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Mots et expressions de la politique africaine: petit lexique non exhaustif
L'incertitude autour de la présidentielle en République démocratique du Congo se résume en une formule: «glissement». Le volte-face sur la durée du mandat présidentiel de Macky Sall a remis sur le devant de la scène l'expression «wax waxeet» au Sénégal. «Tchendji» au Niger, «hogra» en Algérie ou «Rainbow Nation» en Afrique du Sud... tous ces mots écrivent l'histoire politique d'un continent.
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Les élections semblent une inépuisable source d’inspiration quand il s’agit d’enrichir le vocabulaire politique des Africains. La stratégie supposée de l’actuel chef de l’Etat congolais Laurent Kabila pour ne pas organiser des élections en novembre 2016, comme prévu par la Constitution, a un nom pour l'opposition: «glissement».
«Continuité», un autre mot qui doit certainement irriter aujourd’hui Lionel Zinsou, l’un des deux qualifiés pour le second tour de la présidentielle béninoise. Car tous ses adversaires estiment qu’il est l’incarnation de ce terme dans la vie politique béninoise. Le journal béninois La Nouvelle Tribune le définit comme «la pérennisation de l’héritage politique de Boni Yayi (le président sortant), la consolidation de ses acquis et l’amélioration de ses réalisations». Or pour beaucoup de Béninois, l'heure de la «rupture» aurait sonné. «Bénin: 4 millions d’électeurs aux urnes pour départager "continuité" et "rupture"», titrait La Nouvelle Tribune à la veille du premier tour de la présidentielle, le 6 mars 2016.
Incarnation
A l'instar de nombreux pays africains, la politique est un espace de création linguistique pour l’ancien Quartier latin de l’Afrique. C'est au Bénin qu'une expression symbole de l’avènement du multipartisme dans les anciennes colonies françaises est née: «renouveau démocratique». Ces mots apparaissent dans les années 90 et vont de pair avec la Conférence nationale qui marque l’avènement de la démocratie au Bénin.
Dans une enquête intitulée Les mots et le pouvoir: le nouveau vocabulaire de la presse privée dans les régimes de transition en Afrique, la chercheuse Marie-Soleil Frère donne une explication au dynamisme linguistique de l'époque. «Au début des années 1990, les médias africains vont connaître un grand bouleversement lexical: à la faveur du processus de démocratisation, une flopée de nouveaux mots surgit. Cette fois, ces termes ne sont pas le fait des autorités politiques.»
Ces mots sont «porteurs de l'idée de cette société transformée qui semble se profiler, poursuit l'universitaire. Au Niger, c'est le terme "tchendji" ("changement" en haoussa) qui cristallise les espoirs: le tchendji n'évoque pas seulement le remplacement d'un pouvoir par un autre; le mot transporte toute la charge de l'alternance ethnique au pouvoir. Les Haoussa, majoritaires mais dominés depuis l'indépendance par la minorité djerma, voient, dans l'établissement d'un pouvoir représentatif, la possibilité de s'emparer des rênes de l'État».
Dans toutes les langues
Au Sénégal, un autre mot, cette fois-ci en wolof, a rimé avec alternance politique. Il est alors associé au candidat socialiste Abdoulaye Wade à la présidentielle de 2000. «Sopi» – «changement» en wolof – est son slogan de campagne, un résumé de son programme politique considéré par ses partisans comme un espoir pour le pays. C’est d’ailleurs une autre expression, signe de déception chez lez jeunes qui l'avaient aupararvant soutenu, qui marquera la fin de son règne: «Y’en a marre». Elle servira à nommer le mouvement qui s’oppose à un énième mandat de l’ancien président sénégalais en 2012.
