Cet article date de plus de dix ans.

Shindouk Oulad Najim, chef touareg malien

Shindouk Oulad Najim est le chef de la communauté touarègue des Oulad Najim, originaire de la région de Tombouctou, au Nord-Mali. En 2011, il s'est réfugié au Canada. Dans «Je reviendrai à Tombouctou» (Ixelles éditions), il raconte son étonnante histoire, et la division entre les régions nord et sud. Il parle aujourd’hui de la situation de son pays après la présidentielle du 28 juillet 2013.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
  (DR)

Le chef touareg évoque les «identités complexes» de sa tribu, et au-delà de sa communauté : à la fois berbères, arabes et touarègues. Une communauté mosaïque, qui représente 3 % de la population malienne (environ 16 millions d’habitants). Dans son livre, Shindouk précise au passage que les trois régions du Nord, « toutes ethnies confondues», représentent «tout au plus 10% de la population totale». Ces ethnies du désert, notamment nomades et appelées «teints clairs» (pour «Maliens non noirs»), évoluent entre Mali, Algérie, Libye, Mauritanie, Niger, Burkina Faso.
 
Depuis l’indépendance, les régions du Nord se sentent défavorisées par rapport au Sud, dont les habitants se pensent «de plus en plus en Bambaras», population majoritaire. «Différence de race, de culture et de mode de vie (…), quand les Maliens du Sud parlent du Nord, on a souvent l’impression qu’ils parlent d’un autre pays», écrit Shindouk. Alors qu’à l’époque coloniale, les nomades jouissaient d’une certaine autonomie, ils subissent désormais de nombreuses discriminations. L’auteur n’hésite pas à parler, dans un cas au moins, d’acte d’«épuration ethnique».
 

Touaregs dans le désert malien (3-7-2008) (AFP - photononstop - Bernard Foubert)

Pourtant, des hommes comme lui, menacés de mort, n’ont jamais voulu baisser les bras. Lui-même a ainsi lancé des projets touristiques dans la région de Tombouctou. Les bénéfices ont notamment permis de financer la construction d’une école.
 
Alors que vient de se dérouler le premier tour de l’élection présidentielle, quelle est la situation de la communauté touarègue ?
Au Mali et dans tous les pays où ils sont installés, la situation des Touaregs est très complexe. On pourrait se dire qu’avec l’élection du 28 juillet 2013, la page est tournée. Mais ce n’est pas vrai.
 
La seule solution capable de stabiliser la région, c’est l’arrivée au pouvoir d’un président intègre avec un programme basé sur la justice sociale. Tous les Maliens doivent pouvoir se reconnaître en lui et se voir accorder les mêmes droits. Dans ce contexte, il faut donner un statut spécial aux Touaregs, qui ont une culture très différente: c'est-à-dire l’autonomie, qui ne signifie pas forcément la sécession. Dans des pays comme la Suisse ou le Canada, cela fonctionne très bien.
 
Tant qu’il n’y aura pas de dirigeants animés par la volonté d’instaurer la justice sociale dans le pays, le Mali n’ira nulle part. La situation va s’aggraver et le problème touareg ne sera pas résolu.
 
Jusque-là, le Sud n’a jamais rien changé au Nord. Sa population ne connaît pas les problèmes de cette région, dont les habitants ont payé très cher la facture. Je le répète : pour résoudre la crise, la justice est la mère de toutes les solutions. 
 
Aujourd’hui, les premiers résultats annoncent l’élection de l’ex-Premier ministre Ibrahim Boubacar Keita. Les séparatistes touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) ont accepté le processus électoral. Comment un responsable touareg comme vous voit-il l’avenir de cette communauté, et du Mali en général ?
Avant même le scrutin, j’avais dit que cette élection serait la meilleure de toutes celles que le pays a connues. Et effectivement, on a constaté un véritable engouement des électeurs.
 
Des familles touarègues, qui ont dû fuir la famine, attendent d'être ravitaillées dans un camp de la Croix-Rouge à Gao (Mali) le 27 mai 1985. (AFP - Daniel Laine)

Ce vote était nécessaire. Maintenant, la question est de savoir si les nouveaux dirigeants tendront la main aux populations du Nord. Une fois que cela aura lieu, il n’y aura plus de problème. Je le répète, les Touaregs, représentés par le MNLA, ne cherchent pas forcément l’indépendance.
 
Tout est une question de volonté. Depuis l’indépendance en 1960, les Touaregs ont souffert, leurs femmes et leurs enfants sont restés à la merci du vent et de la poussière. Mais aujourd’hui, au Nord du Mali, toutes les populations cherchent une solution honorable.
 
Que sont devenus les islamistes ?
Tout dépend à qui on pose la question. Si vous la posez au Sud, on vous expliquera qu’ils se sont fondus dans la population du Nord, souvent assimilée à des terroristes.
 
Mais en réalité, les islamistes ont subi une vraie défaite. Ils ont disparu aux premières heures de l’intervention française et ils ont fui très loin, en Libye, au Soudan et ailleurs. Même si al- Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et ses alliés sont très puissants, je pense qu’il leur faudra des années pour reconstruire leurs forces en territoire malien. Pour autant, il leur en reste suffisamment pour mener des petites opérations.
 
En ce qui vous concerne, vous êtes réfugié au Canada depuis 2011. «Je reviendrai à Tombouctou», dit le titre de votre livre. Quand allez-vous pouvoir réaliser ce souhait ?
Au Canada, je ne manque de rien. Mais mon chez-moi me manque et rien ne peut le remplacer. Pour autant, la situation n’y est pas encore stabilisée. Pour rentrer, je préfère mattendre la fin du processus électoral, la mise en place d’un nouveau président, d’un nouveau gouvernement et d’institutions fiables. Si c’est le cas, je serai le premier à revenir.
 
Je connais Keita qui pourrait être élu. C’est quelqu’un de très fin et très compétent. Je sais de quoi il est capable. Mais il reste à savoir qui va travailler avec lui.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.