L’Afrique, ce continent qui a la plus ancienne histoire du monde
Pourquoi avoir intitulé cette exposition L’Afrique des routes?
Il s’agit d’évoquer tous les modes de circulation des humains, des objets, des idées, des marchandises. Tout ce qui a interféré au niveau culturel, politique, économique entre l’Afrique et le reste du monde. De tout temps, le continent a été impliqué dans les divers systèmes de mondialisation, les grands ensembles d’échanges. Avec la Méditerranée dès le début de notre ère. Il y a aussi eu des relations intenses avec l’océan Indien à partir du début du Ve siècle de notre ère.
Les Européens sont arrivés en Afrique 2000 ans après les Indiens et les Chinois. Ceux-ci ont ainsi fait grand usage de l’ivoire africain, qui a circulé en Europe bien avant la colonisation. Une peinture chinoise du Xe siècle montre même un esclave noir à Canton, une autre une girafe venue d’Afrique! Il faut aussi savoir qu’au Moyen Age, la plus grande partie de l’or en circulation dans le monde venait de l’Afrique occidentale et australe. Au XIVe, le pèlerinage fastueux à la Mecque de l’empereur du Mali, Kankan Moussa, au XVe celui de l’empereur de Gao, ont ainsi enthousiasmé les chroniqueurs arabes.
Dans le même temps, les études linguistiques montrent que les langues du continent se sont mêlées à d’autres idiomes extérieurs. C’est le cas des langues afro-asiatiques comme le berbère et l’arabe, arrivés par l’Arabie et l’Est.
Autre exemple démontrant l’ancienneté des échanges avec l’extérieur: la route des plantes qui allaient d’Asie en Amérique, ou l’inverse, toujours en passant par l’Afrique. C’est le cas de la banane, venue d’Asie au VIIIe siècle. Ou du riz, venu d’Asie et d’Afrique, ou encore du café originaire d’Ethiopie, et apportés en Amérique par les esclaves de la traite des Noirs.
Autant de choses montrant que l’Afrique a une histoire. Laquelle est la plus vieille du monde. Car les spécialistes s’accordent aujourd’hui pour situer au sud du Sahara les origines de l’être humain.
Pourquoi cette histoire est-elle méconnue?
Tout cela contribue à expliquer que l’on n’ait pas tenu compte de l’histoire africaine.
Dans le même temps, on a occulté le fait que l’économie occidentale a reposé largement, jusqu’au XVIIIe, sur l’économie sucrière. Donc sur l’esclavage et la déportation de 12 millions de personnes. On ne parlait que du commerce, et non pas de la quantité de travail à la source de ce commerce et de ses richesses. Là encore, la considération sur l’Histoire en a été faussée.
Mais d’autres facteurs y ont contribué. Comme le fait que la technologie africaine est apparue plus tardivement pour des raisons complexes proposées par les historiens.
Il faut aussi tenir compte du fait qu’en Occident, on est confronté à un problème idéologique qui fait de l’écriture le point de rupture avec la Préhistoire. Alors que le point de rupture est bien antérieur: c’est la domestication de l’agriculture. Or, les cultures africaines sont très orales. Le besoin d’une écriture ne s’est donc pas forcément fait sentir sur le continent.
En parcourant l’exposition, on constate que l’Afrique a très souvent été pillée par le reste du monde. En clair, dans le passé, ses échanges extérieurs étaient très rarement égalitaires, notamment à travers la colonisation. A quoi cela tient-il?
Il est difficile d’apporter une réponse sur ce point. Cela peut être lié aux différences économiques et sociales. Dans le passé, les sociétés africaines étaient souvent des sociétés paysannes de subsistance, prudentes et conservatrices. Elles ne connaissaient pas la notion de propriété privée, permettant à un seul individu d’acheter des terres pour investir et accumuler des richesses. L’organisation sociale n’était pas favorable à l’investissement.
Au VIII-Xe siècle, l’empire du Ghana et, un peu plus tard, celui du Mali, étaient pourtant très riches. Mais ils n’ont pas investi leur or. A la différence de pays européens comme l’Angleterre et la France.
Comment, aujourd’hui, peut-on voir l’avenir de l’Afrique?
Je pense qu’on assiste à un démarrage de ce continent, qui s’inscrit autant que les autres dans la mondialisation. Un processus accéléré par internet et le téléphone portable, qui multiplient les contacts avec l’ensemble du monde. Un pays comme le Mali possède ainsi, en la matière, l’un des taux d’équipements les plus importants du monde.
Dans le même temps, on constate l’émergence d’une classe moyenne qui se forme dans les universités locales et étrangères, et investit. De leur côté, les grandes firmes internationales s’intéressent au continent.
Durant les 20 dernières années, on a pu observer que de six mois en six mois, la situation a changé. Une chose est sûre: la mondialisation est bien à l’œuvre en Afrique qui n’a jamais été hors du monde. Mais ce que cela donnera au final, je n’en sais rien.
Professeure des universités, Catherine Coquery-Vidrovitch a dirigé un laboratoire CNRS sur les pays du Sud à l’université Paris Diderot/Paris 7. Parmi ses ouvrages les plus récents: Petite histoire de l’Afrique, La Découverte, 2011; Les Africaines, La Découverte, 2013; Être esclave. Afrique-Amériques XVe-XIXe siècles (en collaboration avec Éric Mesnard), La Découverte, 2013.
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