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Patrimoine libyen: SOS chefs d'œuvre en péril

Le riche patrimoine libyen est en danger. Plusieurs mausolées et mosquées ont été détruits par des extrémistes dans un pays en pleine déliquescence. Dans le même temps, de nombreux monuments et objets antiques sont menacés de destruction et de pillage. Le Conseil international des musées (Icom) a publié le 15 décembre une «liste rouge d’urgence» des biens et objets culturels en péril.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Vue du site romain de Leptis Magna, inscrit au Patrimoine mondial de l'Unesco, le 29 novembre 2011 (REUTERS - Youssef Boudlal)

La Libye a vu passer de multiples civilisations : Grecs, Carthaginois, Numides, Romains, Arabes… Aujourd’hui, cinq sites sont inscrits au Patrimoine mondial dressé par l’Unesco : la cité saharienne de Ghadamès (ouest), le site grec de Cyrène (est), le site romain de Leptis Magna (ouest), parfois appelé «la Rome de l’Afrique», et celui de Sabratha (ouest), le massif rocheux rupestre préhistorique du Tadrart Acacus (sud).

Mais aujourd’hui, tout ce patrimoine est en danger. «Avec deux gouvernements rivaux, l'un basé à Tripoli, l'autre, reconnu par la communauté internationale, à Tobrouk, le pays est en plein chaos. Daech est implanté d'est en ouest à Derna, à Syrte et à Sabratha», souligne l'Icom.

Attaques islamistes
Plusieurs mausolées ont été détruits par des islamistes extrémistes à coups de pelleteuse ou d'explosifs depuis la révolte qui a renversé le régime Kadhafi en 2011, signalait l’AFP en septembre 2015. Pour les intégristes, ces sanctuaires érigés à la mémoire de saints musulmans contreviennent à leur interprétation de l'islam.
              
En 2012, des dizaines d'intégristes ont fait exploser le mausolée du cheikh Abdessalem Al-Asmar, un théologien soufi du XVIe siècle, à Zliten (est de Tripoli). Une bibliothèque et une université, qui porte son nom, ont été la cible de destructions et de pillage. A Misrata (ouest), le mausolée du cheikh Ahmed al-Zarrouk a aussi été détruit.

En 2013, une attaque à l'explosif a visé un mausolée à Tajoura, dans la banlieue de Tripoli, datant du XVIe siècle. En 2014, l'Unesco a condamné les actes de vandalisme contre plusieurs mosquées de Tripoli, dont la mosquée Karamanli datant du XVIIIe siècle.

Sites et objets en danger
Le patrimoine préislamique est, lui aussi, menacé. «Après quatre ans de guerre civile, la situation n’a jamais été aussi critique», a estimé le sous-secrétaire d’Etat américain aux Affaires éducatives et culturelles, Mark Taplin, cité par Le Figaro. Des objets sortent clandestinement du pays. Des bustes funéraires, en partance pour la Thaïlande, ont ainsi été saisis en Egypte début novembre. Ceux venus de Cyrène sont apparemment les plus appréciés des trafiquants. Plusieurs pièces ont également été saisis à Genève, Paris et Londres. 

Monument avec des lions sur le site romain de Sabratha, à 100 km de la capitale Tripoli. Photo prise le 25 novembre 2014. (AFP - AHMET IZGI - ANADOLU AGENCY)

Apparemment, certains Libyens se sont mobilisés pour empêcher des pillages. A Leptis Magna, des milices locales auraient ainsi sécurisé le site. «Globalement, les principaux musées, murés dès le début de la révolution pour protéger les collections n’ont pas été dégradés», croit savoir Le Monde.

Pour autant, d’une manière générale, les Libyens semblent peu sensibilisés à leur passé. Et beaucoup d’entre eux n’auraient pas forcément conscience de l’importance de leur patrimoine. Du temps de la dictature, «l’histoire n’était pas enseignée. Kadhafi n’a pas permis à la population de prendre conscience de son patrimoine. Lequel fait partie du paysage local mais pas de la conscience historique», explique, cité par Le Monde, Vincent Michel, directeur de la mission archéologique française pour la Libye antique (Cerla) jusqu’en 2013.

Mais le plus grand péril est lié à l’urbanisation sauvage sur des sites historiques et archéologiques. «La Libye est devenue un pays de non-droit. Un développement urbanistique incontrôlé met régulièrement au jour des vestiges qui sont cassés, jetés ou revendus», rapporte Vincent Michel, cette fois cité par Le Figaro.

En l’absence d’Etat, «les gens construisent sur les nécropoles. Ces terrains ancestraux appartiennent à des familles. Sous Kadhafi, elles n’y touchaient pas. Aujourd’hui, elles les revendent pas cher», constate Ahmed Abdulkariem, directeur des antiquités du gouvernement de l’Est (à Tobrouk), reconnu par les Occidentaux. Deux immeubles et un hôtel auraient ainsi été construits sur le site de Cyrène, qui serait le plus touché par les destructions et les pillages. 

Liste rouge
Face à tous ces dangers, l’Icom a donc publié une «liste rouge d'urgence» des biens et objets culturels libyens en péril. Le document énumère cinq catégories d'objets comme des sculptures, des éléments architecturaux, des récipients, des accessoires ou des monnaies, couvrant une période allant du Ve millénaire avant J.-C. au XVIe siècle de notre ère.

On y trouve, entre autres pièces, un buste funéraire en marbre d'une femme voilée de la période grecque (IVe siècle avant J.-C.), une stèle funéraire en calcaire à inscription latine de la période romaine (première moitié du IIIe siècle après notre ère). Ou encore une cruche en céramique de la période islamique (IXe-Xe siècle après J.-C.).

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