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Comment les islamistes ont pris le nord du Mali aux rebelles touareg

A la tête de la rébellion contre l'Etat malien début avril, les rebelles touareg du MNLA sont aujourd'hui marginalisés. Ils ont été supplantés par des groupes islamistes soutenus par Aqmi.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des hommes d'Ansar Dine sur la route entre Kidal et Gao, deux villes contrôlées par les islamistes, le 12 juillet 2012. (ADAMA DIARRA / REUTERS)

C'était le 2 avril. Auréolés par leur victoire sur l'armée malienne dans le nord du pays, les rebelles touareg du Mouvement de libération nationale de l'Azawad (MNLA) assuraient qu'ils allaient s'en prendre aux islamistes présents sur leur territoire. "Dans les jours qui viennent, nous allons nous occuper d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi)", déclarait un porte-parole de ce mouvement, dernier avatar des révoltes touareg au Mali.

Quatre mois plus tard, le MNLA ne contrôle plus aucune des trois principales villes de l'Azawad (TombouctouKidal et Gao), le nom donné par les Touareg à la partie nord du Mali. Kidal et Tombouctou ont été pris par les islamistes d'Ansar Dine et d'Aqmi. Gao, capitale du MNLA, est tombée le 26 juin aux mains du Mujao, le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest. Blessé dans les combats, Bilal Ag Cherif, le secrétaire général du MNLA et président du conseil transitoire de l'Azawad, est aujourd'hui hospitalisé au Burkina Faso. Comment en est-on arrivé là ? Eléments de réponses.

Des groupes islamistes présents sur le terrain dès le début de la rébellion

Lorsqu'il lance l'assaut fin mars sur les grandes villes du nord du Mali, le MNLA le fait aux côtés du groupe islamiste d'Ansar Dine et d'éléments d'Aqmi. Cette présence, que les rebelles touareg ne condamnent pas, est même déterminante militairement.

Très vite, ce sont ces groupes qui administrent les villes. Les hommes d'Ansar Dine "ont labouré le terrain, restauré l'ordre dans les villes, rassuré les commerçants", énumère l'islamologue Mathieu Guidère à l'AFP. A l'inverse, les combattants du MNLA "se sont démobilisés après la prise des grandes villes", juge le chercheur.

Les groupes islamistes ont su également s'allier avec certains notables. A la tête d'Ansar Dine, l'ancien chef touareg Iyad Ag Ghali est une personnalité charismatique de la région. "Il ne faut pas mésestimer le degré de liens locaux entre ces groupes et certains chefs tribaux", explique Dominique Thomas, doctorant à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) et spécialiste des mouvements islamistes.

Le MNLA, un mouvement peu financé et peu discipliné

Pour asseoir leur présence sur le terrain, ces groupes islamistes ont pu compter sur leurs ressources financières, bien supérieures aux ressources du MNLA. "Le Mujao a acheté les jeunes désœuvrés de Gao", avance Moussa Ag Assarid, président de la cellule Europe du MNLA, pour justifier la perte de la ville. "Ils ont les mallettes que nous n'avons pas", poursuit-il, accusant à mots couverts ses adversaires de recevoir de l'argent de l'étranger.

Une situation qui n'est pas propre au Mujao, selon le directeur du centre d'études des mondes africains, Pierre Boilley"Ansar Dine est capable d'aligner un certain nombre de billets en euro pour faire venir des gens chez eux et les débaucher", explique ce spécialiste du Mali. Selon le chercheur, des personnalités saoudiennes, algériennes et qataris financent les mouvements islamistes au nord du Mali. Ces derniers peuvent également compter sur les rançons d'otages et les revenus des différents trafics qui traversent la région. "Ansar Dine, Aqmi et le Mujao contrôlent de manière plus ferme les narcotrafiquants de cocaïne et de cannabis", juge André Bourgeot, spécialiste du Mali au CNRS.

Le MNLA, isolé depuis sa proclamation de l'indépendance de l'Azawad (qui comprend toute la partie nord du Mali), ne peut compter sur l'aide étrangère pour acheter armes et carburant. "Depuis qu’on a commencé cette affaire, personne ne nous a rien donné", assène, depuis les environs de Gao, Ghabdi Ag Mohamed Ibrahim, l'un des membres du conseil transitoire de l'Azawad. Or la puissance financière des islamistes leur permet même d'acheter des soutiens dans le camp opposé. "Certains éléments du MNLA sont partis du côté d'Ansar Dine parce qu'on leur proposaient des sommes importantes", explique André Bourgeot. 

Ces défections sont révélatrices d'une autre faiblesse du MNLA par rapport à ses adversaires. Peu homogène, il manque de discipline. "Le MNLA ne fait pas le poids sur le plan de la logistique et de la discipline", constate Dominique Thomas. "Ils sont mieux organisés que nous", reconnaît Ghabdi Ag Mohamed Ibrahim.

Les Touareg n'ont pas réussi à fédérer les autres ethnies de la région

Les Touareg ne sont pas les seuls habitants des 800 000 km² de l'Azawad. Cette vaste région désertique (environ une fois et demie la France métropolitaine) est peuplée également par les Songhaïs, les Peuls, les Arabes et les Bozos. "Les Touareg sont minoritaires par rapport aux autres ethnies de la région", rappelle André Bourgeot, avant de souligner que le MNLA ne représente même pas l'ensemble des sociétés touareg du septentrion malien. 

Or, ces autres peuples soutiennent majoritairement l'intégrité territoriale du Mali. "Quand les 'moudjahidine' ont pris Gao, ils se sont promenés dans la ville en brandissant le drapeau du Mali. Nous, nous avons aimé ça", confiait la semaine dernière à l'AFP Saly Touré, du Musée du Sahel de Gao, une ville à majorité Songhaï. Si ces ethnies n'adhérent pas aux thèses islamistes, elles ne sont pas insensibles au fait que ces derniers ne réclament pas l'indépendance, contrairement aux Touareg.

Quel avenir pour le MNLA ?

Les responsables du MNLA veulent croire que leur mouvement va regagner le terrain perdu. "Nous ne contrôlons pas  les centres-villes mais nous contrôlons tout ce qui y rentre et tout ce qui en sort", affirme Moussa Ag Assarid, président de la cellule europe du MNLA, qui assure que son mouvement va contre-attaquer.

"Nous sommes en train de nous organiser, tout le monde est en train d'arriver", avance Ghabdi Ag Mohamed Ibrahim depuis les positions du MNLA, à 5 km de Gao. Mais le responsable du conseil transitoire de l'Azawad refuse de s'étendre sur les effectifs rassemblés autour de Gao et sur la date d'une éventuelle reprise de la ville, dont les abords ont été minés par le Mujao.

"Si on nous donne des moyens complémentaires, nous allons faire le travail", explique Moussa Ag Assarid. Le responsable européen du MNLA demande du carburant, des munitions, des véhicules et de l'argent pour acheter des vivres et payer ses soldats. "Il suffit de nous donner dix hélicoptères de combat et deux avions de chasse", ajoute-t-il, en précisant que ses hommes connaissent bien le terrain. 

Les spécialistes de la région se montrent moins optimistes. "Je ne vois pas comment ils vont pouvoir rebondir en s'attaquant à des gens surarmés, qui les ont boutés de Gao très facilement", tempère André Bourgeot. Une aide étrangère aux rebelles touareg semble peu probable. "Ce serait prendre position contre l'Etat du Mali", rappelle Pierre Boilley. Si les puissances occidentales et les pays de la région ne veulent pas que le nord du Mali se transforme en un sanctuaire islamiste, ils n'ont pas plus envie de cautionner la partition du pays.

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