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"Hommage d'une fille à son père" : Fatou Cissé signe le portrait de Souleymane Cissé et d'une famille dédiée au cinéma

Le documentaire réalisé par la fille du célèbre cinéaste malien a été présenté à Cannes. Entretien avec le duo de réalisateurs de la famille Cissé. 

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Fatou Cissé a consacré un documentaire à son père, le cinéaste malien Souleymane Cissé. "Hommage d'une fille à son père" a été projeté à Cannes Classics durant la 75e édition du Festival de Cannes.  (LES FILMS CISSE/SISE FILIMU)

Pour Souleymane Cissé, faire du cinéma relève de la folie. C'est néanmoins avec lucidité que le réalisateur malien, né le 21 avril 1940, choisit de réaliser des films dans un pays qui n'en a pas les moyens. Après l'indépendance, il est l'un de ceux que l'Etat malien envoie se former à l'étranger. C'est donc en Russie qu'il apprendra à se servir d'une caméra. Adolescent entrepreneur à 15 ans, il aborde le cinéma avec la même énergie. Sa première œuvre Den Muso (La Jeune fille, 1975) lui vaudra d'être emprisonné. Ce qui ne l'empêchera de faire d'autres films, porté par une famille qui a toujours cru en l'artiste. Souleymane Cissé, deux fois Etalon d'or du Yennenga pour Baara (Le Travail) en 1979 et Finyé (Le Vent) en 1985 décroche, avec Yeelen (La Lumière), le Prix du jury ex-aequo au Festival de Cannes en 1987. Le cinéaste a tout du pionnier au Mali. Dans Hommage d'une fille à son père réalisé en bambara par son aînée, Fatou Cissé, on (re)découvre les œuvres et les ambitions pour le cinéma malien et africain d'une figure du septième art. Et c'est pour cela que son film est précieux. Le documentaire a été présenté à Cannes Classics le 27 mai en présence de Souleymane et Fatou Cissé que nous avons rencontrés sur la Croisette. 

Franceinfo : qu'est-ce qui vous a poussée à faire ce documentaire sur votre père ? Vous trouviez qu'on ne lui rendait pas assez hommage ?

Fatou Cissé : non, je voulais tout simplement lui rendre hommage maintenant, de son vivant. Après, les choses se sont enchaînées. Je ne savais pas que le film viendrait à Cannes, par exemple. Ce qui est une très bonne chose.

Le documentaire est en bambara. Il s'adresse donc d'abord aux Maliens. Que vouliez-vous leur dire à propos de votre père ?

Fatou Cissé : je trouve naturel que l’on parle en bambara. C’est la langue maternelle. Je voulais que la population malienne, puis les autres, comprennent réellement qui il est. J’effleure son enfance, ses relations avec sa famille, ses liens avec ses collègues… Je voulais qu'on sache qui est l’homme derrière la célébrité. En plus de cela, je travaille avec lui, donc je connais les difficultés qu'il a rencontrées dans l'exercice de son métier. 

Souleymane Cissé, c'est votre grand-frère qui vous fait découvrir le cinéma...

Souleymane Cissé : quand j’avais 5 ans, je pleurais pour qu’il m’emmène au cinéma. Ce qu’il a fait. Cela a été un déclic. En grandissant, j’étais mu par une curiosité qui s’est installée en moi. Je voulais voir et comprendre, une obsession que le cinéma m’a permis de satisfaire. 

Pour votre père, le cinéma est une histoire de famille, parce son frère a financé ses films et qu'il discutait de ses projets cinématographiques avec sa famille. Mais ce métier l'a en même temps éloigné de ses enfants. Comment avez-vous géré cette situation ?  

Fatou Cissé : c’est vrai que le cinéma a toujours été sa passion. Ce qui rime avec sacrifices. Il était parfois loin de sa famille mais toujours de cœur avec nous. Nous n’allons pas le blâmer pour cela. Et puis, il faut dire que plus jeunes, ils étaient des pionniers qui se battaient, à leur manière, pour leur pays. Son objectif n'a jamais changé et nous l'avons accepté. 

Souleymane Cissé : comme je le dis, c'est un métier de fou. Quand on y est, on ne pense qu'à ça. Je n'ai pas de regrets sinon celui d'avoir été un papa qui n'était jamais là et pour cela, je présente des excuses à mes enfants. 

Votre film est un hommage à votre père mais il concerne aussi votre mère, Dounamba Dany Coulibaly, aujourd'hui disparue...

Fatou Cissé : elle est décédée pendant que je tournais le film. Par ailleurs, en parlant de Den Muso (La Jeune fille, 1975) qui est le premier long métrage de mon père, c'était tout à fait normal de mettre en avant son actrice principale, ma mère. 