Aujourd’hui, au Sénégal, c’est l’expression «wax waxeet» qui est de nouveau dans toutes les bouches. C’est encore Abdoulaye Wade qui en est à l’origine mais c'est son successeur, Macky Sall, qui l’a remise récemment au goût du jour. «Ma waxone - waxeet» («J’avais dit, je me dédis» en wolof) aurait-il déclaré le 14 juillet 2011 lors d’une rencontre avec des membres de sa formation politique, le Parti démocratique sénégalais (PDS). Cette volte-face, résumée par l’expression «wax waxeet», concernait sa candidature à la présidentielle de 2012. Il avait alors promis de ne pas briguer un nouveau mandat avant de revenir sur sa parole. C’est ce qu’a fait l’actuel résident sénégalais Macky Sall. Pendant sa campagne, il s’était engagé à faire passer son mandat présidentiel de sept à cinq ans. Finalement, il a annoncé qu’il n’en ferait rien. Pour ce qui est de ses successeurs, ce sont les Sénégalais qui auront le dernier mot via un référendum constitutionnel.
«Il n'y a pas de particularité régionale (africaine, NDLR) au plan de la création lexicale. On la soulignera plutôt au plan du contenu qui renvoie à des valeurs indispensables pour une gouvernance vertueuse. Souvent, ce sont des concepts intraduisibles dans d’autres langues au risque d'en altérer le sens. Ces mots et expressions renvoient également à des appels à la mobilisation et à l'engagement citoyen. Au Sénégal, en tout cas», analyse Mamadou Dramé, docteur d'Etat en sciences du langage et éditeur au Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria).
Les Algériens, eux, ont trouvé un mot qui décrit le fonctionnement socio-politique de leur pays depuis des décennies: la hogra. Il pourrait être traduit par «mépris», mais cette seule définition ne saurait en rendre la véritable essence. «Bouziane Benachour, journaliste et écrivain, auteur d’un roman intitulé simplement Hogra, considère que c’est là un concept strictement algérien, parce qu’il est le cri "communautaire" des exclus – de tous les exclus – et de toutes les exclusions face à la machine bureaucratique insinuée magistralement dans les arcanes de l’Etat-nation et de ses tentacules», peut-on lire dans le quotidien francophone algérien El Watan.
«Le mot hogra, poursuit Bouziane Benachour, cité par le quotidien, ne peut être approché par d’autres langues, (sauf la) langue populaire algérienne. "Hogra n’a qu’une seule nationalité: algérienne, qu’une couleur, la couleur des sans-voix, qu’un emblème, celui des sans-grade, ceux qui ne sont inscrits dans aucun réseau", une définition de Mouloud Hamrouche.» «L’Algérien qui a vécu la hogra pendant la période coloniale la rejette aujourd’hui. Ce refus s’est cristallisé en une forme de culture politique populaire appelant à l’égalitarisme», souligne le sociologue Abdenasser Djabi, repris par El Watan.
Des mots aux mots-dièse
A l'autre bout du continent, en Afrique du Sud, c'est désormais une expression qui a vécu. Mais à la naissance du nouvel Etat sud-africain en 1994, qui avait mis fin à l'Apartheid, «Rainbow Nation» («nation arc-en-ciel») avait du sens. La périphrase qui désigne l'Afrique du Sud est utilisée pour la première fois par l'archevêque sud-africain Desmond Tutu pour incarner son rêve d'un pays où toutes les communautés, autrefois divisées, vivent en bonne intelligence. Le tout nouveau président sud-africain Nelson Mandela reprendra l'expression. Deux décennies plus tard, cette dernière qui sonne comme un mantra résiste de moins en moins aux inégalités sociales qui persistent entre Noirs et Blancs. Le rainbowism (philosophie associée au terme et plutôt assimilée à une sorte d'angélisme) est devenu l'arbre qui cache la forêt.
Avec les réseaux sociaux, les nouveaux mots de la poltique en Afrique sont devenus des mots-dièse. Depuis la révolution d'octobre 2014 au Burkina Faso, le combat pour la démocratie et toutes les formes de liberté s'est associé à #Lwili sur Twitter, terme en moré qui désigne les hirondelles qui ornent la célèbre et populaire étoffe burkinabè, le lwili-peendé.
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