérisation des campagnes sénégalaises a draîné un flot de plus en plus important de ruraux vers la capitale. Et avec eux, des marabouts peu scrupuleux, en quête d’argent facile, ont pris les enfants talibés en otages. Ils sont malmenés, privés de tout et finissent généralement à la rue. C’est là que Momar Fall et ses amis, tous bénévoles, vont les trouver pour tenter de les ramener à la vie.
"Nous leur apprenons à lire et écrire. Nous prenons en charge leurs soins de santé. Et au lieu d’aller mendier pour leurs repas de midi et du soir, nous avons mis en place un réseau de femmes dans les quartiers, où les enfants peuvent récupérer gratuitement leurs repas. Ça veut dire que le reste du temps, ces enfants restent dans les écoles coraniques pour apprendre le coran ou d’autres cours. Nous avons signé pour cela, une charte avec leurs marabouts", explique-t-il.
"Un mal chronique qui se nourrit de nos lâchetés"
Grâce aux cotisations des membres et aux dons des particuliers, son association suit aujourd’hui quelque 185 enfants-talibés répartis dans quatre écoles coraniques. Pour lui, il faut mettre fin à la politique de l’autruche pour sauver ces milliers d’enfants voués à la déchéance. Comment peut-on rester insensible face à une telle tragédie ?, lance Momar Fall à ses compatriotes. Il appelle les autorités sénégalaises à réglementer le fonctionnement des écoles coraniques et à faire respecter la loi qui interdit la mendicité des enfants. Et il n’est pas le seul à sonner la mobilisation générale. Sur les réseaux sociaux, de plus en plus de Sénégalais dénoncent "un mal chronique qui se nourrit de nos lâchetés et de nos hypocrisies".
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