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Après la suppression des quotas, l'Europe va-t-elle se sucrer sur l'Afrique?

L’Europe vient de mettre fin aux quotas sucriers en vigueur depuis 1968. Résultat, avec l'ouverture du marché du sucre, l'Union européenne va passer d'une production déficitaire de 16 millions de tonnes à une production de 20 millions (avec un excédent de 4 millions) en 2018. Le marché mondial va être déstabilisé et l'Europe va devoir chercher de nouveaux débouchés. En Afrique notamment.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
L'ouverture des frontières va bouleverser le marché mondial du sucre. (Leemage)

«Désormais, les acteurs de la filière sucre française, comme leurs concurrents européens, peuvent produire autant de sucre de betterave (en Métropole) et de canne (dans les DOM) qu’ils le souhaitent, notamment en vue d’exporter une part croissante de leur production sur les marchés internationaux», écrit l’industrie sucrière. 

Fin des quotas et ouverture des frontières pour le sucre
La décision européenne va déstabiliser les marchés européens, bien sûr, mais ils ont eu le temps (et les moyens) pour s'adapter à la nouvelle donne. Cela va surtout peser sur les pays producteurs qui vont devoir faire face à cette concurrence directe et ultra-performante, surtout que, pour des raisons de santé notamment, la consommation européenne est stable.  

Parmi les pays européens, la France est particulièrement en pointe. Premier producteur européen et 10e mondial, elle «enregistre des rendements en betterave et en sucre à l’hectare parmi les plus hauts du monde», se félicitent les professionnels du sucre français. Des records de productivité français qui sont aussi recherchés par d'autres grands pays (Pays-Bas, Allemagne, Royaume-Uni...). Et cette productivité est appelée à augmenter. «A l’horizon 2020, la filière envisage d’accroître de 4% par an le rendement des betteraves grâce au programme de recherche AKER», promet l'industrie.  


L'Europe prête à exporter son sucre
La France possède des groupes de taille mondiale. «Tereos (Beghin-Say) et Cristal Union (Daddy), les deux groupes coopératifs ferrailleront néanmoins en Afrique, un continent que tous deux convoitent. Le numéro un européen, l'allemand Südzucker (Saint-Louis), veut lui multiplier par deux ou trois ses exportations dans le monde. Dans sa ligne de mire: la région méditerranéenne, l'Afrique et l'Asie», rapportent Les Echos. Les mastodontes du secteur se sont préparés pour l'ouverture de ce marché. La filière française évoque déjà l’importance de la filière transport et notamment des ports dans cette stratégie. Par exemple, le groupe Cristal Union a pris 35% d'une joint-venture nouée avec le groupe LaBelle en Algérie, un des plus gros consommateurs de sucre dans le monde avec 35 kilos par personne et par an. «La co-entreprise, expliquent les Echos, qui sera bénéficiaire dès la première année, a investi 145 millions d'euros dans la construction d'une raffinerie à Ouled Moussa, à 33 kilomètres d'Alger» et servira de tête de pont vers l'Afrique. 

Progression de la consommation mondiale de sucre (capture écran isosugar.org) (ISO isosugar.org)

Un marché du sucre déstabilisé
Certes, la hausse du niveau de vie des classes moyennes mondialisées permet à l'industrie sucrière une croissance régulière malgré les campagnes mettant en garde sur les dangers du sucre, mais sur ce marché, l'ouverture des frontières va profondément changer la donne pour certains pays producteurs.

L’arrivée sur le marché mondial du sucre européen va déstabiliser les autres pays gros producteurs comme le Brésil (sucre de canne) et les pays qui tentent de lancer leur propre production comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire. Pour Jeune Afrique, «le Swaziland, l’Île Maurice ou encore le Mozambique, qui figuraient parmi les principaux exportateurs vers l’Union européenne en vertu des accords TSA-APE, pourraient en faire les frais». Et le journal de citer la Commission européenne: «l’Union européenne, très attentive à la situation des planteurs de canne à sucre dans les pays en développement, va allouer plus de 1,2 milliard d’euros à la restructuration de leurs activités et leur diversification dans les 18 pays qui fournissent traditionnellement la zone.» 