Souleymane Cissé : quand Den Muso est sorti, j'ai été emprisonné et sa mère a donné naissance à Fatou. C'est après cela que j'ai recouvré la liberté et que j'ai fait tout ce que j'ai pu faire. Quand elle était gosse, chaque fois que je partais, c'était des problèmes. Il y avait un incroyable attachement que nous partageons et dont elle n'osera pas vous parler. Quand Fatou dit qu'elle me rend hommage, je crois plutôt que c'est à toute la famille Cissé qu'elle rend hommage. Dans ce film, elle parle de sa maman, de ma maman, de tout le monde.  

Bande-annonce du documentaire "Hommage d'une fille à son père" de Fatou Cissé
Bande-annonce du documentaire "Hommage d'une fille à son père" de Fatou Cissé Bande-annonce du documentaire "Hommage d'une fille à son père" de Fatou Cissé (Sisé Filimu/Les Films Cissé)

Vous êtes un autodicate qui a eu l'opportunité de se former au cinéma en Russie. Vous expliquez que cette formation a été fondamentale pour vous parce que, autrement, vous n'auriez pas pu vous débrouiller pour faire des films au Mali. Pourquoi ? 

Souleymane Cissé : je n'avais jamais eu de diplôme quand je suis arrivé en Russie. Je n'ai pas eu le bac ni le certificat. Je suis parti parce que nous appartenions à une jeunesse qui voulait sortir du colonialisme et Modibo (premier président malien, NDLR) a eu la présence d'esprit d'envoyer ceux qui voulaient faire quelque chose faire des stages à l'étranger. J'ai fait deux stages, j'ai appris la langue russe et je me suis orienté vers le cinéma qui était ma passion. Les cinq années passées ensuite ont été très dures. Certains n'ont pas tenu et sont rentrés au bout d'un an. Ce métier, il faut l'aimer et forcer les portes. Je n'ai jamais pensé qu'un jour un de mes films serait sélectionné au Festival de Cannes.Quand je suis arrivé, je me suis dit que tout est possible. La jeune génération peut aller encore plus loin, à condition de tout réorganiser. 

Vous avez toujours plaidé pour qu'on mette en place des structures pour développer le cinéma dans votre pays et sur le continent. Un plaidoyer qui reste lettre morte…

Souleymane Cissé : hélas ! Ces structures ne sont pas encore installées au Mali. Je ne saurais dire si c’est de la mauvaise foi ou de la mauvaise volonté. Tout ce que je disais dans mes films, le Mali retombe dedans aujourd'hui... Le cinéma n’a pas été pris en considération alors qu’il aurait pu aider ce pays. Dommage ! Il y a eu cette incompréhension des politiques de la chose culturelle et tant que cela ne changera pas au Mali, notre pays n’avancera jamais. Après le coup d’Etat, j’ai récemment dit : "Si vous ne prenez pas la culture en main, il y aura toujours des coups d'Etat au Mali." Dans nos pays, tant que la culture ne sera pas à sa place, on ne bougera pas.Tant que nous ne sommes pas profondément nous-mêmes, nous ne pourrons jamais avancer. J’espère que ce film permettra aux politiques de mieux comprendre les enjeux culturels. Les pays les plus développés l’ont compris et c’est pour cela qu’ils n’ont jamais lâché leur industrie culturelle. Les Américains ne lâchent rien, idem pour les Européens mais nous les Africains avons tendance à penser − je m’excuse de la formule − que ce sont des problèmes de griots dont il ne faudrait pas se mêler. Pour une nouvelle génération, le documentaire de Fatou est l'occasion de relancer le débat.

Au vu de la situation politique au Mali, on pense à votre film "Finyé" ("Le Vent") qui parle de lutte pour la liberté et des dérives d'un régime militaire. Que ressent-on quand la fiction imaginée devient une réalité ?

Souleymane Cissé : il est même dangereux de faire sortir ce film aujourd'hui au Mali. J'ai toujours voulu me projeter dans le futur. Mais, malheureusement, je crois que cela n'a pas été compris. On a l'impression qu'on revient toujours en arrière et c'est un peu dommage.

Est-ce que cela a du sens pour nos cinématographies africaines, dont on regrette souvent l'absence sur la Croisette, d'être visibles à Cannes, le plus grand festival de cinéma au monde ?

Souleymane Cissé : Cannes a du sens parce que le cinéma est un vecteur qui n'a pas de limites, de frontières. C'est pour cela, par exemple, qu'on ne peut pas dire que la situation entre le Mali et la France fait que nous ne devons pas être à Cannes : c'est une erreur, cela n'a rien à voir !  Nous continuons à ouvrir les yeux, les esprits, à faire comprendre aux autres ce que nous sommes et ce qu'ils sont. C'est dans ce sens que Cannes est important. Il l'est aussi parce que notre cinéma doit aller de l'avant. Et pour cela, il faut qu'il bouge d'abord à l'intérieur du continent pour pouvoir ensuite s'exporter. 

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