L’inquiétude des Maliens de France
Ils sont six dans le local associatif de la rue de la Résistance à Montreuil venus raconter cette guerre, qui a lieu à deux heures et demie de Paris par avion. La gravité de leurs visages donne le ton de la rencontre. Seuls trois d’entre eux alimenteront le débat, les autres hochant la tête en signe d’acquiescement.
Moussa Doucoure, le président de l’Amicale des Maliens de Montreuil, est le premier à prendre la parole. Il dénonce l’islamisation galopante du pays, qu’il dépeint comme «laïc à l’islam modéré». A l’origine de la crise, dit-il, «le retour des Touaregs de Libye qui revendiquent, sous la bannière du MLNA, la paternité de l’Azawad (une zone qui couvre les régions de Kidal, Gao et Tombouctou, NDLR). En pactisant avec les islamistes du Mujao, d’Ansar Dine et d’Aqmi pour arriver à leur fin, le MLNA a créé les dommages collatéraux qu’on connaît.»
Même son de cloche chez Douga Cisse. Le hiératique président de l’Association pour le développement du cercle de Yélimané en France (ADECYF) confirme : «Il y a des centaines d’ethnies au Mali, mais elles ont toujours été unies par la même histoire. Le pays est indivisible. Il n’y a jamais eu de guerre ethnique. Il faut préserver les droits des minorités», sans pour autant céder à leurs revendications territoriales.
A l’extérieur du pays, la diaspora malienne est unie pour que vive un «Mali laïc à l’islam modéré», insiste-t-il. Autant dire qu’à Montreuil, on ne se définit pas comme étant du nord ou du sud, mais comme étant Malien avant tout. Et de dénoncer la «politique du fait accompli et le laxisme des autorités maliennes» qui ont laissé s’installer une situation dans une zone démilitarisée où les islamistes affluent et, avec eux, le banditisme, les violences et les trafics en tout genre.
Selon lui, «il faut agir vite» pour reprendre la situation en main et chasser «les assaillants», car il y a un «énorme risque de contagion» aux pays limitrophes – Niger, Nigéria, Mauritanie, Tchad…–, sans oublier le risque de débordement à l’Europe.
Pour le premier interlocuteur, c’est déjà un peu le cas aujourd’hui. Il pense que les Occidentaux, Français entre autres, ont minimisé le problème après l’intervention occidentale en Libye et aussi que Nouakchott, la capitale mauritanienne, est devenue une base arrière du MLNA.
Demba Doucoure, le plus jeune des participants à cette discussion, se lance à son tour : «L’Etat malien a failli à son devoir en faisant du nord ce qu’il est devenu.» Parmi les causes de la crise, l’incompétence de l’armée malienne par manque de formation, notamment. Et d’ajouter : il s’agit «d’une guerre de civilisation et pas de religion». Au monde maintenant «d’assumer sa responsabilité.»
Tous trois sont sur la même ligne : aucune négociation n’est possible avec les terroristes et il faut une intervention militaire pour déloger les islamistes. L’un d’entre eux s’interroge toutefois sur les capacités de la CEDEAO à faire face seule à la situation.
Quoi qu’il en soit, le temps presse, car la population malienne souffre. Ce conflit «a un impact sur le développement, s’insurge Douga Cisse. Les jumelages et partenariats entre le Mali et la France sont arrêtés, alors qu’ils existent depuis trente ans. Le pays est confronté à des problèmes d’hygiène, de santé, d’éducation», d’autant plus qu’«Aqmi détourne l’aide alimentaire, les médicaments…», reprend le président de l’Amicale des Maliens de Montreuil.
Les habitants manquent de tout en raison de la situation actuelle. S’ils reçoivent ponctuellement des aides venues des collectes de fonds menées dans les associations de France, 75% des Maliens ne mangent plus à leur faim, 100% au nord.
Pourquoi ? «Un sac d’arachide qui coûtait de 50 à 60 euros avant le conflit est passé à 150 euros», lance Demba Doucoure. Le jeune homme explique que la crise malienne a par ailleurs débordé sur le terrain alimentaire au-delà du Mali. «Fin septembre, le kilo de viande était à 10 euros en Côte d’Ivoire contre un euro en début d’année». Le Mali fournit en effet la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Burkina Faso et la Guinée Conakry en viande.
Au sujet des violences commises sur la population, les visages se font encore plus graves. Grâce aux liaisons téléphoniques, ils peuvent raconter ce que leurs proches restés au pays leur rapportent : les viols de jeunes filles, les maltraitances, les pillages, les amputations… menés par les groupes armés.
Pour conclure, Douga Cisse évoque les destructions des mausolées de Tombouctou, patrimoine mondial de l’Unesco. Une preuve, dit-il, qu’il s’agit bien là d’un «problème de civilisation», et pas de religion.
La suite ? Nul ne peut dire «ce que la situation donnera», déclare, fataliste, un autre intervenant qui, lui, est seul à douter du bien-fondé d’une intervention militaire.
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