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Zenab, l'ONG qui outille les agricultrices soudanaises contre le réchauffement

Zenab, l'ONG fondée par la Soudanaise Fatima Ahmed, est une belle aventure humaine dont l'un des programmes permet à des agricultrices d'être économiquement autonomes et de résister aux aléas climatiques. Fatima Ahmed et l'une des bénéficiaires, Zainab Abdalla Hasab Sedo Elhadi, étaient à la COP23 où le projet considéré comme innovant a été présenté. Récit d'une success story de femmes.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Fatima Ahmed, fondatrice et présidente de l'ONG Zenab, et l'agricultrice soudanaise Zainab Abdalla Hasab Sedo Elhadi, le 15 novembre 2017 à Bonn, pendant la COP23. (Géopolis/FG)

Une vocation transmise de mère en fille, désormais au service de la résilience face au changement climatique. L'histoire commence il y a une quinzaine d'années. Son diplôme d'ingénieure agronome en poche, Fatima Ahmed, formée à la Gezira University (Soudan) et en Syrie, crée l’ONG Zenab for Women in Development (ZWD), au début des années 2000, dans son pays.

Inspirée par une pionnière, sa mère
Depuis son enfance et tout au long de ses études supérieures, elle est sensibilisée au sort des femmes en général et des agricultrices en particulier. Et elle a de qui tenir. Sa mère, Zeinab Mohamed Nour, dont elle a donné le nom à son association, était la première femme institutrice originaire de l’est du pays. Elle a été distinguée en 2005 dans le cadre de l'initiative Femmes de paix autour du monde

«Son père a dû se battre contre toute sa communauté pour lui permettre d'accomplir sa vocation. Elle a commencé sa formation d'institutrice en 1939. A l'époque, aucune femme ne sortait de la communauté même si c’était pour faire des études», raconte sa fille Fatima Ahmed. «Les  cousines de ma mère sont aussi devenues des institutrices. J’ai toujours vu ma mère se mobiliser pour la cause des femmes. Enfant, j’étais déjà socialement engagée parce que c'était notre quotidien. Ma mère a été une pionnière et est une source d’inspiration pour moi. Je ne fais que m'inscrire dans ses pas.»    

En poursuivant à sa manière l’œuvre de sa mère, Fatima Ahmed a permis à plus de 5.000 agricultrices dans tout le pays, pricipalement dans l'Est et aussi au Darfour, y compris durant les périodes les plus troubles, d’optimiser leurs pratiques agricoles dans un contexte de changement climatique. Et ce, tout en améliorant leur situation économique. L'ONG Zenab leur distribue, dans le cadre de son programme de lutte contre la pauvrété et l'insécurité alimentaire, des «trousseaux agricoles» et leur permet désormais d'avoir accès à des services financiers. 


Des agricultrices formées pour résister au réchauffement climatique
«Nous leur fournissons des engrais, des semences de qualité et on les conseille dans toutes leurs opérations agricoles. On leur apprend à adopter des solutions d'adaptation et d'atténuation comme le reboisement ou le fait d'arrêter de couper les arbres pour faire la cuisine. Par exemple, nous les aidons à se tourner vers des cultures qui peuvent se récolter sur des saisons courtes à cause de la baisse des précipitations et de la sécheresse, explique l'ingénieure agronome. C'est notamment le cas de certaines variétés de sorgho, l'aliment de base au Soudan. Et toutes ces semences sont issues de la recherche soudanaise. Nous impliquons d'ailleurs les universitaires et les chercheurs dans nos projets afin qu'ils sensibilisent les femmes aux meilleures techniques agricoles pour résister au changement climatique.»

L'ONG Zenab organise également les femmes en associations d'agricultrices qui rassemblent entre 50 et 100 membres: «Près de 56 ont été mises en place en une décennie». «Nous essayons de les constituer en syndicats parce qu'ils en existent, mais ils ne réunissent que des hommes.» 

