Zimbabwe: les pompiers, eux aussi, touchés par la crise
Depuis des années, la brigade des sapeurs-pompiers de Bulawayo (sud du pays) se bat pour survivre à la crise économique qui ravage le Zimbabwe. Elle est désormais confrontée à une population qui manifeste contre des conditions de vie quotidienne très difficiles.
Il y a deux semaines, la deuxième ville du pays, comme l'ensemble du Zimbabwe, s'est soulevée pendant plusieurs jours contre le gouvernement et sa décision d'augmenter les prix des carburants. Des manifestants ont dressé des barricades, commis des pillages, incendié véhicules et bâtiments...
Autant d'urgences pour les sapeurs-pompiers. Mais pour la première fois, leurs véhicules ont été accueillis par les jets de pierres d'une foule hostile.
"C'était violent", se souvient, encore surpris, le capitaine Richard Peterson, "alors que nous étions juste là pour sauver des vies". "Nous n'avions jamais été caillassés auparavant. Nous étions accablés. Nous avons dû demander des escortes policières. Ce qui a considérablement ralenti notre temps de réponse, souvent une heure ou deux avant de pouvoir intervenir, contre 10 minutes habituellement", poursuit le responsable.
"Une équipe a travaillé sans interruption pendant trois jours. Du jamais vu", souffle le capitaine Peterson.
Le chef de la brigade dit comprendre la frustration, l'exaspération et le désespoir des Zimbabwéens, confrontés depuis deux décennies à une crise économique catastrophique, dont ils ne voient pas le bout. "Mais on devrait plutôt se concentrer sur la résolution de nos difficultés, et non pas détruire nos propres biens", estime l'officier.
Des difficultés, Richard Peterson en a sa part. La brigade de sapeurs-pompiers de Bulawayo n'échappe pas aux restrictions budgétaires qui frappent l'Etat zimbabwéen. Conséquence : ses quatre casernes qui devraient accueillir 320 hommes, n'en disposent de fait que de 70. Soit moins du quart. Tous les jours, le capitaine doit déployer des trésors d'ingéniosité pour garder en état de marche ses 17 véhicules hors d'âge, des engins venus de Grande-Bretagne.
La situation financière des soldats du feu n'est guère plus reluisante que celle de leurs concitoyens. Ils sont frappés de plein fouet, comme toute la population, par la dévaluation dévastatrice des "bond notes" - ces sortes de bons du Trésor utilisés comme monnaie - par rapport aux dollars américains, prisés par les commerçants.
"Partis à l'étranger"
Un pompier de la brigade, Thabani Masuku, ne veut pas trop s'appesantir sur ses difficultés personnelles. "Plus que de tout le reste, nous avons besoin de meilleurs équipements", explique-t-il dans sa caserne fatiguée des années 1950 du district de Famona, près du centre-ville.
A 30 ans, il dit aimer son métier, mais la lassitude lui pèse. Thabani Masuku ne voit pas l'économie repartir de sitôt, alors il songe sérieusement à quitter le pays.
"J'ai de la chance d'avoir encore un travail, beaucoup n'en ont plus depuis longtemps. Et pour être honnête, tous les amis de mon âge sont déjà partis tenter leur chance en Afrique du Sud ou au Botswana" voisins, déclare-t-il. Et d'ajouter: "Je me pose des questions moi-même, je ne sais pas si je vais rester ou partir".
Considérée comme le fief de l'opposition, la ville de Bulawayo a perdu les entreprises qui en faisaient depuis longtemps un centre industriel. Les manifestations lancées le 14 janvier 2019 y ont été particulièrement violentes. Comme l'a été la répression de l'armée et de la police.
Pénurie
Dans chaque quartier, de longues files d'attente s'étirent devant chaque banque. Sous une chaleur écrasante, les clients s'y pressent, résignés, dans l'espoir d'y retirer leur petite ration autorisée de dollars américains.
La pénurie de pétrole, qui sévit dans tout le pays, a contraint la plupart des stations-essence de Bulawayo à fermer depuis plus de 15 jours. Elles ne rouvrent que quelques heures et au compte-gouttes, à l'arrivée d'un improbable camion-citerne.
Comme les autres services d'urgence, les pompiers sont alimentés en carburant en priorité, mais au prix de copieuses tracasseries administratives imposées pour limiter les trafics en tous genres, très florissants.
"Sans carburant, on ne servirait à rien. Heureusement, nous n'en avons pas manqué jusque-là", se félicite la responsable d'une des équipes d'intervention, Sibusisiwe Gumbo, 46 ans, pompier depuis 21 ans. "Je suis très fière de mon travail, mais cela devient de plus en plus difficile", soupire-t-elle.
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