La Russie exerce-t-elle une influence au Mali ?
Dans le pays déstabilisé par les groupes jihadistes, certaines voix commencent à "réclamer l’intervention de la Russie". En juin 2019, les deux pays ont signé un accord de coopération militaire. Le début d’une coopération plus poussée ?
"La France est un Etat terroriste !!! Vive la coopération entre le Mali et la Russie", lit-on sur une publication en date du 15 novembre, faite sur Facebook par un Groupe des patriotes du Mali, une association de la société civile dont on ignore la représentativité. Un peu plus tôt, le 12 octobre, le même groupe et une "Association des jeunes musulmanes du Mali" avaient réclamé "l’intervention de la Russie afin d'aider l’armée malienne à recouvrer l’intégrité du territoire" du pays, rapporte Le Monde.
Dans le même temps, on assiste à la montée d’un sentiment anti-français. En mars, lors d’une manifestation organisée à l’initiative de l’ancien président du Haut Conseil islamique du Mali, Mahmoud Dicko, à la suite du massacre d’Ogossagou (au moins 157 morts), des dizaines de milliers de personnes avaient dénoncé un pouvoir "incapable de résoudre les problèmes sécuritaires et sociaux". Tout en réclamant le départ des troupes françaises et de la Minusma. "La communauté internationale est incapable de protéger les civils. Si elle n’est pas en mesure de nous sécuriser, qu’elle dégage !", expliquait alors un manifestant cité par Le Monde.
D’où ces appels du pied à un nouveau partenaire : la Russie. "Il est de bonne guerre pour le peuple souverain du Mali de demander une coopération militaire avec la Fédération de la Russie, qui constitue un partenaire historique de l’Etat du Mali depuis les premières heures de son accession à la souveraineté nationale et internationale", explique-t-on dans l’entourage du Groupe des patriotes du Mali, cité par le site maliactu.net.
Pour l’universitaire français Christian Bouquet, interviewé par franceinfo Afrique, il y a là "clairement une manipulation de la part de groupes de pression." Des groupes sous-marins de la présence russe ? Difficile de le dire.
Offensive de charme
Il n’en reste pas moins vrai qu’on assiste ces derniers mois à une offensive de charme de Moscou sur le continent africain, comme l’a montré l’organisation d’un premier Forum économique Russie-Afrique à Sotchi les 23 et 24 octobre. Dans ce cadre, plusieurs chefs d’Etat du Sahel ont demandé à la Russie de s'investir dans la région. Le président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré, président du G5-Sahel, a ainsi appelé cette "grande puissance militaire et économique (...) à se joindre au partenariat international pour la sécurité et la stabilité dans le Sahel proposé au sommet du G7 à Biarritz."
Le Tchadien Idriss Deby, cité par RFI, a été encore plus explicite : "Le soutien de la Fédération de Russie est vital pour renforcer la stabilité régionale. L’appui en formation et en équipement militaire, le partage de renseignement et d’expérience avec les forces africaines engagées sur ce front seront d’une grande utilité." Et Roch Marc Christian Kaboré d’enfoncer le clou dans la presse burkinabè : "Nous sommes tout à fait en droit" de diversifier nos partenaires "sans aucune contrainte, parce que (…) nous n’avons pas de relation d’exclusivité avec un partenaire quelconque. Ce sont nos intérêts que nous suivons." Un message sans doute destiné à la France...
Concernant plus spécifiquement le Mali, celui-ci n’a pas attendu le sommet de Sotchi pour se rapprocher de Moscou. Le 25 juin, Bamako avait signé, en marge du forum Armée 2019 à Moscou, un accord de coopération militaire avec le Kremlin. Celui-ci porterait sur la "formation de spécialistes militaires et de coopération dans les opérations de maintien de la paix et la lutte contre le terrorisme", selon le site opex360.com. "L’intensification des liens militaires est dans l’intérêt de nos deux pays. La Russie est prête à contribuer à la normalisation de la situation au Mali et à la création de conditions pour une paix et une stabilité durables", avait alors commenté le ministre russe de la Défense Sergei Choïgou, cité par la même source. Une vingtaine de pays africains ont signé de tels accords.
Le Mali, "cible" de Moscou ?
La coopération entre Bamako et Moscou ne date pas d’hier. Elle a commencé au début des années 60, lors de l’indépendance du Mali. Les forces armées maliennes (FAMa) furent alors "équipées de pied en cap par du matériel soviétique", raconte opex360.com. Mais l’effondrement de l’URSS en 1991 avait mis fin à ce rapprochement.
Dans l’état actuel des choses, l’aide russe semble encore modeste. En 2019, le Mali aurait ainsi reçu deux hélicoptères Mi-35. Et en 2013, la Russie avait livré "3000 fusils Kalachnikov aux FAMa, pour un million de dollars" (opex360.com).
Aux dires d’une étude réalisée pour l’Institut français des relations internationales, le Mali aurait par ailleurs manifesté son intérêt pour des mini-centrales nucléaires russes. Sans, apparemment, pour l’instant donner suite.
Selon la même source, le pays sahélien serait également, avec le Sénégal, une "cible" pour l’installation de conseillers politiques, comme cela aurait déjà été le cas dans une dizaine d’Etats africains, dont la Centrafrique. "Ces 'consultants' proposent aux autorités locales leur expertise en matière d’affaires publiques. Toutefois, (…) ces conseillers sont aussi et surtout des ‘implants diplomatiques’, voire des agents sous couverture. Parmi leurs casquettes, ils peuvent aussi vendre de la sécurité contre des avantages de toutes sortes… Au-delà du secteur de l’armement, l’appui sécuritaire de Moscou se paye en promesses de contrats (…) dans l’énergie et les métaux rares", poursuit l’étude. Reste à savoir si la "cible" malienne est en passe d'en devenir vraiment une…
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