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Francophonie: quid du soft power du cinéma de langue française?
Plus de 270 millions de personnes s'expriment déjà en français. Le cinéma contribue-t-il à renforcer l'influence d'une langue à laquelle l'anglais fait depuis toujours de l'ombre ? Pour Nicole Gillet, directrice du Festival international du film francophone de Namur, il s'agit entre autres de projeter sur les écrans du monde la langue française dans tous ses états.
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«Pour faire un film francophone à succès, il paraît qu’il faut oublier la langue française. On dit qu’il faut faire des remakes de blockbusters ou des adaptations de best-seller. On soutient qu’il faut du suspense, des gags, un bon storyteller, du timing. On nous assure qu’il faut éviter les flashbacks parce que c’est devenu has been. On dit que le casting doit être top, avec des acteurs bankable(…).» La boutade signée Adama Ouane, administrateur de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), a été lancée en décembre 2016 lors de la remise des Trophées francophones du cinéma à Beyrouth, au Liban.
Le cinéma français, aux premières loges de la promotion du cinéma francophone
Le cinéma mondial, dominé par les productions hollywoodiennes, conforte une langue anglaise déjà favorisée par le commerce et la science. Pourtant, le dynamisme de l’industrie cinématographique en fait un relais de choix pour l’expansion de la langue française. Selon le dernier rapport de l’Institut statistique de l'Unesco (ISU), publié en 2016, la production cinématographique a augmenté de 64% entre 2005 et 2013.
Par ailleurs, selon un rapport de l’OIF, le poids des pays ayant le français comme «langue officielle ou coofficielle» dans les exportations mondiales de contenu audiovisuel et des services associés était de 14,43% en 2008. Le Canada et la France – respectivement 7,95% et 4,42% – sont ainsi les plus gros exportateurs de la zone francophone. Mais la majorité de la production canadienne est anglophone. Selon l'ISU, plus de 63% des films canadiens sont en anglais (contre 36,6% en français).
La France, berceau de la langue de Voltaire, concentre bien évidemment la production la plus étoffée dans l'espace francophone – plus de 77% des longs métrages sont en français. Et cette production s'exporte plus ou moins bien. A cet égard, 2016 n’aura pas été une très bonne année. Selon le dernier rapport d’Unifrance, l’institution qui promeut les œuvres cinématographiques françaises à travers le monde, «le cinéma français accuse un repli conséquent de sa fréquentation en 2016, et connaît son niveau le plus faible depuis plus de 10 ans».
Néanmoins, «les films en langue française réalisent 22 millions d’entrées en 2016, soit près de 64% des entrées totales sur la période, une proportion record depuis plus de 15 ans, bien supérieure à la moyenne de 43,6% constatée sur les 10 dernières années».
Seulement, le cinéma français perd du terrain dans sa zone naturelle d’influence. «Selon l’agence Cinéac, la part de marché du cinéma français au box-office québécois a glissé à 3,8% en 2016 (contre 4% en 2015 et 5,9% en 2014)», rapporte Le Journal de Montreal.
A qui la faute? Encore aux Américains, semble-t-il. «(Ces derniers) mettent la main sur les gros films et les distributeurs québécois se retrouvent avec les deuxième ou troisième choix, explique Louis Dussault, président du distributeur K-Films Amérique, dans les colonnes du journal. Les films français achetés par les Américains finissent toujours par sortir au Québec, mais ils sortent tout croche (expression québécoise qui veut dire «de travers, de façon incorrecte»; ici au mauvais moment, NDLR), parce que la date a été choisie par les Américains et que la stratégie de mise en marché n’est pas adaptée pour le Québec. Ils n’atteignent donc jamais leur plein potentiel commercial.»
En 2016, les entrées des films français étaient également en baisse en Belgique et au Luxembourg (13%), l'un des cinq principaux marchés de la production française.