Zainab Abdalla Hasab Sedo Elhadi est l’une des bénéficiaires du programme de lutte contre la pauvreté et l'insécurité alimentaire de ZWD depuis son démarrage en 2006. L'agricultrice, qui a été alphabétisée grâce à l'ONG, aide aujourd'hui d'autres femmes à travers l'organisation. Fatima Ahmed a ainsi parachevé ce que sa mère Zeinab Mohamed Nour avait commencé: Zainab Abdalla Hasab Sedo Elhadi fut l'une des élèves de l'institutrice. 

Originaire de la région du Darfour, Zainab Abdalla Hasab Sedo Elhadi s’est installée à Gaddarif (est du pays), le grenier du Soudan, à l'instar de nombre de ses compatriotes. L’Etat produit 75% de la nourriture des Soudanais. Et cette importante production agricole alimente également les pays frontaliers comme l'Ethiopie. «J'ai commencé le projet avec d'autres femmes. Nous étions 200, confie l'agricultrice. L'ONG Zenab nous a permis d'avoir de meilleures pratiques agricoles. Avant, nous avions une faible productivité, aujourd'hui notre production est plus importante et nos revenus le sont aussi par conséquent. Cela nous a aidées à envoyer nos enfants à l'école et à améliorer notre habitat. L'ONG nous a permis d'être mieux informées dans beaucoup de domaines.» 

De fait, l'ONG Zenab a adopté «une approche multidimensionnelle», souligne Fatima Ahmed. «Nous commençons a travailler sur une problématique et nous en découvrons d'autres. Et nous ne pouvons pas tourner le dos à ces femmes. Nous essayons à chaque fois de trouver des solutions.»

Et des jeunes filles qui vont à l'école
«En 2002, nous avons commencé avec de petits programmes de sensibilisation autour des mutilations génitales et du sida. Puis en 2004, nous avons démarré notre programme principal qui concerne l'éducation des jeunes filles en construisant des classes et des écoles qui leur sont exclusivement réservées. Au Soudan, nous avons un taux très élevé d'analphabétisme, surtout dans les zones rurales: près de 70%. Il y a beaucoup de facteurs qui constituent un obstacle à l'accès des filles à l'éducation. L'un d'eux est lié à la mixité des classes. Les parents ne veulent pas voir leurs filles dans les mêmes classes que des garçons. Les filles sont alors généralement scolarisées jusqu'à la quatrième année de l'école primaire quand les parents acceptent qu'elles mettent pied à l'école.» Grâce à cette activité, «des milliers de filles» ont eu accès à l'éducation ou ont poursuivi leurs études. 

«Quand elles ne sont pas scolarisées ou qu'elles quittent l'école, elles se retrouvent à la maison et on les marie a 12-13 ans. C'est le problème! Il  y a un taux élevé de mariages précoces au Soudan. Nous avons un taux élevé de mortalité maternelle à cause de ces mariages précoces, des mutilations génitales et du manque de soins prénataux. C'est pourquoi, nous avons lancé un programme de santé maternelle et reproductive.» 

Et l'ONG Zenab ne s'arrête pas là. Elle fournit une assistance juridique et légale aux femmes, y compris celles qui sont incarcérées. En 2010, où se sont tenues des élections au Soudan, l'ONG a été également participé à un programme d'éducation politique dans le sud du pays.  

  (Momentum for change)

Le volet agricole du ZWD compte désormais parmi les «dix-neuf initiatives novatrices du monde», lauréates du Prix sur le changement climatique Elan pour le changement des Nations Unies organisé par le secrétariat de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC). A l'instar d'autres porteurs de projets, Fatima Ahmed et Zainab Abdalla Hasab Sedo Elhadi ont été mises en lumière durant la COP23 qui s’est tenue du 7 au 18 novembre 2017 à Bonn, en Allemagne. 

«Nous étions très heureuses d'être distinguées par ce prix parce que nous travaillons beaucoup, dans des conditions difficiles et avec peu de moyens, confie avec un large sourire aux lèvres Fatima Ahmed. Cela nous encourage parce que nous améliorons le quotidien des femmes mais il y a encore beaucoup à faire.»

Bravant le froid, l'ingénieure agronome et l'agricultrice sont venues témoigner du quotidien de leur engagement et de leur combat pour les femmes au moment où la question de l'égalité des sexes est officiellement pris en compte dans l'action climatique.

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