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Mali : aux sources du coup d'Etat

Régulièrement cité comme un modèle démocratique, le Mali vient de vivre un coup d'Etat militaire. La situation se dégradait depuis plusieurs mois.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le capitaine Amadou Sanogo (assis au centre) mène la junte militaire qui a pris le pouvoir au Mali le 21 mars 2012. (HABIBOU KOUYATE / AFP)

Vingt ans de démocratie pour rien ? En 1991, Amadou Toumani Touré, "ATT", s'empare du pouvoir. Il renverse Moussa Traoré après plus de 22 ans de pouvoir sans partage. Le militaire dirige une période de transition, remet le pouvoir à un régime civil, le multipartisme est instauré. Alpha Oumar Konaré, élu démocratiquement, va diriger le pays pendant dix ans. A la faveur des urnes, ATT revient en 2002, occupe deux mandats et ne tente pas de modifier la Constitution pour se présenter à un troisième mandat, comme le font tant de chefs d'Etat africains.

Sur le continent, le Mali fait figure de modèle démocratique. ATT, 63 ans, est surnommé le "soldat de la démocratie". Mais à un mois d'une élection présidentielle à laquelle le président sortant ne se représente pas, catastrophe : des militaires proclament la "fin" d'un "régime incompétent", réclament des armes pour combattre rebelles et terroristes dans le Nord et ferment les frontières. Le "pire scénario qui soit", soupire Paris, selon Libération. Quelles sont les origines de ce revirement soudain ?

Aqmi avait fragilisé le président

Comme le souligne Libération, Amadou Toumani Touré était accusé de mollesse par la France, dont il refuse l'aide face à Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). L'organisation dispose de plusieurs bases dans le nord du pays, aux confins des frontières algérienne, mauritanienne et nigérienne. Une zone immense, désertique, où croisent trafiquants, bandits et rebelles touaregs. La branche maghrébine d'Al-Qaïda retient notamment six Français.

Slate Afrique souligne que "face à la menace d’Aqmi, 'un problème algérien' selon ATT, il a souvent accusé Alger de ne pas lutter efficacement contre un terrorisme mené par d’anciens contrebandiers algériens. Il a longtemps plaidé pour une solution sous-régionale, tout en laissant l'armée mauritanienne, la seule qui soit vraiment engagée dans une guerre contre Aqmi, pratiquer des incursions en territoire malien". Une frustration pour l'armée malienne.

La chute de Kadhafi a déstabilisé le Mali

En 1991, ATT était venu sur fond de rébellion touareg. C'est sur fond de rébellion touareg qu'il pourrait partir s'il ne parvient pas à reprendre le pouvoir depuis le camp de Bamako où il serait sous la bonne garde de soldats loyalistes. Les militaires du rang, semble-t-il, qui ont mené le putsch ont mis en avant qu'ils voulaient avoir les moyens de combattre dans le nord du Mali. Leur porte-parole, le lieutenant Amadou Konaré, a critiqué l'incapacité des autorités "à gérer la crise du nord du pays" en proie à l'islamisme, aux trafics et surtout à une rébellion.

Coup d'Etat militaire au Mali (Francetv info)

En effet, la crise libyenne a déstabilisé la fragile sous-région. D'anciens rebelles touaregs qui avaient trouvé protection au côté de Mouammar Kadhafi ont été forcés de revenir au Mali après sa chute. "Ils sont rentrés au Mali, lourdement armés, entraînés au combat, davantage coordonnés dans leurs assauts, et scolarisés", explique Philippe Hugon, spécialiste de l’Afrique à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), à France 24. "Plus dangereux, ils sont pris très au sérieux par le pouvoir en place."

Depuis le 17 janvier, le Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA), région considérée comme le berceau touareg dont ils demandent l'indépendance, a multiplié ses attaques dans le nord du pays. Les rebelles contrôlent un tiers du pays, affirmait Libération le 19 mars.

"Les combats dans la région nord du pays, contre les mouvements touaregs, ont beaucoup déstabilisé le Mali et l'armée malienne. On a senti monter un ras-le-bol et une frustration. L'armée se plaignait notamment d'un manque d'équipement et espérait obtenir des réponses de la part du gouvernement. Elle ne les a visiblement pas obtenues. C'est donc un certain ras-le-bol qui s'exprime à travers ce putsch, qui n'a pas l'air vraiment structuré", explique Hugo Sada, spécialiste du Mali, à 20 Minutes.

Un président jugé laxiste

"La corruption a progressé ces dernières années au Mali, malgré l’un des meilleurs taux de croissance de [l'Union économique et monétaire ouest-africaine] (4,5% par an). A Bamako, l’épouse d’ATT était elle-même surnommée 'Madame 53%', en raison des commissions qu’elle s’arrogeait sur les contrats et marchés", écrit encore Slate Afrique, qui souligne qu'Amadou Toumani Touré a flirté "ouvertement avec le régime Kadhafi".

A RFI, le spécialiste du CNRS André Bourgeot estime que le président a fait preuve d'une trop grande tolérance : "Je pense qu'effectivement il y a eu un certain laxisme qui ouvrait la porte à tous les abus. Mais aussi à toutes les trahisons. C'est peut-être un trait de son caractère [d'Amadou Toumani Touré] que d'être à la fois ouvert, à la fois tolérant, laxiste, pensant bien faire, peut-être animé par une dimension humaniste et en même temps des discours de fermeté pas assortis de pratique."

A l'étranger, ATT bénéficie toutefois de sérieux appuis. Les Etats-Unis, l'Union africaine, l'Union européenne, la France (ancienne puissance coloniale), la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest, le Nigeria ont désapprouvé le coup d'Etat. Le président du Nigeria, Goodluck Jonathan, a parlé d'"un revers" pour la démocratie en Afrique.

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