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Sami Outalbali : "Une histoire d'amour et de désir" évoque "une masculinité qui n'est pas nouvelle mais que l'on ne montre peut-être pas assez"

Le comédien français Sami Outalbali revient sur le personnage d'Ahmed, héros du dernier film de la cinéaste Leyla Bouzid. 

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
L'acteur français Sami Outalbali reçoit le Valois de l'acteur du meilleur acteur lors de la cérémonie de clôture du Festival du Film d'Angoulême qui s'est achevé le 29 août 2021.  (YOHAN BONNET / AFP)

Dans Une histoire d'amour et de désir, le deuxième long métrage de la réalisatrise franco-tunisienne Leyla Bouzid qui sort le 1er septembre, Sami Outalbali incarne Ahmed, un étudiant français d'origine algérienne de 18 ans. Sa rencontre avec Farah, une jeune Tunisienne incarnée par Zbeida Belhajamor, sur les bancs de l'université va abattre petit à petit son mur de préjugés sur l'érotisme et l'amour. Leyla Bouzid filme cet apprentissage et cette découverte de soi avec la douceur qu'exige le témoignage d'une éclosion. Au dernier Festival du Film francophone d'Angoulême, le long métrage a remporté le Valois de diamant du meilleur film et Sami Outalbali est reparti avec le Valois de l'acteur (prix d'interprétation masculine). Entretien.

Franceinfo afrique : qu'est-ce qui vous a attiré dans le personnage d'Ahmed ?

Sami Outalbali : la distance et la complexité. La distance qu’il a avec moi et le parcours qui est le sien pour arriver à accepter son désir et ses sentiments. Ahmed est un garçon complexe qui est plein de questionnements, d’incertitudes, de doutes, d’idées préconçues, imposées ou suggérées par son entourage, dont il doit se débarrasser pour réussir à s'accepter.

Comment Leyla Bouzid vous a-t-elle présenté ce rôle ?  

Leyla m’avait vu dans une série qui s’appelle Fiertés et elle m’avait envoyé un message. Nous avons bu un café et elle m’a parlé de ce film et de ce personnage. Elle m'a dit qu'elle voulait filmer les corps masculins avec beaucoup de simplicité et d'honnêteté. J’ai été happé par l’idée quand elle m'en parlait, et quand je l’ai lu, je suis tombé amoureux du projet.

Votre partenaire de jeu est la comédienne tunisienne Zbeida Belhajamor. De quelle manière avez-vous abordé votre relation ?  

Je la trouve extraordinaire. C'est son premier film et je trouve qu'elle le mène d'une manière incroyable. En termes de jeu, c'est un bonheur de l'avoir comme partenaire parce qu'elle arrive exactement à me renvoyer ce dont Ahmed a besoin. C'était d'une facilité folle avec elle, comme avec tous les autres acteurs du film. 

Dans le couple que vous formez, c'est Farah qui apparaît comme étant la plus libérée de vous deux...

C'est Farah parce que c'est une femme forte et intelligente. Elle ne se sert pas de son milieu et de ses origines, à l'instar d'Ahmed parfois, comme excuses à ses blocages, à ses doutes et préjugés. Elle est d'une patience qui est mise à rude épreuve parce que ce n'est pas à elle de faire l'éducation sentimentale d'Ahmed. 

Quelle éducation sentimentale s'offre-t-on justement pour préparer le rôle d'Ahmed ? 

D'abord, je me suis dit que pendant le tournage, il ne fallait pas que j'ai quelqu'un dans ma vie et il se trouve que je n'avais personne à cette période-là. Cela tombait bien parce que je trouvais bizarre de jouer toute la journée quelqu'un qui n'a jamais connu l'amour et, le soir, rentrer chez moi et être en couple. J'ai beaucoup cherché Ahmed par le biais du corps. J'ai beaucoup travaillé la démarche d'Ahmed dans la rue en allant dans le bureau de préparation du tournage. Les costumes m'ont beaucoup aidé parce que je ne les aime pas du tout. Je trouve ce qu'il met très moche, ça n'a aucun rapport avec moi (rires). Du coup, comme je n'étais pas du tout à l'aise dans les costumes, mon corps se rapprochait du personnage. Ensuite, j'ai beaucoup lu le scénario aussi bien de mon côté qu'avec Leyla. Nous avons passé des heures à analyser les scènes et à découper le scénario. Je me suis aussi préparé en lisant Majnûn Leyla (Le fou de Leyla, célèbre récit d'un amour fou très populaire dans le monde arabe, NDLR), en essayant de lire des textes évoqués dans le film et de m'ouvrir à cette littérature et à la littérature un peu plus générale. 

Connaissiez-vous cette littérature arabe sur le désir et l'amour avant de faire ce film ? 

Je ne la connaissais pas. Je l'ai découverte en lisant le scénario pour la première fois. J'ai ainsi entendu parler de Majnûn Leyla, Le fou de Leyla. J'ai cherché ce livre dans Paris et j'ai fini par le trouver et je l'ai lu. C'est un texye magnifique. 

