Cet article date de plus de sept ans.

Aïssata Diakité: ambassadrice malienne du «produit et consommé en Afrique»

Aïssata Diakité a créé une entreprise de production de jus de fruits dans son pays, le Mali. Fin 2017, Zabbaan Holding et la cinquantaine d'emplois directs et indirects générés devraient réaliser un chiffre d'affaires de 800.000 euros. La jeune Malienne est l'une des «Young Leaders» dénichée par la fondation AfricaFrance présidée par l'ancien Premier ministre béninois Lionel Zinsou. Entretien.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Aïssata Diakité, fondatrice et directrice générale de Zabbaan Holding  (Aïssata Diakité/Montage Géopolis Afrique)

La fondation AfricaFrance, qui présentait le 2 juillet 2017 la première promotion de ses «Young Leaders», les considère comme «vingt très haut potentiels d'Afrique et de France». Parmi eux Aïssata Diakité, 28 ans, directrice générale de Zabbaan Holding, «société agro-alimentaire équitable» qu'elle a créée au Mali, le pays qui l'a vue naître. «Nous avons mis en place notre réseau d'agriculteurs, explique-t-elle. Nous essayons de travailler avec eux mieux et autrement, c'est-à-dire en respectant les normes et en assurant la traçabilité. Le challenge, c'est de mettre sur le marché africain des produits nutritionnels, naturels, consommables en Afrique et référénçables de par le monde. Je suis «l'ambassadrice» de cette Afrique qui va produire et consommer africain. L'Afrique crée sa valeur ajoutée pour employer toute cette jeunesse qui a besoin de travail.» 

Comment l’aventure Zabbaan Holding a-t-elle démarré?
J’ai fait mes études d’agro-alimentaire en France. Dans les rayons, les produits diététiques ou énergisants contiennent beaucoup de nos matières premières africaines. Pendant ma formation (Aïssata Diakité est ingénieur en agro-business, NDLR), j’essayais d’inciter mes professeurs à les utiliser pour en faire des jus, entre autres. J’ai donc muri ce projet autour de valeurs comme la nutrition, la santé et la valorisation de ce potentiel agricole. On a mis quatre ans pour développer le projet. Fin 2015, nous sommes entrés dans le processus de création et l’entreprise est née début 2016. Mais elle était totalement opérationnelle parce que j’avais déjà achevé l’étape de levée de fonds...

Les jus de fruits produits par Zabbaan Holding (DR/Zabbaan Holding)

Comment s'est déroulée cette phase? 
Elle a été très difficile. Je suis francophone mais ce sont des investisseurs anglophones qui m’ont d’abord fait confiance. Chaque fois que je présentais le projet, les gens me répondaient: «Ça ne va jamais marcher !» Quand j’ai fini la recherche et le développement en France sur les matières premières sélectionnées, avec l’objectif d’en extraire des produits de qualité et référençables, je leur disais: «Goûtez mes produits, après on discute!» C’est une approche qui m’a été favorable.

La confiance de ce fonds de garantie anglophone m’a permis d’enclencher le processus de levée de fonds. Leur aide a été couplée avec celle du fonds de garantie du secteur privé du Mali et j’ai travaillé avec une banque locale. Quand l’entreprise est née, mon équipe était déjà prête, mais les équipements sont arrivés après car j’ai dû faire d'autres démarches administratives, souvent très lourdes en Afrique. Notamment pour obtenir l’agrément, la patente, les autorisations pour faire de l’import-export dans un pays enclavé…

Les jus de fruits Zabbaan autour du fruit qui donne son nom à la marque (DR/Zabbaan Holding)

Vous êtes née au Mali, fait vos études supérieures en France et vous avez décidé de retourner dans votre pays en sachant les difficultés qui seraient les vôtres. Mais qu’est-ce qui vous a le plus étonné?
Quand on appartient à la diaspora africaine et qu’on retourne dans son pays, on est tout simplement rejeté. Et c’est très difficile. D’ailleurs, j’en souffre toujours. Nous ne sommes pas compris et on fait l’objet de réflexions, du genre: «La petite Française-là, elle pense qu’elle sait tout…» ou «Elle nous fatigue!» Résultat: l’environnement n’est pas favorable.

