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Crash en Egypte : la sécurité de l'aéroport de Charm el-Cheikh est-elle en cause ?

De nombreux spécialistes estiment que le crash d'un avion russe dans le Sinaï, samedi, est le fait d'un engin explosif. Plusieurs pays et compagnies pointent des failles de sécurité à l'aéroport de Charm el-Cheikh.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des touristes attendent aux contrôles de sécurité à l'aéroport de Charm el-Cheikh (Egypte), le 3 janvier 2004. (MAXPPP)

Les avions assurant la liaison avec la Grande-Bretagne quitteront l'aéroport de Charm el-Cheikh (Egypte) sans bagages en soute, a annoncé Londres jeudi, tandis que le Quai d'Orsay a déconseillé aux Français, jeudi 5 novembre, de se rendre dans cette station balnéaire.

Si les enquêteurs n'ont confirmé aucune hypothèse sur le crash, la Grande-Bretagne, comme les Etats-Unis, juge "hautement problable" que l'appareil ait été victime détruit par engin explosif. Une théorie partagée par les spécialistes.

Jeudi, le président Abdel Fattah Al-Sissi a assuré que l'Egypte était "prête à coopérer" pour améliorer la sécurité des touristes. Mais plusieurs compagnies aériennes ont déjà montré leur méfiance vis-à-vis de la sécurité de l'aéroport de Charm el-Cheikh et de l'espace aérien au-dessus du Sinaï. La compagnie allemande Lufthansa a interrompu ses vols vers cette destination. Turkish Airlines va, de son côté, envoyer une équipe pour évaluer les procédures de sécurité de l'aéroport, d'où est parti, samedi, l'avion russe de la compagnie Metrojet, qui s'est écrasé une vingtaine de minutes plus tard dans le désert du Sinaï.

Si la piste terroriste et l'hypothèse d'une bombe placée à bord se confirment, plusieurs questions se posent : la sûreté de l'aéroport de Charm el-Cheikh était-elle particulièrement défaillante ? Et est-il possible de combler ces failles ?

Un aéroport qui n'est "pas un modèle" de sécurité

Un coup d'œil aux commentaires laissés sur le site internet de l'aéroport suffit pour relever le scepticisme des touristes concernant sa sécurité, avant même le drame. Un Britannique assure s'être fait voler son portable par un employé de l'aéroport, pendant le contrôle des bagages ; un autre explique avoir dû laisser son bagage à main, sans surveillance, à l'entrée d'un magasin duty free. "J'ai été désigné par hasard pour un contrôle avant l'embarquement, mais j'ai deux tablettes qu'ils n'ont même pas regardées. A quoi bon me contrôler alors ?", s'interroge un troisième touriste.

"Je connais très bien cet aéroport, explique à francetv info le criminologue Christophe Naudin, spécialiste de la sûreté aérienne. Il n'est pas réputé moins sûr qu'un autre, mais il n'a jamais été un modèle non plus." Il est moderne et équipé des équipements de sécurité nécessaire, "mais ce qui est défaillant, c'est le personnel, l'humain", estime-t-il. Un officiel britannique, cité par CNN, évoque des procédures de sécurité "mal supervisées" et qui "manquent de régularité". Le Royaume Uni s'en était déjà inquiété il y a un peu moins d'un an, et avait envoyé des inspecteurs sur place, raconte le Guardian. Un analyste américain, David Soucie, explique que cet aéroport a la réputation de manquer de personnel au niveau des contrôles de bagages. L'accès aux pistes pose aussi problème : en mai, un homme avait été arrêté après s'être introduit sur le tarmac et avoir jeté un objet dans le moteur d'un avion. 

Un problème généralisé, à en croire les experts. "Des efforts gigantesques ont été faits depuis le 11-Septembre, mais on travaille mieux en Europe et aux Etats-Unis, estime Michel Polacco, spécialiste de l'aviation de France Info, contacté par francetv info. Quand vous vous éloignez de ces pôles, en dehors de quelques exceptions comme le Japon, la qualité des aéroports est très fluctuante. Et l'Afrique est connue pour être moins sûre que les autres." Christophe Naudin acquiesce. Pour lui, les procédures américaines et les contrôles de 100% des passages ne sont pas applicables "dans des pays hautement corrompus, d'anciennes dictatures, où il y a des passe-droits énormes."

Le risque des "mesures de façade" pour répondre aux inquiétudes

Christophe Naudin estime que les failles de sécurité sont liées au recrutement du personnel de sécurité des aéroports : "A Charm el-Cheikh, ce sont des policiers sous-qualifiés. Le salaire se situe, je crois, autour de 200 euros." Peu formés, et donc exposés aux erreurs, les agents seraient aussi fragilisés par le manque de considération de leurs supérieurs. "La frustration est le meilleur facteur de recrutement" par des criminels ou des terroristes. Selon le criminologue, "dans la plupart des aéroports du monde, y compris en France, on joue à faire semblant de respecter ce qui est dit dans les textes, mais on se fiche du résultat." Christophe Naudin et Michel Polacco avancent tous deux l'hypothèse que c'est un membre du personnel qui a posé un explosif dans l'avion russe à Charm el-Cheikh, contournant ainsi les contrôles de sécurité.

Les pressions exercées par des compagnies et la Grande-Bretagne peuvent-elles faire changer les choses ? Pour Michel Polacco, "il ne faut pas se faire d'illusion, la sûreté aérienne est très difficile à gérer". Il avance toutefois une piste. "Faire comme les Israéliens : ils rajoutent leur propre dispositif de contrôle, gardent tous leurs avions et vérifient tout ce qui y pénètre." Une solution que Christophe Naudin a du mal à envisager en raison de son coût. "Il faut impérativement modifier la sélection des agents (...) et arrêter de contrôler 100% des personnes, pour se concentrer sur des passagers choisis selon des critères aléatoires, arbitraires, et qui changent régulièrement."

Toutefois, le criminologue n'imagine pas de bouleversements dans l'immédiat : "L’Egypte va investir pour mettre en place des mesures de façade. Les touristes éviteront Charm el-Cheikh pendant un temps, et, petit à petit, les choses vont reprendre, car la capacité d'oubli du grand public est importante."

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