Volet égyptien de l'affaire Amesys : l'auteur de l'enquête s'interroge sur la "responsabilité" de la France
Olivier Tesquet, reporteur à "Télérama", a expliqué, mercredi sur franceinfo, l'importance de ses révélations dans le cadre de la vente de système de surveillance à l'Egypte par la société française Amesys.
En 2011, la presse révélait que l'entreprise française, Amesys, avait joué un rôle dans la mise en place d'un vaste système de surveillance électronique, permettant au régime de Kadhafi d'identifier et de cibler des opposants en Libye. À la suite de ces révélations, une information judiciaire avait été ouverte en 2012 en France. L'affaire se poursuit, Télérama publie, mercredi 5 juillet, de nouvelles révélations sur la société Amesys. Cette dernière, sous un autre nom, a de nouveau vendu des outils de surveillance, cette fois-ci à l'Egypte, en 2014, au moment de la vague répressive, sans que l'État français ne s'en émeuve.
Olivier Tesquet, reporteur à Télérama et auteur de l'enquête, explique sur franceinfo, mercredi, que l'État français s'était engagé à encadrer la vente de ce type de technologies, mais que dans ce nouveau cas égyptien, il a préféré ne pas se prononcer.
franceinfo : Officiellement, ce type de systèmes était censé être un outil de lutte contre le terrorisme ?
Olivier Tesquet : Officiellement, oui. Cela a été financé par les Émirats arabes unis qui ont payé 10 millions d'euros pour lutter contre les Frères musulmans, considérés comme un groupe terroriste en Égypte. Depuis l'affaire libyenne, l'État français avait promis tout un tas de nouveaux aménagements pour encadrer un peu plus strictement l'exportation de ce type de technologies. On avait notamment transposé en droit français une disposition qui obligeait les entreprises françaises à obtenir l'aval d'un service de Bercy pour exporter ce type de technologies vers des pays non-membres de l'Union européenne. La demande [pour exporter vers l'Égypte] a été transmise à ce fameux bureau sept mois après que l'avis a été publié au Journal officiel. Les autorités ont choisi de ne pas se prononcer. C'est une manière de s'en laver les mains.
Quelles conséquences ont eu la vente de ces systèmes de surveillance ?
Dans le premier volet de l'affaire Amesys, il y a eu des positions de parties civiles et de Libyens, qui ont été entendues par la justice française. Ils ont affirmé avoir été arrêtés et torturés sur la base d'informations rassemblées sur eux, grâce au système Amesys. La difficulté, face à ce type de systèmes, est qu'ils sont comme des Lego qui s'emboîtent les uns avec les autres. Les États achètent et utilisent différents systèmes qui vont avoir des finalités diverses pour identifier, traquer, surveiller en temps réel les opposants. L'addition de ces systèmes va permettre d'arrêter quelqu'un et éventuellement de le détenir, de le torturer, voire pire.
Ces outils de surveillance ont-ils été vendus à d'autres pays ?
Sur les deux dernières années, il y a eu plusieurs demandes de licence. Il y a eu des exportations vers l'Afrique de l'Ouest et subsaharienne, vers l'Asie et l'Europe. Les deux seuls pays où la France a refusé sont le Pakistan et la Turquie. Les autorités françaises ont estimé que les risques étaient trop grands. Les entreprises qui vendent ce type de technologies, pour se défendre, usent de cet argument avec ce sens aigu d'aider leurs pays : 'Si ce n'est pas nous, un autre pays le fera', notamment les Israéliens très actifs et un peu moins regardants. C'est un faux argument, qui élude le double débat suivant : dans quelles conditions sont développées et exportées ces technologies duales, à double-usage, et dans quelle proportion l'État français a une responsabilité.
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