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Quand le vent de la démocratie souffle sur la Gambie

Les Gambiens sont appelés aux urnes le 5 avril 2017 pour choisir leurs députés, premières élections depuis la chute, le 21 janvier, du président Yahya Jammeh après 22 ans de pouvoir sans partage. Un scrutin qui suscite l'espoir d'un réel changement au sein de l'Assemblée nationale auparavant perçue comme une simple chambre d'enregistrement. Dans le même temps, le pays s’essaye à la démocratie.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
La joie des partisans du président Adama Barrow à Banjul, capitale de la Gambie, le 26 janvier 2017. (REUTERS - Afolabi Sotunde)

Quelque 886.000 électeurs, sur une population de près de deux millions d’habitants dans ce pays anglophone enclavé dans le territoire sénégalais, doivent élire leurs députés. Les candidats sont issus de neuf partis politiques ou de listes indépendantes.

Nombre d’électeurs expriment l'espoir d'avoir de nouveaux députés qui ne soient plus de simples relais des désirs de la présidence. Awa Lowe, une habitante de Kanifing, en banlieue de Banjul, citée par l’AFP, souhaite ainsi que la nouvelle Assemblée nationale ne soit pas «un "guichet de poste" qui adopterait n'importe quel projet de loi».

Depuis le départ en exil de Yahya Jammeh, le 21 janvier 2017, et l’arrivée au pouvoir d’Adama Barrow, élu le 1er décembre 2016, «un vent nouveau souffle décidément bel et bien sur la Gambie», constate Le Monde.

Le président gambien Adama Barrow à Banjul (Gambie) le 26 janvier 2017. (REUTERS - Afolabi Sotunde)

Arrestations de cadres de l’ancien régime
En février, le nouveau président a ainsi commencé à solder les comptes du passé. Il fait le ménage parmi les cadres de l’ancien régime, notamment ceux d’institutions redoutées. Le chef de l’armée, le général Ousman Badjie, a été limogé. Et deux figures de la répression ont été arrêtées. En l’occurrence, Yankuba Badjie, chef des services de renseignements intérieurs, la National Intelligence Army. Ainsi que Cheikh Olmar Jeng, ex-responsable des opérations de la police politique.

Sous Yahya Jammeh, «un climat de peur a été entretenu en Gambie pendant des années par le biais d’arrestations et de détentions arbitraires régulières, ainsi que par le recours systématique à la torture. On ne savait jamais qui serait arrêté, quand, ni pour quelles raisons», écrivait Amnesty International en décembre 2016. «Des dizaines de personnes sont détenues au secret ou ont "disparu"», précisait de son côté Human Rights Watch en mai 2015.

«On avait peur tout le temps», a raconté au Figaro Amadou, fonctionnaire au palais présidentiel. Malgré la chute du dictateur, deux jours plus tôt, ce dernier n’a accepté «de parler qu’après mille précautions, de nuit, caché à l’arrière d’une voiture»… «On ne faisait confiance à personne», ajoute-t-il. «Au fil des années, la paranoïa a gagné les quelque deux millions de Gambiens, infusant lentement dans les esprits. Seule la petite bande côtière, où s'alignent les hôtels-clubs pour touristes européens, échappait à ce cauchemar. Ailleurs, dans les rues, entre les portraits à la gloire de l'omnipotent leader, le pays se courbait», précise l’envoyé spécial du quotidien, Tanguy Berthemet.

Yahya Jammeh, alors président de la Gambie, à Banjul en meeting électoral à Banjul le 29 novembre 2016. ( REUTERS - Thierry Gouegnon)

Les exactions des «Junglers»
La police gambienne a ouvert des enquêtes sur au moins 30 cas de disparitions durant la présidence de Yahya Jammeh. D’autres cas pourraient être découverts, a précisé un responsable policier. Dix personnes sont en détention en lien avec ces disparitions forcées. Parmi eux, des membres des Junglers (Jongleurs), lesquels appartiennent à une unité considérée comme les escadrons de la mort du dirigeant déchu.

Plusieurs de ces Jongleurs coopèrent avec les autorités qui mènent les recherches sur les disparitions inexpliquées. Plusieurs corps ont déjà été retrouvés cette année. Dont celui d'un responsable de l'opposition à l’ancien dictateur, Solo Sandeng, mort en détention en avril 2016.

Le nouveau pouvoir entend placer la lutte contre les exactions passées sur le terrain judiciaire. Une Commission vérité et réconciliation devrait ainsi voir le jour, a confirmé le ministre de la Justice Aboubacar Tambadou. Cette structure aurait pour mission d’étudier les crimes commis durant la présidence Jammeh et de décider d'éventuelles poursuites contre des personnalités du régime déchu. Elle devrait commencer ses travaux à l’automne 2017. L’initiative rappelle les expériences sud-africaine et tunisienne. Deux pays qui, eux aussi, ont eu à gérer des lendemains de dictature.

DĂ©fis socio-Ă©conomiques
Dans le même temps, le pouvoir a annoncé son intention de «gambiniser» le système judiciaire. Le magistrat gambien Hassan Bubacar Jallow, qui a occupé de hautes fonctions au sein de tribunaux de l'ONU, est ainsi devenu le nouveau président de la Cour suprême de Gambie. A l’époque de Yahya Jammeh, des juges étrangers, pakistanais, nigérians ou ghanéens, étaient traditionnellement nommés à des postes-clés pour leur souplesse vis-à-vis du pouvoir.

Migrants gambiens, partis en Libye, ramenés à l'aéroport de Banjul (Gambie) le 4 avril 2017. (REUTERS - Luc Gnago)

Reste aussi, pour Adama Barrow, à relever «de nombreux défis socio-économiques» dans un pays essentiellement rural. Il lui faudra ainsi équilibrer la balance commerciale déficitaire, relancer l’activité touristique (16% du PIB) entravée par l’épidémie de fièvre Ebola. Mais aussi s’attaquer à la «pauvreté multiforme» qui sévit dans le pays, selon l’ONU. «Sur les deux millions d’habitants, environ 400.000 vivent avec un peu moins d’un euro par jour», rappelle RFI.

Pas étonnant, dans ce contexte, que «la Gambie, l’une des plus petites nations d’Afrique, (soit) l’un des plus gros contributeurs» au flot de migrants qui tentent de rejoindre l’Europe, constatait le Washington Post en juin 2015. En 2016, 7% de ceux qui arrivaient en Italie étaient de nationalité gambienne, selon des chiffres du Haut commissariat aux réfugiés de l’ONU.

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