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La Libye, 20 mois après Kadhafi

La mort de Kadhafi, le 20 octobre 2011, marquait la fin de la dictature. Mais la nouvelle société libyenne est encore dans les cartons. Une véritable loi d'épuration vient d'être votée par le Parlement, mais le nouveau pouvoir n'a toujours pas assis son autorité. Pire même, les violences se multiplient. Seul point favorable, le pétrole coule à flot.
Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié
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Parade d'un bataillon de la nouvelle armée libyenne, le 23 mai 2013, à Tripoli (AFP/ Mahmud Turkia)

Le 7 juillet 2012 est une date qui compte pour la Libye. Ce jour-là se tenaient les premières élections libres dans le pays depuis quarante ans. Les libéraux en sortaient vainqueur devant les religieux.
Depuis, il y a eu un premier gouvernement qui n'a duré que quelques mois. Puis l'actuel, dirigé par Ali Zeidane, élu en octobre 2012 grâce au soutien des frères musulmans. Pourtant, le pays n'est toujours pas stabilisé.

La loi d'isolement politique
Elle a été adoptée le 5 mai à la quasi unanimité: 164 voix pour, 4 contre. Score étonnant, obtenu moins par les six mois de discussions au parlement que par les pressions des milices. Celles-ci ont assiégé les ministères et le Congrès général national (CGN) pour faire voter la loi. Créant une atmosphère d’anarchie assez inquiétante, marquée par le retour des pick-up armés dans les rues.
 
Le 30 avril 2013, lors du blocus des ministères, des miliciens contrôlent celui de la justice,  (AFP/Mamouhd Turkia)

Le Congrès a ainsi accouché d’un texte qu'on pourrait qualifier de loi d'épuration, tant il est radical. En clair, il exclut du gouvernement quiconque a exercé un poste à responsabilité durant les 40 années de la dictature de Kadhafi. Peu importe si, lors de la révolution, le quidam a été du côté des rebelles.

Ainsi, la première conséquence du vote de la loi a été la démission du président du CGN, Mohamed Megaryef, car il avait un temps été diplomate, avant de s'exiler et de mener un farouche combat durant 30 ans contre Kadhafi.

Le départ du président du parlement
Il a préféré un départ avec panache, à une bataille de tranchée pour sauver sa place. «Une nation qui n'apprécie pas ceux qui se sont sacrifiés pour elle renie son histoire», a-t-il déclaré. Un avertissement à la commission de bannissement qui va entrer en fonction.

Après lui, deux ministres ont démissionné. Celui de l'Intérieur et celui de l'Agriculture. Le ministre de la Défense devrait suivre. Il était chef de l'armée de l'air sous Kadhafi. En tout, une dizaine de ministres et une quarantaine de députés devraient faire les frais du coup de balai.

Bonne ou mauvaise loi ?
Sûrement pas une mauvaise loi aux yeux des milices et des révolutionnaires qui veulent nettoyer toute trace de l'ancien pouvoir. Omar Hamidan, porte-parole du CGN, se félicite de son adoption. Non pas, explique-t-il, pour discriminer tel ou tel, mais pour faire table rase du passé et construire la nouvelle Libye.

Pourtant, certains accusent les islamistes, qui tiennent les milices, de chercher à se débarrasser ainsi de leurs adversaires politiques modérés. De fait, les politiciens les plus en vue auprès des électeurs vont faire les frais de la loi si elle est appliquée dans toute sa rigueur. Parmi eux, l’actuel Premier ministre, mais aussi le charismatique et libéral Mahmoud Jibril, car rappelé au pays en 2007 par Saïf al-Islam, le fils haï de Kadhafi.
 
Mohamed al-Megaryef, président démissionnaire de l'Assemblée libyenne, le 17 février 2013 (AFP/Abdoullah Douma)

Cette loi fait aussi craindre une purge plus générale. 23 catégories professionnelles sont concernées, non seulement dans les ministères, mais également dans la kyrielle de société d'Etat.
Or, le risque pour le pays est de se priver d'éléments de premier plan, connaissant bien les rouages de l'économie et de la société, pour assurer la reconstruction du pays.

L'autorité n'est pas rétablie
Mais si les milices ont arrêté leur harcèlement des ministères, leur force reste entière. Leur désarmement prévu dès 2012 n'est toujours pas effectif. Les autorités n'ont pas réussi à former une armée et une police suffisamment puissantes pour les contraindre. Les milices contrôlent des quartiers, voire des régions entières. Grâce à elles, la puissance militaire des islamistes reste intact, si d'aventure la ligne démocratique était un échec pour eux.

Pire même, selon Amnesty International, ces groupes armés détiennent des milliers de personnes, certaines arrêtées depuis plus de deux ans. Des prisonniers, ni inculpés ni jugés, fréquemment victimes de sévices.

Les attaques contre des postes de police se multiplient, y compris à Benghazi, pourtant la première ville libérée de la dictature de Kadhafi. Le 13 mai 2013, un attentat à la voiture piégée y a fait plusieurs morts. Pour la première fois, la population était visée.
Enfin, le désert du sud-libyen est aussi devenu une base arrière pour les groupes terroristes. Trop vaste à contrôler par une armée libyenne désorganisée.
 
Le pétrole comme aux plus beaux jours
C'est sans doute le seul élément positif. Dès septembre 2012, la production pétrolière a retrouvé son niveau d'avant la révolution. Conséquence, le produit intérieur brut du pays a fait un bon de 100% en 2012. Un chiffre certes peu significatif, après une année 2011 durant laquelle l'activité économique a été quasiment nulle. Mais l'arrivée de devises et la reconstruction devraient doper l'économie en 2014.

Pourtant, le prochain pouvoir politique aura à développer une économie extra-pétrolière, qui pourra générer de l'emploi. Car, si le pétrole représente près de 80% du PIB, il ne pèse que 2% de l'emploi total.

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