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Le mystère règne autour du film anti-islam

L'identité du réalisateur, qui a utilisé le pseudonyme de Sam Bacile, reste inconnue. Mais des informations sur les conditions du tournage commencent à filtrer.

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Extrait de la vidéo islamophobe "L'Innocence des musulmans", qui est censée raconter l'histoire du prophète Mahomet. (YOUTUBE / FTVI)

VIOLENCES ANTI-AMERICAINES - L'innocence des musulmans (Innocence of Muslims) a mis le feu aux poudres dans le monde arabo-musulman. Le film est à l'origine des manifestations violentes contre les Etats-Unis, qui ont continué à se multiplier, jeudi 13 septembre. Que les agresseurs se soient servis ou non du long métrage comme d'un "prétexte" pour s'en prendre au consulat américain de Benghazi, les conditions de tournage et de production de ce film restent floues. La confusion règne autour de l'identité du réalisateur, qui se qualifie d'Américano-Israélien et se fait appeler Sam Bacile. FTVi liste les derniers éléments connus sur le film et son équipe.

Un cinéaste introuvable

Il a utilisé un pseudonyme. Dans un entretien téléphonique à l'agence américaine Associated Press (AP) et au Wall Street Journal (lien en anglais), mardi, Sam Bacile avait affirmé être un promoteur immobilier israélo-américain de 54 ans, originaire de Californie. Il s'en était pris directement à l'islam, qu'il qualifiait de "cancer"

Steve Klein, un activiste chrétien se présentant comme un consultant sur le film, selon le Huffington Post (lien en anglais), a reconnu, mercredi soir, que Sam Bacile était un pseudonyme et que le réalisateur n'était "pas israélien". Il a assuré, après lui avoir parlé au téléphone, que Sam Bacile était humilié par la mort de l'ambassadeur américain en Libye. Toutefois, sur The Atlantic (lien en anglais), il a affirmé ignorer ses vrais nom et prénom et l'endroit où il se trouve. 

La piste de Nakoula Basseley Nakoula. Les quelques éléments recueillis sur la personnalité de Sam Bacile ont soulevé des questions. Le Wall Street Journal a donc voulu en savoir plus. Mais les journalistes n'ont pu le joindre mercredi : son numéro de téléphone n'était plus attribué.

"Aucun homme ne répond au nom de Sam Bacile aux Etats-Unis", a finalement indiqué le quotidien américain dans un nouvel article (lien en anglais), publié jeudi matin. "Officiellement, le numéro de portable utilisé mardi est celui d'un utilisateur de la ville de Cerritos, en Californie, une ville [de la banlieue sud de Los Angeles] où un des habitants est enregistré dans les archives publiques sous le nom de Nakoula Basseley Nakoula", poursuit le Wall Street Journal. Nakoula est le nom d'un des producteurs qui apparaît sur le casting en ligne d'un film sur le désert, précise encore le quotidien. 

Un journaliste de l'Agence France-Presse s'est rendu mercredi soir au domicile de cet homme. Deux officiers du bureau du shérif de Los Angeles (Californie) sont restés dans la maison pendant plus d'une heure, et sont sortis sans faire de commentaires vers 21 heures (6 heures jeudi, heure française). La famille a refusé de parler aux quelques journalistes présents.

La porte d'entrée de la maison présente une similitude flagrante avec une porte apparaissant dans plusieurs scènes de L'innocence des musulmans, a constaté le journaliste de l'AFP. Il a par ailleurs obtenu des documents qui confirment que Nakoula Basseley Nakoula a été condamné à 21 mois de prison en 2010 pour escroquerie bancaire, et qu’il réside à Cerritos.

Parallèlement, Associated Press a repéré un autre numéro de portable qui pourrait appartenir à Sam Bacile à Los Angeles, dans un quartier où habite un certain M. Nakoula. AP a pu interroger cet homme : il dit être le responsable de la société de production du film anti-islam, mais dément être Sam Bacile. "Il a déclaré à AP qu'il est copte et que le réalisateur du film se montrait concerné par la manière dont les musulmans se comportent avec des chrétiens coptes" [en Egypte], ajoute Le Wall Street Journal. 

Un budget exagéré

Dans l'entretien accordé, mardi, au Wall Street Journal, Sam Bacile avait aussi expliqué qu'il avait produit L'innocence des musulmans avec 5 millions de dollars levés auprès d'une centaine de donateurs juifs, dont il avait refusé de donner les noms.

Mais la somme investie dans le projet n'aurait pas dépassé les 100 000 dollars, a affirmé de son côté Jimmy Israel, qui a travaillé brièvement sur le film comme producteur. Cet Américain livre sa version sur le site spécialisé Buzz Feed.com (lien en anglais), qui l'a contacté. Les médias américains ont ensuite fait des recherches sur le reste de l'équipe du film : L'innocence des musulmans aurait été tourné avec 60 acteurs et une équipe de 45 personnes.

Des acteurs "trompés"

Mais l'équipe a fait part de sa colère, mercredi, dans un communiqué envoyé au Los Angeles Times (lien en anglais). "Tous les acteurs et toute l'équipe sont bouleversés et ont l'impression d'avoir été exploités par le producteur", écrivent-ils. "Nous sommes à 100% contre ce film et avons été grossièrement trompés sur ses intentions et objectifs. (...) Nous sommes profondément attristés par les tragédies" survenues en Libye et en Egypte, ajoutent-ils.

L'actrice Cindy Lee Garcia, qui joue une femme dont la fille est proposée en mariage à Mahomet, affirme avoir été trompée sur la véritable nature du long métrage. Selon elle, "il n'y avait rien sur Mahomet ou les musulmans" dans le film qu'elle pensait avoir tourné. 

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La comédienne dit avoir répondu l'an dernier à une annonce d'un producteur – qu'elle appelle Sam Bassil – pour jouer dans une production intitulée Desert Warrior, présenté, selon elle, comme "un film sur l'époque du Christ, il y a deux mille ans". Surtout, elle affirme que des dialogues ont été doublés après le tournage. 

Des doublages grossiers

Effectivement, dans la version anglaise de l'extrait diffusé sur internet, le doublage est parfaitement audible. Des mots sont grossièrement insérés au beau milieu de séquences, comme le montre ce montage réalisé par Le Nouvel Obs.com.

Mais ce n'est pas la version anglaise qui a échauffé les esprits en Libye et en Egypte. "Le film a été posté sur YouTube en juin 2012, mais il est passé inaperçu à ce moment-là. Mais lorsque la vidéo a été traduite en arabe et postée une deuxième fois sur YouTube quelques jours avant la date anniversaire des attentats du 11-Septembre, et promu par les leaders de la communauté copte aux Etats-Unis, un million de personnes l'ont vue et des manifestations sanglantes se sont déclenchées", résumait mercredi soir le New York Times (lien en anglais).

La secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a dénoncé jeudi le film comme "une vidéo écœurante et condamnable" avec laquelle le gouvernement américain "n'a absolument rien à voir". Peu importe, le mal est fait : jeudi, les jeunes manifestants qui ont attaqué l'ambassade américaine à Sanaa (Yémen) criaient : "Pas le prophète ! Il est la ligne rouge !" et "Nous te rachetons, messager de Dieu".

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