C’est vraiment un challenge au quotidien. Il faut se battre pour pouvoir avoir ses documents. Ne serait-ce que pour se faire enregistrer auprès des impôts. C’était tellement compliqué que j’ai dû demander l’intervention de certaines autorités pour me faciliter la tâche. Les difficultés sont multiples: par exemple, il faut faire reconnaître son diplôme français au Mali. Au total, il y a beaucoup de démarches administratives à faire.

Et il ne faut pas oublier la corruption. Souvent, ce n’est pas le ministre qui est fautif, c’est plutôt sa secrétaire ou la personne qui nous reçoit. Ces derniers ne comprennent pas les enjeux de notre projet. C’est une problématique africaine dont les Etats et les décideurs devraient s’emparer afin que ces personnes comprennent que les acteurs qui viennent se déclarer le font pour contribuer au développement de leur pays. Ces intermédiaires rejettent les gens, mettent nos dossiers au bout de la table parce qu’ils ont juste besoin d’un petit billet. Ils ne le réclament même pas toujours et quand on appartient à la diaspora, on a d'autres codes. 

Et qu’est-ce qui vous réjouit le plus dans cette aventure entrepreneuriale au Mali?
C’est l’ouverture d’esprit. Je travaille avec tous les acteurs de mon environnement: des incubateurs pour les aider et collaborer avec eux sur certaines problématiques, des structures publiques comme l’agence pour la promotion des investissements du Mali qui n’hésite pas à me demander quelles sont mes difficultés, ce qui constitue une piste de travail pour eux.

Je n’hésite pas non plus à aller vers les ministères pour échanger avec eux et être une force de proposition. L’entrepreneuriat m’a changée: je suis plus active. Enfin, l’aspect le plus positif de tout cela, c’est que je me sens vraiment utile. J’ai renoncé à un poste à l’Association française de normalisation en France pour lancer Zabbaan Holding au Mali. 


Comment travaillez-vous avec les acteurs de la filière agricole qui produisent vos matières premières?
Je travaille avec un réseau d’agriculteurs que j'ai mis environ trois ans à constituer. Nous allons d'ailleurs bientôt les mettre en coopérative. Nous nous fournissons chez eux, d’une part pour garantir nos approvisionnements, et d’autre part pour assurer la traçabilité de nos produits. 

La gamme Zabbaan est référençable à l’international. Des grands groupes de la distribution sont aujourd'hui intéressés par nos produits. Par ailleurs, j’essaie de faire de mon entreprise un projet intégrateur pour pouvoir lever des fonds et travailler avec des institutions internationales qui, elles, peuvent appuyer les agriculteurs afin de trouver des solutions aux problèmes qui sont les leurs. Zabbaan Holding ne peut pas tout porter. 

Mais c'est déjà une entreprise prometteuse...
Aujourd’hui, ça marche très bien. Je continue d’innover. J’ai beaucoup de demandes un peu partout dans le monde. Du coup, je suis en train de m’implanter en France, notamment en travaillant avec des pôles de compétitivité pour pousser l’innovation et gagner du temps sur le marché et la concurrence.


Vous avez combien d’employés aujourd’hui? Quel est votre chiffre d’affaires?
L’entreprise compte 27 employés. D’ici 3 ou 4 mois, nous serons une trentaine. Nos effectifs comprennent aussi des emplois indirects: 25 femmes qui viennent renforcer nos équipes. D’ici fin 2017, nous devrions atteindre 800.000 euros de chiffre d’affaires.

Qui sont vos clients au Mali?
Aujourd’hui, 60% de la clientèle est constituée d’expatriés. Les 40 autres sont des nationaux: ce qui m’inquiète beaucoup parce que je souhaite qu’ils s’intéressent davantage à nos produits. Quand ces derniers voient le packaging, ils se disent «c’est très français». La bouteille est à 1000 francs CFA (1,5 euros). Mais c’est un jus concentré, un smoothie… Certains le diluent. D’ailleurs, les gens me conseillent de diluer tout simplement la recette.

Nous sommes en train de travailler sur une autre gamme, nutritionnelle et abordable, dont les produits seront vendus à 500 francs CFA. Nous vendons aussi bien à des particuliers qu'à des entreprises. Nous livrons à domicile à partir de 25 bouteilles. En outre, pour les évènements, par exemple les tontines que nos mamans organisent chaque week-end, nous baissons les prix... Bref, nous mettons en place toutes les stratégies pour inciter à la consommation du naturel et du local.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.