Ce déclin est peut-être lié au dynamisme des œuvres locales en français. La France est aussi concernée par le phénomène: les films français ont du succès chez eux. «En Belgique, le cinéma en langue française se porte bien.», assure Nicole Gillet, la déléguée générale du Festival international de la Francophonie de Namur (FIFF), qui assure également la vice-présidence de l'ATFCiné, l'association à l'origine des Trophées francophones du cinéma. «Il en est de même pour le cinéma québécois. Denis Villeneuve (Incendies, 2010, Sicario, 2015) ou Philipe Fallardeau (Monsieur Lazhar, 2011, The Good Lie, 2014) qui au départ ne tournaient qu’en français travaillent désormais à Hollywood. Cela veut dire qu’ils font des choses magnifiques puisqu’ils sont même repris par les Américains. L’attention que les professionnels du monde entier porte au cinéma francophone est aussi liée à sa contribution à l’industrie cinématographique.»
A l'écran, une lanque dans tous ses états
Défendre les œuvres cinématographiques françaises, c’est aussi la vocation du FIFF qui se tient chaque année en Belgique. «Dès le début, notre volonté était de montrer qu’il existe différents types de cinéma dans différentes langues, de montrer que la francophonie est un lieu où se fait du cinéma. Au départ, les films que nous proposions étaient pour la plupart en langue française, que ces films viennent du Burkina, du Sénégal, du Maroc…», explique Nicole Gillet.
«Aujourd’hui, poursuit-elle, ces films sont toujours là, même s’il y a moins d’œuvres originaires d’Afrique subsaharienne, et ils côtoient des longs métrages qui ne sont plus uniquement en français. Les choses ont évolué: un film sénégalais sera en partie en wolof ou un film malien, en partie en bambara… Dans un film tunisien, on entendra quelques mots d’arabe, suivis d’autres en français. Par ailleurs, un Belge ne parle pas comme un Français ou un Québécois. Nous avons chacun nos expressions, notre manière d’utiliser cette langue française.»
Cette communauté linguistique permet ainsi de valoriser des productions qui ne pourraient pas, autrement, faire l’objet d’une large diffusion. Notamment les productions originaires d'Afrique, région du monde qui concentre plus de la moitié des locuteurs de français dans le monde. «Le FIFF met en avant des œuvres, souvent peu diffusées, mais qui sont d’une valeur certaine. Notre objectif est de montrer toute cette diversité culturelle qui contribue à la richesse du cinéma et à notre vision du monde. Et cela passe aussi beaucoup par la langue française.»
Les cinéastes, nouveaux ambassadeurs de la langue française?
Le 7e art reste assurément un cadre exceptionnel pour la promotion du français. Pour Pierre Barrot, spécialiste de programme chargé du cinéma et de l’audiovisuel à l'OIF, le cinéma contribue indubitablement à la promotion de langue de Voltaire dans le monde, comparé par exemple à la musique où la majorité d'une production locale prendra naturellement une coloration locale. Ce qui est moins le cas pour le cinéma. Au Gabon, par exemple, 100% de la dizaine de films produits en 2013 étaient en français.
L'autre argument tient à la circulation des œuvres cinématographiques qui restent souvent en version originale à l'international. «La grande majorité des films en langue française sont distribués avec un sous-titrage. Le spectateur peut ainsi apprécier la musicalité de la langue. Des films comme ceux de la Nouvelle Vague, les œuvres de Truffaut, Godard… ou encore des films comme Amélie Poulain, typiques de la culture française, sont généralement vus en français.»
«La Francophonie a besoin de défendre le cinéma de nos pays mais le cinéma de nos pays a aussi une responsabilité dans la défense de la francophonie. Chers cinéastes francophones, nous comptons sur vous pour honorer la langue française; cette belle langue que nous avons en partage avec nos langues nationales», lançait Adama Ouane à Beyrouth. Cette exhortation de l’administrateur de l’OIF traduit bien les enjeux culturels liés à la production cinématographique francophone.
En attendant, le français est la troisième langue la plus parlée dans le monde après l’anglais et le mandarin, selon une étude de l'Institut européen d'administration des affaires parue en 2016. Les cinéphiles francophones ne sont pas près d'être une denrée rare quand la langue de Molière compte déjà quelque 274 millions de locuteurs.
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