L'éducation sexuelle et amoureuse d'Ahmed est influencée, entre autres, par une perception rétrograde du rapport amoureux et de celui avec les femmes dans cette banlieue parisienne où il vit. Du coup, elle est assez limitée...

Elle est presque inexistante. C'est du porno et voilà. A cela s'ajoute les conseils douteux de ses amis. L'un est complètement enfermé dans des fausses traditions qu'il s'est créé lui-même et l'autre ne vit que de rêves et de fantasmes, un peu comme Ahmed d'ailleurs. Saidou (Diong-Kéba Tacu) vit de paroles et il est aussi effrayé qu'Ahmed à l'idée d'être confronté aux femmes. J'ai passé mon enfance en banlieue et, du coup, les conseils de son "grand-frère" dans le film, je les ai toujours beaucoup entendus. De même, les discussions avec Saidou sont celles que nous avions quand on n'avait rien vécu. Cette vie de rêve que l'on s'inventait, ces discussions de grands connaisseurs qui n'y connaissent rien. Tout cela faisait écho à beaucoup de choses de mon adolescence.

Ce film prend le contre-pied de cette image de l'homme viril et macho dans le monde arabo-musulman qui circule majoritairement aujourd'hui. C'était un défi pour vous d'incarner ce personnage qui apporte de la nuance ? 

Pas un défi mais une fierté. Je trouve que c'est important de le montrer. Le film parle de cet homme arabo-musulman mais également de la masculinité de façon générale, de la manière dont on la voit et la représente, de la manière dont on représente la première fois chez les hommes qui est soit un sujet de blagues, soit un défi ou une course ou encore quelque chose dont on doit se débarrasser vite, on s'en fout un peu de la manière dont on le fait. C'est intéressant de représenter un personnage pour qui justement c'est important. Ahmed est sensible et émotif. Il est enfermé dans beaucoup de préjugés et d'informations non fondées. Cependant, il est très à l'écoute de son corps et de sa conscience. 

Ahmed a de nombreuses discussions dans le film, notamment avec son père, journaliste algérien qui a fui son pays pendant la décennie noire (guerre civile algérienne où les intellectuels étaient la cible des terroristes islamistes, NDLR). Il y est question de cette transmission de la langue arabe. Comment avez-vous abordé cette relation qu'Ahmed a avec son père ? 

Je me suis laissé porter par cet acteur merveilleux, Samir (Elhakim), qui joue mon père. Cette relation fait écho à celle, bien réelle, de beaucoup de jeunes hommes avec leur père ou leurs parents,  sur ce manque de dialogue parfois sur nos origines, nos langues et notre culture qui ne sont pas de leur fait mais parce qu'ils ont vécu des drames dont on n'a pas idée. Ahmed les comprend d'ailleurs mais il se demande si ça ne valait pas le coup pour son père d'essayer de les surmonter pour son fils, ses enfants. 

Qu'est-ce que cela apporte au récit, ou c'est juste un contexte comme un autre, que les héros d'"Une Histoire d'amour et de désir" soit d'origine maghrébine ?  

C'est un contexte comme un autre mais c'est important parce que cela soulève d'autres sujets. Ce qui est triste, c'est qu'on ne les ait pas soulevés avant. Cela rajoute le poids qu'il y a derrière eux et les préjugés dont ils peuvent être l'objet. Quand on est un jeune garçon d'origine africaine, on porte les préjugés que les autres ont sur nous et on n'en est pas conscients. On a une couleur de peau, des origines et une culture qui nous accompagnent et on vit en Occident avec les préjugés qui nous sont accolés. Ces derniers sont tellement présents qu'ils ont fini par infiltrer notre propre communauté. Et c'est ce que je trouve violent. Karim (Bellamine Abdelmalek), son "grand-frère" dans le film qui est aussi Algérien, est l'esclave et le pantin complet des préjugés que les gens de l'extérieur ont sur nos origines. Cette littérature (évoquée dans le film) est là pour prouver que les préjugés que l'on a aujourd'hui sur notre culture et nos peuples n'ont aucun fondement. Et on le sait depuis la nuit des temps. Quand on lit Les Mille et une nuits, c'est d'une sensualité extraordinaire.

Qu'espérez-vous que ce film apporte aux jeunes hommes qui ont souvent du mal, comme Ahmed, a gérer leur sexualité et les choses de l'amour ?

Ce film évoque une masculinité qui n'est pas nouvelle mais que l'on ne montre peut-être pas assez. Il leur montre qu'elle est normale et même recommandée parce qu'elle est à l'écoute. On a le droit d'être sensible et fragile. En somme, on a le droit d'être soi-même.

Une histoire d'amour et de désir, de Leyla Bouzid
Avec Sami Outalbali, Zbeida Belhajamor et Diong-Keba Tacu
Sortie française : 1er septembre 2021

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