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Gambie: «Barrow n'a pas été un animal politique, il n'a pas su rassurer Jammeh»

Une semaine jour pour jour après avoir reconnu la victoire d'Adama Barrow à la présidentielle du 1er décembre 2016, le chef d'Etat gambien est revenu sur ses propos. Un revirement justifié par des erreurs de comptabilisation faites par la commission électorale. La sortie de Yahya Jammeh a été condamnée par la communauté internationale, notamment le Sénégal. Pourquoi s'est-il donc dédit ?
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Adama Barrow, vainqueur de la présidentielle du 1er décembre 2016 en Gambie.  (DIMITRIS CHANTZARAS/SOOC)

Le président gambien Yahya Jammeh a fait volte-face: il ne reconnaît plus les résultats de la présidentielle du 1er décembre 2016 qui a vu la victoire de l'opposition menée par Adama Barrow. Dans un dicours retransmis sur les ondes de la télévision publique le 9 décembre 2016, le président sortant a expliqué que la Commission électorale indépendante (IEC) a admis des erreurs dans la comptabilisation des voix. «Laissez-moi répéter: je n'accepterai pas les résultats sur la base de ce qui est arrivé», a-t-il déclaré. 


Le président gambien Yahya Jammeh, le 28 mars 2014, à un sommet de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) à Yamoussoukro, la capitale politique de la Côte d'Ivoire.  (ISSOUF SANOGO / AFP)

Le spectre du couperet de la justice 
«C'est un cocktail de facteurs qui est probablement à l'origine de ce revirement», estime le politologue sénégalais Babacar Justin Ndiaye. «Le premier est certainement lié à l'amateurisme du président élu. Adama Barrow n'a pas été un animal politique: il n'a pas rassuré Yahya Jammeh. Sa communication a été désastreuse. Il a été trop bavard avant l'investiture. Il a tenu des propos contradictoires: "Je vais le juger", "Je ne vais pas le juger". Tout cela n'est pas de nature à rassurer Jammeh et son groupe, à savoir le personnel des services secrets et les figures emblématiques de l'armée».

Le président sortant aurait notamment aimé avoir des gages sur son sort judiciaire, peu équivoque au regard des atteintes aux droits de l'homme qui ont émaillé ses 22 ans de règne depuis son accession au pouvoir par la force. Outre son intention, confiée à la Deutsche Welle, d'établir «quelque chose de la même veine» que la commission vérité et de réconciliation mise en place en Afrique du Sud, Adama Barrow a indiqué qu'il ne souhaitait pas que son pays quitte la Cour pénale internationale, contrairement au annonces de Yahya Jammeh. 

Toutes «ces maladresses» ont, semble-t-il, déplu au président sortant. «D'autant que, poursuit Babacar Justin Ndiaye, le rapport de force est favorable à Yahya Jammeh. Il tient l'armée, la police et constitutionnellement, il est en place jusqu'en janvier 2017. Il fallait tranquiliser le fauve Jammeh qui a fini par rebondir».


Déjà trop proche de Dakar 
De même, le président élu n'aurait pas tenu compte du prégnant sentiment anti-sénégalais qui traverse son pays. «La Gambie n'est pas un pays voisin du Sénégal. Le professeur burkinabè Joseph Ki-Zerbo disait: "La Gambie est une banane enfoncée dans la gueule du Sénégal". C'est un pays qui a peur d'être broyé, qui a développé un complexe obsidional, c'est-à-dire le complexe de celui qui assiégé. Le micronationalisme gambien est également anti-sénégalais. C'est dans ce contexte que le président élu commence à tresser des lauriers au dirigeant sénagalais, Macky Sall... Cela n'a pas rassuré.»

«Il y avait un deal mais Adama Barrow n'a pas respecté le cahier des charges», conclut le politologue sénégalais. «Aujourd'hui, nous sommes face à un grand retour en arrière» condamné par l'ensemble de la communauté internationale. Y compris l'Union africaine, la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) et le voisin sénégalais. 

Dans un communiqué, Dakar «condamne» la déclaration de Yahya Jammeh, «exige (...) une transmission pacifique du pouvoir» et «engage instamment la  Cedeao, l'Union africaine et les Nations unies à oeuvrer ensemble et prendre toutes les mesures qu'imposent la sauvegarde des résultats du scrutin présidentiel en Gambie et le respect de la souveraineté du peuple gambien».

