Cet article date de plus de cinq ans.

L'article à lire pour comprendre les tensions autour de l'élection historique en République démocratique du Congo

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 12 min
Félix Tshisekedi, alors candidat de l'UDPS à l'élection présidentielle de la République démocratique du Congo, salue la foule lors d'un meeting à Kinshasa, le 21 décembre 2018. (LUIS TATO / AFP)

Le scrutin du 30 décembre n'a été remporté ni par le candidat désigné du régime de Joseph Kabila, ni par celui qui semblait être le favori de l'opposition, Martin Fayulu, mais par un autre opposant, Félix Tshisekedi, à la surprise générale. 

Certains n'imaginaient pas le dauphin de l'inamovible président Joseph Kabila s'incliner. D'autres croyaient l'affaire pliée en faveur de l'opposant Martin Fayulu. Mais c'est finalement le troisième homme de l'élection présidentielle en République démocratique du Congo (RDC), Félix Tshisekedi, qui a été déclaré vainqueur par la commission électorale, jeudi 10 janvier, à la surprise générale.

Son élection marque une alternance politique pacifique, inédite depuis l'indépendance de la RDC. Mais elle a immédiatement été mise en doute par Martin Fayulu, ainsi que par l'Eglise catholique, qui avait déployé 40 000 observateurs du scrutin. Certains s'interrogent désormais sur la possibilité d'un accord entre Félix Tshisekedi et le pouvoir, permettant de préserver l'avenir politique de Joseph Kabila malgré la lourde défaite de son camp. Alors que Martin Fayulu a demandé vendredi un recomptage des voix et revendiqué la victoire, franceinfo vous explique, en neuf questions, tout ce qu'il faut savoir sur ce scrutin et les doutes qu'il suscite.

C'est quoi, déjà, la République démocratique du Congo ?

La RDC, comme on l'appelle souvent, ne doit pas être confondue avec son voisin, le Congo-Brazzaville. Ancienne colonie belge indépendante depuis 1960, elle s'est appelé Zaïre sous le régime du général Joseph Mobutu, entre 1971 et 1997. Elle est aujourd'hui le quatrième pays le plus peuplé d'Afrique, avec une population estimée à 85 millions d'habitants en 2015. Sa capitale, Kinshasa, en compte près de 13 millions.

Situé en plein cœur de l'Afrique centrale, le pays est grand comme presque quatre fois la France, et son sol renferme des réserves importantes d'or, de diamants, de charbon ou encore d'uranium. Malgré cela, il est 176e sur 189 pays du monde quand on les classe par leur indice de développement humain, qui mèle le PIB, le niveau d'éducation et l'espérance de vie.

La RDC est le pays où est apparu le virus Ebola, et a connu dix épidémies, dont la dernière est toujours en cours. Elle est également rongée par des conflits armés, notamment dans l'est du pays. Une mission de maintien de la paix de l'ONU y est d'ailleurs déployée depuis 1999, la plus importante au monde en termes d'effectifs.

Quel est le régime au pouvoir ?

La République démocratique du Congo est dirigée depuis 1997 par la famille Kabila. Le père, Laurent-Désiré Kabila, a renversé le dictateur Mobutu, et réinstauré la république, avant d'être assassiné en 2001 par un de ses gardes du corps. Un de ses fils, Joseph Kabila, est choisi pour prendre sa suite. Vainqueur de l'élection présidentielle de 2006, il est réélu en 2011, l'emportant au second tour face à Etienne Tshisekedi, le père du président qui vient d'être élu. Un scrutin dont les résultats "manquent de crédibilité", juge alors la fondation Carter (en anglais), dont les observateurs dans le pays ont relevé de "sérieuses irrégularités".

Le président de la RDC Joseph Kabila vote à l'élection présidentielle qui désigne son successeur, le 30 décembre 2018 à Kinshasa. (LUIS TATO / AFP)

De nombreux opposants ont été poussés à l'exil par le régime de Joseph Kabila, accusé de réprimer brutalement la contestation politique. Selon l'ONG Human Rights Watch, les forces de sécurité ont tué près de 300 personnes entre 2015 et 2018 dans des manifestations pacifiques, et arrêté des centaines d'opposants. Joseph Kabila est également soupçonné d'avoir favorisé, par ses décisions économiques, son enrichissement personnel et celui de ses proches, comme l'illustrait en 2016 une enquête de Bloomberg (en anglais) sur les dizaines d'entreprises liées à des membres de sa famille.

