Cet article date de plus d'un an.

Erythrée : après une longue guerre d'indépendance, le pays est de nouveau en conflit au Tigré

L'histoire de ce jeune pays de la Corne de l'Afrique permet d'appréhender les relations complexes qu'il entretient avec son voisin, l'Ethiopie, et les Tigréens.

Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
L'ancien palais de l'empereur éthiopien Haïlé Sélassié, à Massawa, premier comptoir italien et ville portuaire érythréenne.  (AB)

L'Erythrée est engagée aux côtés de l’Ethiopie dans une guerre contre les rebelles du Tigré. Pour comprendre cette hostilité aux élites tigréennes, retour sur l'histoire de ce pays indépendant depuis 1993 et fermé à la presse étrangère depuis lors.  

Colonisation italienne

Avant la colonisation italienne, l'Erythrée n’était qu’une province du grand empire éthiopien. Le Canal de Suez, inauguré en 1869, va ouvrir une nouvelle voie maritime empruntable uniquement par les bateaux à vapeur qui auront besoin d’escales pour charger le charbon. Les Anglais vont s'installer à Aden au Yémen, les Français à Djibouti, les Italiens en Somalie puis sur les côtes de l'actuelle Erythrée.

L'Italie engage alors une entreprise de colonisation massive, stoppée en 1896 par une grande bataille gagnée, dans la région duTigré, par les troupes de l'empereur éthiopien Ménélik II. Quand Mussolini prend le pouvoir en Italie en 1922, voulant laver l'affront d'antan, il favorise l’arrivée en Erythrée de milliers de soldats et de paysans pauvres originaires du sud de l'Italie pour à nouveau coloniser le pays.

La région côtière étant inhospitalière et peu productive, les Italiens vont s’installer à l’intérieur du pays jusqu’aux hauts-plateaux, là où il y a de bonnes terres agricoles et de l’eau. Ils construisent la ville d’Asmara, l’actuelle capitale qui a gardé cette architecture italienne classique ou mussolinienne. Une guerre meurtrière éclair fera fuir l'empereur Haïlé Sélassié et le Duce créera en mai 1936, l'Afrique orientale Italienne (AOI).

A l’ombre de l’Ethiopie

En 1941, un mouvement indépendantiste chasse les Italiens. L’empereur éthiopien reprenant son trône annexe alors l’Erythrée. Mais l’idée d’une Erythrée indépendante fait son chemin. De jeunes intellectuels créent le Front de libération de l’Erythrée pour combattre l’armée éthiopienne d’Hailé Sélassié puis la junte militaire que lui succédera en 1974. En Ethiopie, la dictature du colonel Mengistu tombe en 1991, ce qui va ouvrir la voie à l’indépendance de l’Erythrée quelques années plus tard.

La guerre d’indépendance qui a duré vingt-cinq ans a été celle de tout un peuple − quelque 6 millions d'habitants − contre la puissante armée éthiopienne. L'Erythrée devient officiellement indépendante le 24 mai 1993, et récupère le contrôle des ports de Massawa et d'Assab, faisant perdre à l'Ethiopie son unique façade maritime, sur la mer Rouge. Le pays voisin est alors dirigé par la minorité tigréenne dont est issu le premier ministre Meles Zenawi qui restera au pouvoir jusqu'à sa mort en 2012. 

En mai 1998, l'Ethiopie et l'Erythrée entrent à nouveau en guerre pour quelques centaines de km² désertiques situés le long de leur frontière commune. Addis Abeba accuse Asmara d'avoir violé son territoire, les forces éthiopiennes lancent une vaste offensive, enfonçant les lignes érythréennes. C'est de là que date les relations hostiles entre Tigréens et Erythréens.

Un accord de paix, signé en décembre 2000 à Alger, met fin au conflit qui a fait quelque 80 000 morts. Une zone temporaire de sécurité – zone tampon de 25 km de large le long de la frontière – est établie, surveillée par les casques bleus de l'ONU. Mais la rancœur persistera.

Longue hostilité envers les Tigréens

L'Erythrée, sous la férule de son "commandante" Isaias Aferwerki, et l'Ethiopie, avec à sa tête Meles Zenawi, multiplient les déclarations belliqueuses et s'accusent mutuellement d'avoir commis des attaques et de soutenir des rebelles dans chaque pays. Des affrontements périodiques laissent craindre une reprise d'un conflit à grande échelle mais l’arrivée d’un nouveau premier ministre à Addis-Abeba va changer la donne.


Début juin 2018, le nouveau Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed − Amhara par son mère et Oromo par son père − annonce sa volonté de mettre un terme au litige frontalier. Après des décennies de guerre, la paix entre l’Erythrée et l’Ethiopie est enfin signée le 9 juillet 2018. "Une nouvelle ligne aérienne relie aussitôt les deux capitales Asmara et Addis Abeba. De son côté, l’Ethiopie peut retrouver un nouvel accès à la mer Rouge et pourrait s’affranchir des lointains ports de Djibouti et de Berbera (Somaliland). Cette ouverture est accueillie avec une grande joie dans les deux pays, des familles se sont retrouvées", explique à Franceinfo Afrique un spécialiste de la région qui a voulu garder l'anonymat.


Et depuis quelques mois l’Erythrée engage ses soldats aux côtés de l’armée éthiopienne contre front de libération du peuple du Tigré (TPLF), ennemi historique du président érythréen. Le rapprochement entre les deux pays s’expliquerait en grande partie par la volonté d’écarter l’élite tigréenne au pouvoir en Ethiopie, très présente dans l'armée. Des Tigréens qui ont une langue en partage avec les Erythréens mais qui on monopolisé le pouvoir trop longtemps et, semble-t-il, exaspéré les autres groupes ethniques de la région. "Les premiers chrétiens et l'orthodoxie ont façonné le Tigré, un ancrage lié à une tradition, de fierté, une singularité, un sentiment de distinction voir de supériorité", analyse notre expert.

"Sortir de son isolement"

Autre explication à cette paix signée entre l'Ethiopie et l'Erythrée : "le régime du président Isaias Aferwerki semblait à bout de souffle. Il avait besoin d’une paix avec le puissant voisin éthiopien pour sortir de son isolement."  Cependant, "sans doute en raison de cette méfiance obsessionnelle envers le grand voisin de 110 millions d’habitants, le pouvoir érythréen est devenu paranoïaque mais reste pragmatique pour se maintenir au pouvoir à tout prix. Par ailleurs, les Erythréens sont foncièrement attachés à leur indépendance, chèrement gagnée."

Ces années de conflit ont laissé un cadeau empoisonné aux jeunes ErythréensAujourd'hui encore, le service militaire obligatoire dure plusieurs années dans le pays, parfois même une décennie. Une obligation militaire qui explique en grande partie les départs en masse des jeunes du pays.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.