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Les pygmées, victimes d’exactions au nom de la protection de la nature

La polémique continue entre les ONG Survival International et WWF (Fonds mondial pour la nature). La première reproche à la seconde de ne pas prendre en compte les droits des peuples autochtones dans la gestion des parcs nationaux du bassin du Congo. Une médiation dans le cadre de l’OCDE ayant échoué, le dialogue est interrompu.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
Les pygmées sont chassés de la forêt par les écogardes. (Salomé/Survival)

La forêt du bassin du Congo, considérée comme le deuxième poumon de la planète après l’Amazonie, est aussi le refuge et l’habitat de plusieurs ethnies pygmées, dont les Bakas du Cameroun. Depuis des années, ces populations dénoncent les violences commises par les écogardes chargés de la lutte contre le braconnage.
 
Survival se charge de relayer leurs plaintes et attaque le WWF, car cette organisation participe pour une bonne part au financement des aires protégées. En 2016, elle porte le différend devant l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique) qui a établi des principes devant régir les entreprises multinationales en matière de respect des droits de l’Homme. C’est la première fois qu’une ONG environnementale est mise sur le même plan juridique qu’une compagnie minière ou pétrolière. Survival reproche notamment au WWF de ne pas avoir recueilli le consentement libre, préalable et éclairé des populations bakas dans les régions où elle a contribué à la création de parcs nationaux, ce que conteste le Fonds mondial pour la nature.
 
Les Bakas persécutés
Début septembre 2017, Survival se retire du processus de médiation, considérant qu’il est biaisé. Le WWF, de son côté, estime qu’il n’est pas de son ressort, mais de celui des gouvernements de mettre en place des mécanismes de consultation des populations.

Déterminée à poursuivre son combat sur le front médiatique, Survival publie fin septembre un rapport, intitulé Comment allons-nous survivre?, dans lequel elle égrène les exactions commises par les gardes forestiers: des pygmées sont battus, torturés, pour avoir chassé du gibier ou récolté des fruits, des campements forestiers sont rasés, brûlés, pour dissuader ce peuple de chasseurs-cueilleurs de nomadiser dans la forêt, à la recherche de nourriture.

Une vidéo montre à quel point la préservation des grandes forêts primaires, si importante pour les donateurs d'organisations comme le WWF, se traduit pour les Bakas par des persécutions constantes.
 
«Nous avons besoin de gens pour protéger la forêt et les animaux», dit le WWF 
Pourtant, l’organisation environnementale a les moyens de mettre un terme à ces violences. Sans son soutien financier, les parcs nationaux du Cameroun pourraient difficilement fonctionner. Elle fournit aux écogardes de l’équipement de base, des véhicules, paie une partie de leur salaire, sous forme d’indemnités ou de primes. «Une hache, une lance confisquée à un Baka, peut donner lieu à un bonus», dénonce Michael Hurran, qui suit le dossier à Survival international.
 
Le WWF affirme qu’il fait part aux autorités des exactions commises par les écogardes. Mais les pressions de l’ONG restent limitées. Il n’est pas question pour elle de menacer de retirer son appui financier. «Si nous cessons d’équiper les gardes, ils ne pourront plus faire leur travail. Ce ne sera pas productif. Nous avons besoin de gens pour protéger la forêt et les animaux. Il y a beaucoup d’armes qui circulent, beaucoup de braconnage. Il nous faut une présence sur le terrain», explique Frederick Kwame Kumah, le directeur de WWF Afrique.
 
Les organisations de protection de la nature ont d’autre part mis en place des partenariats avec de grandes compagnies forestières. Ainsi, le WWF travaille avec la société Pallisco, filiale du groupe français Pasquet, et avec la société Rougier au Cameroun. Le WCF (Société pour la conservation de la vie sauvage) collabore avec la CIB (Congolaise industrielle des bois). Le directeur du WWF Afrique se justifie: «Nous les aidons à pratiquer la coupe de manière durable. Il vaut mieux travailler avec ces sociétés sur des normes écologiques, sur la coupe sélective, plutôt que de ne rien faire. Qu’on le veuille ou non, l’exploitation forestière continuera.» Ces sociétés participent également à la lutte anti-braconnage, en compensation de l’ouverture de routes forestières, que les trafiquants utilisent.

Des routes forestières mettent en danger les pygmées
Mais ces pistes peuvent avoir des conséquences gravissimes pour les populations pygmées. L’Observatoire congolais des droits de l’Homme a révélé le décès de 57 enfants dans la concession forestière Loundoungou-Tokoulaka de la CIB, suite à l’ouverture d’une route forestière. Celle-ci aurait «entraîné la propagation des maladies infectieuses et la prolifération des moustiques et autres insectes», précise l’Observatoire dans sa note de situation du 18 septembre 2017. Les faits remontent à septembre 2016, mais il a fallu attendre juillet 2017 pour qu’une mission d’enquête découvre cette tragédie. Pour les enquêteurs, il y a un lien entre les politiques de protection de la nature, la malnutrition des populations pygmées et leur vulnérabilité aux maladies. Il a fallu un an pour que l’hécatombe de Loundoungou-Tokoulaka sorte sur la place publique. Combien de morts restent dans le silence de la forêt?
 
Le WWF est au courant depuis longtemps des violences commises par les gardes forestiers. L’organisation sait également que les Bakas n’ont pas donné leur accord lors de la création de certains parcs naturels. Dans un rapport interne datant de 2015, auquel Survival a eu accès, l’organisation environnementale écrit que des écogardes «se comportent comme des seigneurs et maîtres à l’égard des communautés» et que «les Bakas confirment ne pas avoir été consultés, mais plutôt avoir vu leurs terres transformées en aires protégées sans leur consentement». Le WWF n’en a pas fait état publiquement.
 
La protection de la nature assimilée à du «colonialisme vert»
Avec ces notes confidentielles qui atterrissent entre les mains de la partie adverse, le conflit entre les deux ONG prend des allures de guerre commerciale. C’est d’ailleurs dans cette logique que Survival a décidé de faire appel à l’OCDE, sollicitant un arbitrage habituellement réservé aux entreprises multinationales. Impitoyable, Survival note que le WWF se comporte parfois moins bien que certaines compagnies privées. «Le WWF a déjà porté plainte contre des entreprises sur la base de ces mêmes principes directeurs de l’OCDE qu’elle se croit dispensée de respecter », souligne Michael Hurran.
 
Minimisant les responsabilités de son organisation, le directeur Afrique du WWF explique que «les populations autochtones vivent des discriminations depuis de longues années, que le WWF ne peut résoudre seul les problèmes et qu’il faut s’asseoir avec tous les acteurs sur place, y compris le gens de Survival pour trouver des solutions». Une main tendue que rejette l’organisation de défense des peuples autochtones, «tant que le WWF ne change pas d’attitude», qu’elle assimile à du «colonialisme vert».

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