Pourquoi cette nouvelle élection est historique ?

Des doutes ont existé jusqu'au dernier moment sur la tenue de ce scrutin. Joseph Kabila aurait théoriquement dû se retirer en décembre 2016, à la fin de son second mandat, la constitution congolaise lui interdisant d'en effectuer trois consécutifs. Mais les élections ont été repoussées plusieurs fois, déclenchant des manifestations parfois violemment réprimées, jusqu'à ce que la date soit fixée au 23 décembre 2018.

Le spectre d'une nouvelle candidature de Joseph Kabila a continué de planer jusqu'en août. Sous pression de la communauté internationale, il a finalement annoncé qu'il se retirait, et désigné son ancien ministre de l'Intérieur comme candidat du parti présidentiel. Cette élection était donc l'occasion de voir pour la première fois une alternance politique pacifique en RDC. Tous les prédécesseurs de Joseph Kabila au poste de président ayant fini tués ou renversés.

Qui étaient les principaux candidats en lice ? 

Le scrutin opposait 21 candidats, mais il s'est joué entre trois hommes, qui se sont partagés plus de 97% des voix. Le parti au pouvoir, le PPRD, avait désigné Emmanuel Ramazani Shadary, ancien ministre de l'Intérieur, frappé par des sanctions de l'Union européenne pour "violations des droits de l'homme" en raison de son rôle dans la répression de manifestations. Choisi pour éviter de faire de l'ombre à Joseph Kabila, il n'a jamais vu sa campagne décoller. Ce qui n'empêchait pas de nombreux observateurs de miser sur sa victoire, qu'elle corresponde ou non à la vérité du suffrage.

Face à lui, les principaux partis de l'opposition avaient désigné le 11 novembre un candidat commun, Martin Fayulu. "Ce n'était pas quelqu'un de connu" avant l'élection, explique à franceinfo Thierry Vircoulon, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l'Institut français des relations internationales (Ifri), mais "il est apparu comme le candidat qui attirait le plus l'attention, à la surprise de beaucoup". Bénéficiant d'une réputation d'homme intègre, il a reçu le soutien des deux principaux opposants à Joseph Kabila, Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, tous deux interdits de se présenter.

Des partisans du candidat d'opposition Martin Faluyu attendent son arrivée à Kinshasa, sur une route menant à l'aéroport de la capitale, le 21 novembre 2018, jour du lancement de sa campagne électorale. (JOHN WESSELS / AFP)

Mais le lendemain de la désignation de Martin Fayulu, Félix Tshisekedi, dirigeant du principal parti d'opposition, l'UDPS, a rompu l'accord sur un candidat commun, et a annoncé sa propre candidature. Fils d'Etienne Tshisekedi, opposant historique à Mobutu puis aux Kabila et mort en 2017, "il a surtout bénéficié de son nom de famille", estime Colette Braeckman, journaliste du quotidien belge Le Soir et spécialiste de la région. Dans un pays où "le débat idéologique est assez restreint, ce que la population souhaite, c'est surtout d'avoir un président moins corrompu, avec une fibre sociale", ajoute-t-elle. Tshisekedi a désigné comme son futur Premier ministre Vital Kamerhe, un ancien membre du parti de Joseph Kabila.

La campagne et le scrutin se sont-ils déroulés sans encombre ?

"Le climat général a été relativement calme", s'est réjoui la Conférence épiscopale nationale du Congo après le vote, malgré la mort de quatre personnes dans la région du Sud-Kivu. Mais l'approche du scrutin a été émaillée de nombreux rebondissements. Les deux poids lourds de l'opposition, Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, n'ont pas pu se présenter : le premier affirme avoir été empêché d'entrer dans le pays, et la candidature du second a été rejetée par la commission électorale.

