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Au Rwanda, tout est fait pour oublier le génocide

Quand l’Occidental foule le sol rwandais pour la première fois, son regard cherche immédiatement les signes du génocide de 1994. En vain. Les impressions de Pauline Landais-Barrau, de retour de Kigali.
Article rédigé par Pauline Landais-Barrau
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le centre-ville de Kigali, depuis la colline de Gisozi. (Pauline Landais-Barrau)

En 1994, un des pires génocides de la fin du XXe siècle s’organisait au Rwanda. En moins de quatre mois, 800.000 hommes, femmes, enfants et vieillards ont été massacrés. Tutsis ou Hutus modérés. 20 ans après, ce qui frappe l’étranger de passage, c’est qu’à Kigali comme partout ailleurs dans le pays, il n’existe plus aucun signe des violences passées. Ni en milieu urbain, ni à la campagne. Ni dans la rue, ni dans la sphère privée. Exceptés les mémoriaux que chaque village possède, preuve que les Rwandais n’oublient pas malgré un mutisme généralisé.

Quelques lieux symboliques rappellent le génocide. Au mémorial de Gisozi, construit en 1999 à Kigali, 300.000 personnes sont inhumées dans 14 tombes communes. Un musée retrace les quatre mois de souffrances de la population. L’ambiance y est paisible, entre recueillement et méditation, très loin de la barbarie du génocide.
 
Se taire, ravaler sa colère... 
La capitale rwandaise, Kigali, ne cesse de s’étendre et le centre-ville est devenu un pôle économique et commercial en chantier permanent. Impossible aujourd’hui de s’y sentir en danger. Un sentiment de sécurité et de paix qui va de pair avec le développement.
 
Il faut dire que le nouveau gouvernement, celui de Paul Kagame, un Tutsi arrivé au pouvoir après la victoire du FPR (Front patriotique rwandais), a, de fait, très rapidement prôné la réconciliation. Avant de l’imposer carrément.


Au lendemain du génocide, beaucoup de Hutus ont fui vers le Burundi, le Congo, le Canada, la Belgique et la France. Certains hauts dignitaires, arrêtés au Rwanda ou à l’étranger, ont été jugés par le TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda), dont le siège se trouve à Arusha, en Tanzanie voisine. Quant aux autres, les exécutants, ils ont le plus souvent été pris en charge depuis 2001 par les gacacas (gatchatchas), des tribunaux populaires chargés de juger tous les présumés auteurs du génocide, à l’exception des planificateurs et des personnes accusées de viol.
 
Les Hutus qui ont avoué avoir participé aux massacres ont passé sept ans maximum en prison, avant de rejoindre leur famille. Et toutes les femmes qui ont pillé, volé ou profité d’une quelconque façon du génocide, n’ont jamais été condamnées. Une situation qui s’explique assez facilement : si toute la population se retrouve en prison, comment reconstruire un pays sans les forces vives qu’étaient les Hutus, le plus souvent agriculteurs ?
 
Quand aux Tutsis rescapés, on leur a demandé de se taire, de ravaler leur colère et de pardonner à ceux qui avaient tué et décimé des familles entières. Il a donc fallu pardonner à des voisins, parfois à des amis de longue date. Parce qu’Hutus et Tutsis vivent côte-à-côte au Rwanda depuis toujours. Ils habitent les mêmes villages, vont dans les mêmes écoles, parlent la même langue et partagent la même religion.
 
Physiquement, impossible de distinguer un Hutu d’un Tutsi. Il n’existe également aucune séparation ou ségrégation, ni dans les transports, ni dans les lieux publics, ni à la messe. D’ailleurs, rien ne les empêche de se marier ensemble, excepté le poids du passé. Désormais, les deux communautés semblent cohabiter à nouveau, comme avant.
 
Plus qu'un secret, un tabou
Personne n’aborde jamais le génocide. Ce n’est pas un sujet de discussion, ni de réflexion. Et il est recommandé de ne pas poser la question de savoir qui est hutu ou tutsi. Le sujet est d’autant plus tabou que les conséquences du conflit existent pourtant. Le viol a été utilisé comme arme de guerre avec à la clé transmission du sida et violence psychologique. Beaucoup d’enfants sont nés séropositifs. Quant au voyageur, il ne peut pas passer à côté des cicatrices, des balafres et des mutilations.
 
Manuel scolaire d'éducation civique rwandais (Edition Pearson)

A l’école primaire de Masaka, un village au sud de Kigali, il suffit de tomber sur un manuel d’éducation civique, à l’attention des élèves de primaire, pour comprendre que la paix n’est pas un simple mot de vocabulaire et que le gouvernement souhaite, tous les jours, rappeler aux Rwandais, que la réconciliation est indispensable au bon fonctionnement du pays. Dans plus de la moitié des pages du livre, il est rappelé à l’enfant de ne pas se battre, de vivre en harmonie avec son voisin et de régler tout conflit dans la paix. Dans ce même manuel, les enfants apprennent aussi à se protéger de la violence domestique, du viol et des maladies. Une réalité brutale pour de jeunes Rwandais qui n’ont jamais connu le génocide mais qui ne peuvent pas passer à côté de cette histoire nationale.

Élèves de l'école primaire de Masaka, tenue par une congrégation de sœurs pallottines.  (Pauline Landais-Barrau)

Et qui mieux que la jeune génération pour symboliser la concorde nationale. 42% de la population a moins de 15 ans et le taux de scolarisation à l’école primaire est de 98,7%. Une nouvelle génération instruite et éduquée, poussée vers les études supérieures pour sortir du carcan «agriculteurs contre éleveurs». Les Tutsis le disent eux-mêmes : ils ne pardonnent pas, ils avancent. Ils vont de l’avant, conscients qu’ils ne pourront pas vivre éternellement dans la peur de l’autre.
 
L’Etat l’a voulu, à coups de campagne de réconciliation. Forcée, certes. Mais inévitable pour le nouveau gouvernement qui souhaitait et qui souhaite toujours faire du Rwanda un pays à la pointe de l’écologie et des nouvelles technologies.
 
Depuis 2003, l’anglais est une des langues officielles du pays et est ainsi devenu sa deuxième langue, derrière le kinyarwanda, dialecte local, et devant le français, délaissé en raison de l’anglophilie de Paul Kagame et de son hostilité non cachée vis-à-vis de la France.

 
Aujourd’hui, le Rwanda est finalement un pays où il fait bon vivre et où l’insécurité n’est plus qu’un lointain problème. Mais si 1994 semble loin, le souvenir des victimes n’est pas près de quitter la mémoire collective.

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