Afrique: terre de conquête sucrière
La consommation de sucre en Afrique reste globalement faible, à l'exception des pays d'Afrique du Nord, et notamment l'Egypte. Côté production, «le continent africain est divisé en une zone déficitaire composée principalement des pays de l’Ouest, du centre et de l’Est ; et une autre enregistrant un surplus de production représentée par les pays d’Afrique australe. Ce dernier bloc qui englobe les principaux pays producteurs de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), notamment Maurice, le Malawi, le Mozambique, le Swaziland, la Zambie, le Zimbabwe et l’Afrique du Sud, fournit environ 65% du sucre produit en Afrique subsaharienne», détaille l’Agence Ecofin.

Par rapport à sa consommation, l'Afrique connaît un important déficit. Le journal marocain Leseco note que «les projections de la région Afrique et Moyen-Orient, tablent sur un doublement du déficit sucrier sur les dix prochaines années», à en croire un responsable mastodonte agroalimentaire asiatique Wilmar, lactionnaire du groupe sucrier marocain Cosumar. «La suppression des quotas aura pour conséquence directe une hausse (de la quantité de) sucre européen exportable et moins de demandes pour les pays bénéficiant jusqu’ici de régimes préférentiels qui devront désormais rechercher de nouveaux débouchés.» Logiquement, alors que le prix du sucre est en forte baisse, les groupes les plus puissants et les régions à la productivité la plus forte devraient s'imposer.

Des investissements dans ce secteur ont déjà été annulés en Afrique (le marocain Cosumar aurait renoncé en 2016 à son projet d’investissement de 90 millions d’euros dans un projet sucrier au Cameroun), selon Jeune Afrique. Le journal estime que le continent, «qui compte 15% de la population mondiale, représente 10 à 12% de la consommation mondiale de sucre. Il y a donc une belle marge de progression, que veulent conquérir aussi bien le N°1 européen, Südzucker, que les géants français Tereos et Cristal Union.»

La production de sucre en Afrique reste fragile. C'est ainsi qu'en Afrique du Sud, le secteur a connu une diminution de la rentabilité dans la production de canne, des baisses régulières du nombre d'hectares utilisés pour cultiver de la canne à sucre, selon une étude de l'Université de Pretoria.


Le sucre peut peser sur la santé
En Afrique, la consommation de sucre est assez récente. Elle traduit des modifications de comportement alimentaire des catégories sociales les plus favorisées, mais aussi des conséquences de la mondialisation de la consommation avec l'arrivée des produits des grandes firmes agro-alimentaires, dont le sucre est un des éléments (les sodas notamment). 

En Afrique du Sud, le gouvernement qui voulait taxer les boissons sucrées a été obligé de repousser sa décision en raison, officiellement, des difficultés de sa production sucrière. Or, ce type de taxation, selon l'Organisation mondiale de la Santé (OMS) «permet de faire baisser la consommation de ces produits et de faire reculer le nombre de cas d’obésité, de diabète de type2 et de caries dentaires». 


Les dangers liés à la consommation excessive de sucre sont connus. «En 2015, 42 millions d’enfants de moins de cinq ans présentaient un surpoids ou étaient obèses. Ceci correspond à une augmentation du nombre de cas de 11 millions environ au cours des 15 dernières années. Près de la moitié (48%) de ces enfants habitaient en Asie et 25% en Afrique», prévient l'OMS. L'Afrique pourrait connaître le même phénomène sur le sucre, très contesté en Europe, qu'elle a connu pour le tabac

«Le sucre n’est pas nécessaire du point de vue nutritionnel. L’OMS recommande de maintenir l’apport éventuel en sucres libres à moins de 10% des besoins énergétiques totaux et de le ramener à moins de 5% si l’on veut obtenir des bienfaits supplémentaires sur le plan de la santé. C’est l’équivalent d’un seul verre de 250 ml de boisson sucrée par jour», dit le Dr Francesco Branca, Directeur du département Nutrition pour la santé et le développement de l’OMS.
 
En Afrique, le nombre d’enfants en surpoids ou obèses a pratiquement doublé, passant de 5,4 millions en 1990 à 10,6 millions en 2014, selon l’OMS. Quant au diabète, il a progressé d’un taux de 3.1 % en 1980, à 7.1 % en 2014, (passant de 4 millions à 25 millions d’individus atteints), selon une étude.  Et ces chiffres datent d'avant l'ouverture du marché du sucre.

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