L'opposition s'est ensuite inquiétée de l'utilisation inédite de machines à voter, qualifiées de "machine à frauder, à voler, à tricher". Puis, le 13 décembre, un incendie s'est déclaré dans un entrepôt à Kinshasa, détruisant une grande partie des bulletins et des machines destinés à la capitale : à cause de ce sinistre, le vote a été repoussé du 23 au 30 décembre dans tout le pays.

Le 26 décembre, à quatre jours du vote, la commission électorale a annoncé que le scrutin était repoussé dans les régions de Yumbi et Beni-Butembo, qui regroupent 1 256 177 électeurs, soit 3% des inscrits. La région de Yumbi a été le théâtre de violences communautaires qui ont fait 80 morts en décembre, et celle de Bini-Butembo est touchée par une épidémie d'Ebola, ainsi que par des tueries récurrentes de civils. Dans ces provinces, le vote aura lieu au mois de mars... bien après la prestation de serment du nouveau président. 

Pourquoi les résultats sont-ils contestés ?

Après dix jours de dépouillement, la Commission électorale nationale indépendante (Céni) a déclaré Félix Tshisekedi vainqueur de ce scrutin en un seul tour, avec 38,57% des voix, devant Martin Fayulu (34,8%), et le candidat du parti au pouvoir, Emmanuel Ramazani Shadary (23,8%). Martin Fayulu a immédiatement rejeté des résultats qui n'ont selon lui "rien à voir avec la vérité des urnes". 

Vendredi, son équipe de campagne a revendiqué une très large victoire, affirmant avoir recueilli 61,5% des suffrages contre 18,86% pour Felix Tshisekedi et 18,49% pour Emmanuel Ramazani Shadary. Martin Fayulu a annoncé qu'il saisirait samedi la Cour constitutionnelle pour demander un recomptage des voix.

Il n'est pas le seul à exprimer des réserves. "Tels que publiés par la Céni, les résultats ne correspondent pas aux données collectées par notre mission d'observation", a réagi l'Eglise catholique de RDC, seule à avoir déployé des observateurs le jour du vote : ils étaient plus de 40 000 pour surveiller 75 000 bureaux. "La marge d'erreur est de 1% et le degré de confiance s'établit à 95%", a assuré un membre de la Conférence nationale épiscopale, Mgr Marcel Utembi, vendredi. Très respectée dans le pays, l'Eglise est aussi "opposée au régime, de façon très ouverte", explique Thierry Vircoulon, pour qui "elle apparaît comme la seule capable de donner une vision crédible et fiable du résultat des urnes".

Un homme vote dans un bureau à Goma, dans la région du Kivu, située dans l'est de la République démocratique du Congo, le 30 décembre 2018, lors de l'élection présidentielle. (PATRICK MEINHARDT / AFP)

Trois diplomates interrogés par Reuters ont expliqué avoir eu connaissance des résultats calculés par l'Eglise, qui donneraient Martin Fayulu vainqueur. Il arrivait déjà largement en tête de deux sondages publiés la veille du vote par le Groupe d'étude sur le Congo de l'Université de New York, avec entre 17 et 29 points d'avance sur Félix Tshisekedi. Mais jeudi, l'Eglise n'a pas dévoilé quel était le résultat de son propre décompte, et elle a "pris acte" des résultats proclamés par la Céni.

La France a également exprimé ses doutes sur le scrutin : "Il semble bien que les résultats proclamés ne soient pas conformes aux résultats que l'on a pu constater ici ou là", a estimé le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, sur CNews, jeudi.

Est-ce vraiment la fin du régime Kabila ?

Si c'est bien Félix Tshisekedi, un des candidats de l'opposition, qui l'a emporté, il "n'a jamais été très virulent contre Kabila", nuance Thierry Vircoulon. En plein dépouillement, il a affirmé au journal belge Le Soir que Joseph Kabila n'avait "rien à craindre" de son éventuelle arrivée au pouvoir. Et son parti, l'UDPS, a proposé "une rencontre" au camp Kabila, qui a répondu qu'il n'allait "pas rejeter la main tendue"Dans sa première déclaration comme président, Félix Tshisekedi l'a qualifié de "partenaire de l'alternance démocratique".

