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Madagascar: «Ils sont si pauvres que leur dignité n’existe plus»

Les réunions internationales sont souvent l’occasion pour les capitales qui les accueillent de faire de bonnes affaires. Il n’en est rien pour les habitants d'Antananarivo qui reçoit le 26 novembre le sommet de la Francophonie. La ville a été nettoyée de ses pauvres et ses sans-abri. La colère gronde comme l’explique à Géopolis Jean-Jacques Ratsietison, président de l'association FMI Malagasy.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Une famille démunie dans un quartier pauvre d’Antananarivo. Pour certains, assurer un repas par jour relève du miracle.  (Photo AFP/Alexander Joe)

Les autorités ont pris des mesures draconiennes pour éloigner les pauvres et autres clochards du centre ville, loin des regards des invités de marque qui affluent dans la capitale.  
«Des enfants pauvres de la capitale, des personnes sans domicile fixe ont été emmenés à bord de camions benne comme du bétail. Interdiction de sortir sans porter de chaussures, toutes les personnes qui triment au jour le jour et qui gagnent leur vie à tirer des charrettes ou des pousse-pousse ont été priées de rentrer chez elles», dénonce Jean-Jacques Ratsietison, président de FMI Malagasy, une association malgache.
 
Il se dit scandalisé par les pouvoirs publics qui semblent tout faire pour cacher la misère. Il y a une certaine résignation, jusqu’à ce que ça explose, affirme-t-il. Et le jour «où ça va exploser, rien ne les arrêtera.  Parce qu’ils n’ont plus rien à perdre».
 

Economiste, Jean-Jacques Ratsietison est président de FMI Malagasy. il fait partie des 36 candidats engagés dans la présidentielle 2018 à Madagascar. (Photo.Jean-Jacques Ratietison)

La survie au fond des décharges publiques
Dans la vidéo (en bas) produite par FMI Malagasy et mise en ligne sur Youtube, on peut voir des images insoutenables d’une décharge prise d’assaut par des gens à la recherche de quoi manger. Des personnes qui n’ont que du carton et du plastique comme abri. Des images ponctuées par cette phrase: «ils sont si pauvres que leur dignité n’existe plus.»
 
C’est pire que ça, commente Jean-Jacques Ratsietison. «J’ai filmé moi-même une famille de parents avec leurs enfants en train de faire les ordures avec des chiens», se souvient-il. Il affirme que dans son pays, la pauvreté touche pratiquement toute la population malgache à l’exception des dirigeants et quelques autres privilégiés.
 
«Il y a deux ans, on avançait le chiffre de 92% de Malgaches qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. C’est-à-dire avec moins de deux dollars par jour. Ce chiffre ne tient même pas compte de ceux qui vivent avec trois ou quatre dollars par jour. C’est pourtant le cas de nombreux cadres de la fonction publique qui émargent à 400.000 ariary, l’unité monétaire malgache. Cela fait moins de 120 dollars par mois et donc quatre dollars par jour.»
 
Dans cet océan de misère, les enfants sont les premiers à payer le plus lourd tribut. Selon l’Unicef, ils seraient environ deux millions à souffrir de malnutrition. Des enfants abandonnés à eux-mêmes dans les rues de la capitale. Ils dorment à même le sol, au milieu des poubelles.
 
«Les dernières statistiques font état de 20% de naissances prématurées à Madagascar. Pourquoi les enfants naissent-ils prématurément? Parce que les mamans sont malnutries. Elles ne mangent pas à leur faim. C’est scandaleux», se désole Jean-Jacques Ratsietison.

La dévaluation pointée du doigt
Le président de FMI Malagasy explique à Géopolis que la généralisation de l’extrême pauvreté à Madagascar a été déclenchée par la dévaluation de la monnaie intervenue en 1994
 
«Quand on dévalue la monnaie de 100%, le pouvoir d’achat est mécaniquement imputé en 24 heures d’au moins 50%. Les prix de tous les produits importés, à commencer par l’essence est multiplié par deux. Les produits locaux suivent mécaniquement. A ce rythme, les gens ne peuvent plus payer leurs loyers, ne peuvent plus manger convenablement, ne peuvent plus envoyer leurs enfants à l’école. Malheureusement, la dévaluation ne s’est pas limitée à 100%. Elle a atteint 5.100%. Il n’y a plus de pouvoir d’achat. Et tant que les Malgaches n’auront pas un pouvoir d’achat décent, on ne pourra jamais remonter la pente.» 
 
La pauvreté qui règne à Madagascar concourt à la destruction de l’appareil de production, explique Jean-Jacques Tatsietison. Les paysans qui arrivent encore à produire du riz, des patates ou du manioc n’arrivent plus à écouler leurs produits. Les Malgaches n’ont pas les moyens de s’approvisionner.
 
Classé parmi les pays les plus pauvres de la planète, Madagascar possède pourtant des ressources naturelles dont l’exploitation pourrait l’aider à remonter la pente. Son sous-sol regorge de pierres précieuses comme le saphir, les diamants et l’or, et l'île possèdent aussi de l’uranium et du nickel.
 
Pour Jean-Jacques Ratsietison, toutes ces richesses ne serviront à rien tant que les Malgaches n’auront pas retrouvé un pouvoir d’achat décent.
 
«Une fois qu’on a compris que c’est la dévaluation qui a mis le pays à genoux, il faut réévaluer la monnaie malgache. Dans un premier temps de 100%. Il faut supprimer le système de change flottant, supprimer le marché interbancaire de devises et revenir au taux de change fixe.»
 
En réévaluant la monnaie, l’impact se fera sentir rapidement, affirme-t-il. Les Malgaches pourront alors manger à leur faim et s’intéresser, peut-être, aux rencontres internationales organisées dans leur capitale, à l’instar du sommet de la Francophonie. 


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