Secteur de l’eau et partenariats public-privé: étude du cas sénégalais
Le secteur de l’eau urbaine est historiquement une affaire de gestion publique des services, que ce soit à l’échelle municipale, régionale ou nationale.
Un rapide panorama international des services urbains de l’eau potable confirme que la gestion privée y joue, même aujourd’hui, une partition très modeste (environ 7 % de la population des villes en développement est desservie par un opérateur privé).
Pourtant, les années 1990 et 2000 ont été marquées par un très fort engouement pour les schémas de partenariats public-privé (PPP) qui promettaient, en théorie, une amélioration de l’efficacité technique et commerciale des services, et des ressources financières complémentaires pour financer les investissements massifs de services en pleine croissance.
Débats passionnés
La décennie 1990-2000 a également été marquée par des débats passionnés sur les vertus ou les dangers d’une gestion privée des services essentiels. De même, les années 2000 et 2010 ont été à l’origine d’une importante production de littérature grise sur la question des PPP : foisonnement d’analyses ou de recommandations largement portées par les institutions de financement de l’aide (Banque mondiale et banques régionales notamment). Toolkits, guidelines, handbooks et autres lessons learned ont vu le jour, produisant de la connaissance normative, certes nécessaire aux acteurs du secteur, mais très peu à la compréhension des véritables mécanismes à l’œuvre.
Il faut enfin noter l’existence d’autres analyses plus critiques ou plus soucieuses de s’extraire des débats sur le déterminisme institutionnel, par exemple les travaux portant sur les réformes en Afrique anglophone qui étudient les enjeux de la durabilité des services indépendamment des modes de gestion, de même que des recherches plus attachées à comprendre les processus et à les replacer dans une perspective historique.
Toutefois, ces analyses collectives qui ont cherché à réfléchir sur les PPP sans posture idéologique et à identifier « les ingrédients » prometteurs (ou non) des réformes des années 2000 sont maintenant anciennes et se sont, pour la plupart, penchées sur des contrats alors récents qui offraient encore peu de recul.
Or, dans la pratique, les contrats de PPP sont confrontés, pour une ou plusieurs décennies, aux réalités techniques, sociales et politiques des territoires de service. Il est nécessaire de les analyser sur le temps long et d’emprunter aux travaux d’économie politique, de management et de sociologie pour comprendre les ressorts de leurs évolutions.
Le cas sénégalais
Le Sénégal est actuellement engagé dans une seconde réforme de son secteur de l’eau urbaine, plus de 20 ans après la première.
D’ici l’été prochain, l’identité de l’opérateur privé qui exploitera les services d’eau potable de la capitale et de 66 villes du Sénégal (pour les quinze prochaines années), devrait être connu à l’issue d’un processus d’appel d’offres international.
La réforme en cours vise, non pas à remettre en cause le principe du PPP, mais à en renouveler les termes et à rétablir les équilibres entre partenaires qui avaient été définis lors de la réforme de 1995.
Si personne aujourd’hui au Sénégal n’affirme que la première réforme fut un échec, les objectifs initiaux d’autonomie financière du secteur et d’inclusion vertueuse d’un partenaire privé ont fait long feu. À l’issue de cette première réforme, l’État est redevenu le premier créancier du secteur, le PPP a accouché d’un monopole privé très profitable et l’urgence préside à nouveau aux destinées de l’hydraulique urbaine. En atteste notamment la crise majeure des services en 2013 où, suite à une rupture de canalisation, la ville de Dakar a été privée d’eau potable pendant plusieurs semaines.
Pourtant, le choix du modèle mis en place et la qualité du processus de réforme avaient été unanimement salués par les différents acteurs et étaient porteurs de grands espoirs pour le pays et pour la sous-région. De même, plusieurs auteurs avaient souligné le caractère innovant du PPP et qualifié l’expérience sénégalaise de « réussite », dans les premiers temps de son développement.
Alors comment comprendre ces évolutions ?
La nécessité du temps long
Revenons aux premières ambitions portées par la réforme de 1995. Le Sénégal cherche alors à améliorer significativement l’efficacité des services d’eau urbains et à amener progressivement le secteur vers l’autonomie financière. Il engage une réforme séparant l’eau potable des eaux usées et pluviales, et met en place un schéma tripartite de PPP pour l’eau potable.
D’une part, l’État s’engage dans un contrat de concession pour 30 ans avec la Société nationale des eaux du Sénégal (SONES), société publique de patrimoine nouvellement créée, en charge des investissements neufs et d’une part substantielle du renouvellement du patrimoine. D’autre part, l’État et la SONES s’engagent ensemble dans un contrat d’affermage avec une société d’exploitation privée, la Sénégalaise des eaux (SDE), en charge de la gestion technique et commerciale des services, et du financement d’une part limitée du renouvellement du patrimoine. Initialement d’une durée de 10 ans, cet affermage s’est finalement prolongé jusqu’à ce jour.
Pour analyser le PPP de l’eau urbaine du Sénégal, une récente étude a opté pour une démarche rétrospective portant sur toute la période de la réforme de première génération.
Quels enseignements ?
Cette analyse sur le temps long a permis de séquencer les dérives du PPP et d’identifier les vecteurs qui ont, principalement à l’occasion des avenants contractuels, remis en cause l’esprit du partenariat d’origine ; à savoir, un partage des risques et des responsabilités entre les trois entités : État, société de patrimoine et société d’exploitation.
À défaut d’englober toute la période de la réforme, on manquerait le début de ce processus, amorcé dès 2002, soit six ans seulement après le début du contrat d’affermage, pour n’en constater que l’aboutissement : une société d’exploitation en position de force pour obtenir un nouveau contrat, détentrice d’une créance de 10 à 12 milliards FCFA sur l’opérateur à venir.
De la même façon, on s’expliquerait mal l’inadéquation patente entre des règles tarifaires qui supposent un suivi serré des charges supportées par la société d’exploitation, et des modalités de contrôle axées sur la qualité du service fourni. Ce décalage provient d’un changement inachevé des règles du jeu en 2006, date depuis laquelle le secteur n’est de fait plus régulé.
Enfin, une analyse limitée aux dernières années du contrat conclurait que la composante patrimoniale du tarif ne reflète plus la valeur du patrimoine hydraulique, mais passerait sous silence qu’un pareil décrochage entre le tarif d’exploitation et les coûts d’exploitation est à l’œuvre depuis 2002, et qu’en conséquence le tarif moyen en vigueur est devenu un indicateur largement défaillant pour apprécier l’efficacité du PPP.
Une méthodologie utile pour d’autres services
Combiner analyse des instruments formels du PPP et entretiens avec des acteurs majeurs du secteur s’est montré particulièrement fécond. Car les acteurs historiques, ceux qui ont conçu la réforme de 1995 et le premier PPP, sont pour la plupart toujours actifs dans le secteur. Ils sont dépositaires d’une mémoire institutionnelle précieuse pour une analyse sur le temps long, et en capacité de partager leurs réflexions sur les changements et dérives que le PPP a connus en plus de 20 ans.
Finalement, cette analyse du PPP sénégalais permet d’en comprendre de manière précise l’évolution, selon une méthodologie facilement réplicable pour d’autres services publics.
Sarah Botton, Sociologue PhD, chargée de recherche, AFD (Agence française de développement) et Christelle K. Pezon, Maître de conférences en sciences de gestion, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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