En revanche, une victoire de Martin Fayulu était le pire scénario pour le pouvoir en place, "car il était soutenu par Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba, les rivaux de Kabila", explique Colette Braeckaman. L'avenir de ce dernier aurait alors, sans doute, été plus compliqué. Désigner Félix Tshisekedi vainqueur "apparaît comme une forme de compromis" pour le pouvoir, estime donc Thierry Vircoulon.

Qu'il soit réellement adoubé par Joseph Kabila ou non, Félix Tshisekedi devra composer avec le poids de l'armée, dont l'état-major a été désigné par son prédécesseur, et avec une Assemblée nationale dont on ne connaît pas encore la composition : les résultats des élections législatives sont attendus vendredi soir. Joseph Kabila, lui, n'a pas annoncé qu'il quittait la vie politique. En 2023, il pourra se présenter à nouveau à l'élection présidentielle. En attendant, il dispose d'un siège à vie au Sénat, et peut viser sa présidence, ce qui ferait de lui le numéro 2 de l'Etat.

La situation peut-elle dégénérer ?

L'élection de Félix Tshisekedi a donné lieu à des manifestations et des affrontements entre des civils et la police dans plusieurs villes du pays. Vendredi, la police a affirmé que cinq civils avaient été tués, et a démenti la mort de deux policiers, annoncée la veille. Jeudi, Colette Braeckman n'imaginait pas que ces contestations puissent dégénérer : "Je crois qu'il y aurait eu plus de violences et de morts si Shadary [le candidat du pouvoir] avait été déclaré vainqueur. Là, je pense que ça va se calmer. C'est quand même un membre de l'opposition qui a été élu."

Mais Martin Fayulu n'a pas l'intention de jeter l'éponge."Quand on sait qu'on est dans son droit, on ne peut pas rester chez soi", a-t-il lancé lors d'un meeting à Kinshasa, vendredi, appelant ses partisans à "se lever".

L'opposant congolais Martin Fayulu à son arrivée à un meeting à Kinshasa (République démocratique du Congo), le 11 janvier 2019, au lendemain de l'annonce de résultats de l'élection présidentielle qu'il conteste. (BAZ RATNER / REUTERS)

Il a également annoncé qu'il déposerait une plainte devant la Cour constitutionnelle samedi, la date limite pour contester les résultats. Il compte exiger "le recomptage des voix" et demander au président de la commission électorale, Corneille Nangaa, "de produire les procès-verbaux des bureaux de vote devant les témoins".

La Cour constitutionnelle "est proche de Joseph Kabila, qui a nommé les juges", explique Colette Braeckman, une raison de douter qu'elle puisse donner raison à Martin Fayulu. "Nous savons bien que la Cour constitutionnelle est composée de partisans de Kabila", a reconnu ce dernier, interrogé par la BBC vendredi. "Mais nous ne voulons pas qu'ils disent que nous n'avons pas suivi la loi. Nous voulons faire tout ce que nous pouvons pour avoir un résultat juste et clair." 

De son côté, l'Eglise, s'adressant au Conseil de sécurité de l'ONU, a souhaité qu'il "demande à la Céni la publication des procès-verbaux (...) pour enlever les doutes et apaiser les esprits".

Je n'ai pas le temps de tout lire, pouvez-vous me résumer la situation ;-) ?

Après avoir été plusieurs fois repoussées, des élections historiques se sont tenues le 30 décembre, pour désigner le successeur de Joseph Kabila. Au pouvoir depuis 2001, il a réprimé l'opposition et est soupçonné d'avoir profité de son poste pour enrichir son clan.

Jeudi, la commission électorale a annoncé la victoire de Félix Tshisekedi, fils d'un opposant historique, face au candidat du pouvoir et à un autre opposant, Martin Fayulu. Mais ce dernier, archi-favori des sondages, rejette les résultats, et l'Eglise catholique, seule institution à avoir déployé des observateurs du scrutin, explique que les scores annoncés ne correspondent pas aux siens. Félix Tshisekedi et son parti avaient fait des appels du pied au clan Kabila ces derniers jours, et des observateurs pensent que son élection peut être le résultat d'un compromis avec le pouvoir. Vendredi, Martin Fayulu a annoncé qu'il demanderait un recomptage des voix et a appelé ses partisans à "se lever".

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.