«Le Sénégal ne peut pas intervenir seul». 
A Dakar, «l'ambiance est un peu belliqueuse», note Babacar Justin Ndiaye qui fait le parallèle avec 1981, année où le Sénégal est intervenu militairement en Gambie pour rétablir l'ordre politique. «Nous ne sommes plus dans la situation de 1981: le régime de Daouda Diawara était alors par terre et le nouveau régime n'était pas installé. Il y avait un vide. Mais aujourd'hui, c'est un dictateur armé jusqu'aux dents qui attend. Il faudrait que le Sénégal accepte la perte de 200 à 300 soldats, ce qui est un coût humain inacceptable.»

Par ailleurs, «le Sénégal ne peut pas intervenir seul. Notre vocation n'est pas de faire la police dans la sous-région». «C'est hors de portée de l'armée sénégalaise, c'est un cahier des charges qui dépasse ses capacités. Si Dakar devait intervenir, il lui faudrait un mandat. C'est pourquoi le Sénégal a saisi le Conseil de sécurité (...). Le Sénégal ne peut pas et ne doit pas aller en Gambie, sauf éventuellement sous la bannière de la Cedeao.»



«Le scrutin le plus transparent qui ait jamais été organisé dans le monde»
La Gambie est désormais plongée dans une confusion politique sans précédent. Yahya Jammeh avait pourtant juré ses grands dieux qu'il respecterait la décision des ses compatriotes gambiens. 

«J'avais déjà clairement indiqué que je ne dirigerai pas ce pays sans votre mandat depuis que nous avons commencé à organiser des élections, affirmait-il le 2 décembre 2016. Et que jamais je ne truquerai les élections ou n'en contesterait le resultat parce que c'est le scrutin le plus transparent qui ait jamais été organisé dans le monde. Notre système est unique et nous avons décidé d'aller aux élections (...). Souvenez-vous que je vous avais toujours dit que même si mon opposant me battait d'une seule voix, j'accepterais les résultats parce qu'ils sont transparents.»  

Le président sortant avait même évoqué sa foi musulmane pour expliquer qu'il ne saurait constester une décision divine, remarquant au passage qu'il avait pris le pouvoir un vendredi 22 juillet 2016 et qu'il s'apprêtait à le rendre un vendredi 2 décembre 2016. Et Yahyah Jammeh de conclure: «Vous (les Gambiens) avez voté pour quelqu'un afin qu'il dirige votre pays, notre pays, et je vous souhaite à tous le meilleur». La reconnaissance de sa défaite avait été suivie d'un coup de fil au président élu, Adama Barrow. 



Jammeh de nouveau maître de Banjul
Le vainqueur de la présidentielle a appelé le 10 décembre 2016 Yahya Jammeh à se plier au «verdict du peuple», rejetant ainsi sa demande d'organiser de nouvelles élections dans un pays isolé du monde depuis quelques heures. «Les frontières sont fermées et l'électricité a été coupée dans la soirée du vendredi (9 décembre 2016)», affirme Babacar Justin Ndiaye.

«L'avion de la présidente du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf, qui assure la présidence tournante de la Cedeao n'a pas eu l'autorisation d'atterrir dans la soirée du 9 décembre». L'organisation sous-régionale a ainsi dépêché un émissaire qui n'a pas pu rencontrer le président Jammeh.

«L'intervention politique ne semble pas pour l'heure productive, analyse Babacar Justin Ndiaye, l'intervention militaire, elle,  s'avère complexe parce qu'il y aura beaucoup de non partants. Le Niger ne peut pas y aller: l'armée est coincée à Diffa (pour combattre Boko Haram, NDLR). Le Mali ne peut pas y aller: son armée ne contrôle plus Mopti et Kidal. En Guinée-Bissau, l'armée est en convalescence post-crise...» 

Le sort des Gambiens, priés ddésormais de «vaquer à leurs affaires» par Adama Barrow et encadrés par des forces de sécurité déployées en masse, est de nouveau dans les mains du tyran auquel ils avaient cru échapper. 


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