L’Afrique serait-elle en passe de devenir une colonie chinoise ?
Le président du Parlement européen, Antonio Tajani, a récemment mis en garde les Africains au sujet de leurs relations avec Pékin.
«L’Afrique risque aujourd’hui de devenir une colonie chinoise, les Chinois ne veulent que les matières premières. La stabilité ne les intéresse pas», a-t-il déclaré au quotidien allemand Die Welt en mars 2017.
«Les Européens n'ont pas vu venir»
Auteur et journaliste spécialiste de l'Afrique, passionné de la Chine, Julien Wagner reconnait que Pékin semble ne reculer devant rien pour atteindre ses objectifs sur un continent au formidable potentiel de croissance. Il constate, lui aussi que Pékin a fait main basse sur une partie des ressources naturelles de l'Afrique nécessaires à son développement. Mais il réfute les affirmations de ceux qui prêtent à la Chine des velléités colonialistes.
«C’est quand même étrange d’entendre le président du Parlement européen accuser la Chine de colonialisme alors que c’est un fait historique européen. Il faut voir ces déclarations à la lumière de la compétition en matière d’exploitation des ressources qui s’est installée depuis une dizaine d'années déjà entre le Vieux Continent et l'Empire du Milieu. Ce qui est clair, c’est que les Européens n’ont pas vu venir. Ils ont été dépassés très rapidement».
Julien Wagner est formel : les Occidentaux ne peuvent plus concurrencer la Chine en Afrique. Et il explique pourquoi.
«Parce que les moyens chinois sont démesurés par rapport aux leurs. Les entreprises chinoises ont derrière elles des réserves d’investissement colossales du fait des excédents commerciaux de la Chine avec les Européens et avec les Américains. Ce sont plusieurs milliers de milliards de dollars de réserves qu’ils peuvent investir en Afrique à travers des banques spécialisées qui sont la cheville ouvrière de l’investissement chinois en Afrique».
La gangrène de la corruption
Reste à savoir quelles sont les retombées pour l’Afrique de cette manne financière que Pékin déverse sur le continent. Des milliards de dollars qui ne servent pas toujours à améliorer le quotidien des populations en raison de la corruption.
«Le niveau de corruption, aussi bien du côté chinois que du côté africain, est très élevé. Entendons-nous bien, c’était aussi le cas avec les Européens. Mais depuis la fin des années 1990, les contraintes juridiques qu'ils se sont imposées ont permis d'en diminuer fortement le niveau. Malheureusement, l'avènement de la Chine en Afrique a pour ainsi dire prolonger l'expropriation des richesses au détriement des populations», constate Julien Wagner.
En revanche, souligne-t-il, l’entrée de la Chine en Afrique s’est accompagnée d'un développement des infrastructures de transport. Avec la construction des routes, des voies ferrées et d’autres ouvrages comme des palais présidentiels ou des stades.
Les prêts sont remboursés en or, en pétrole et en gaz
De grands projets réalisés moyennant des prêts consentis par les entreprises d’Etat chinoises. Depuis 2000, «le nouveau banquier de l’Afrique» aurait consenti 77 milliards d’euros aux pays africains. Et il est prêt à mettre le paquet pour les années à venir.
Des crédits faciles qui se sont transformés en piège pour certains Etats, devenus insolvables vis-à-vis de Pékin. C’est le cas de l’Angola dont le pétrole ne servirait plus qu’à honorer les 20 milliards de dollars que le pays doit à la Chine.
«Il faut savoir que la plupart du temps, les prêts ne sont pas remboursés en argent. Ils sont remboursés en or, en pétrole, en gaz ou en cuivre. Les entreprises chinoises se remboursent en exploitant, par exemple, du zinc sur 20 ans».
Comment dès lors, sortir de l'impasse? «Il n’y a pas beaucoup de solutions», explique Julien Wagner. «Où bien ils négocient un rééchelonnement de la dette, ou ils refusent de payer, ou ils acceptent de donner davantage de contrepartie à la Chine». Avec le risque d’hypothéquer leurs ressources naturelles sur plusieurs décennies, et de se retrouver sans le moindre revenu durant de très longues années.
«Quand les Chinois sont arrivés en Afrique, leur intention n'était pas de gagner de l’argent. Ils sont venus avec l’idée de mettre la main sur les ressources. L’intérêt stratégique était plus fort. Au fur et à mesure de quelques désagréments et de prêts non remboursés, ils n’ont pas stoppé les prêts, mais ils ont commencé à surfacturer pour contrebalancer les risques».
Exiger des transferts de technologies
Pour Julien Wagner, l’expérience des dix dernières années montre que face à la Chine, les Africains auraient intérêt à se serrer les coudes et à revoir totalement les termes du partenariat passé avec Pékin. Malgré le rapport de force trop déséquilibré entre les deux parties.
«Les Africains doivent faire comprendre aux Chinois qu’ils peuvent aller voir ailleurs si les conditions ne les satisfont pas. Qu’il faut des contrats mieux équilibrés notamment en matière de main d’œuvre pour que cela bénéficie aux populations locales. Que ces contrats doivent intégrer des transferts de technologie comme les Chinois le font eux-mêmes avec les Européens».
Julien Wagner note que Pékin est un adepte du rapport de force dans un sens comme dans l’autre. C'est-à-dire que si on lui résiste, Pékin saura négocier. D’autant plus, ajoute-t-il, que la Chine s’est installée en Afrique pour très longtemps et qu’elle va continuer à étendre son emprise sur le continent.
«Ils ne vont pas lâcher le morceau. Ils vont continuer à prendre des parts de marché aux Occidentaux et à faire de ce continent leur terrain de jeu. Les Africains peuvent s’en servir comme d’un levier de développement, mais aujourd’hui, on voit bien que ce n’est pas le partenariat gagnant-gagnant promis par les Chinois».
C’est donc aux Africains de prendre en main leur destin en s’industrialisant. En apportant de la valeur ajoutée à leurs industries extractives. Sinon, la venue de la Chine risque d’être le prolongement du colonialisme européen tant décrié sur le continent, conclut Julien Wagner
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