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Côte d’Ivoire: les trois jours qui ont mis fin au pouvoir de Laurent Gbagbo

L'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo comparaît devant la Cour pénale internationale. Il est accusé d'avoir commis des crimes contre l'humanité à la suite de la crise post-électorale de 2010 qui a signé la fin de son règne. Retour sur les 72 heures qui scellèrent son avenir politique et juridique.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un partisan de Laurent Gbagbo brandit un tract à l'effigie de l'ancien président ivoirien, où l'on peut lire «11 avril - Solidarité avec Laurent Gbagbo», pendant une manifestation le 11 avril 2015 marquant l'anniversaire de son l'arrestation


 (AFP PHOTO/SIA KAMBOU)

L'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo est de nouveau devant la Cour pénale internationale (CPI) depuis le 28 janvier 2016 pour répondre de «crimes contre l'humanité, perpétrés à Abidjan, en Côte d'Ivoire, conjointement avec les membres de son entourage immédiat, et par l'intermédiaire des forces pro-Gbagbo ou à titre subsidiaire». A l'ouverture de son procès, la procureure Fatou Bensouda a accusé l'ancien dirigeant de s'être accroché au pouvoir «par tous les moyens» à la suite de la crise post-électorale de 2010. Elle fera plus de 3000 morts. 

Le différend électoral qui a plongé la Côte d'Ivoire dans une crise politique en 2011 relève de plusieurs facteurs. Le temps est l'un d'eux. Il faut remonter au coup d'Etat raté du 19 septembre 2002 pour en comprendre l'importance. Le pays se retrouve divisé en deux à la suite du putsch : la ville de Bouaké, au centre, devient la frontière entre les rebelles et les forces loyalistes. Pour sortir de l'impasse politique, il faut absolument organiser des élections. 

Une élection historique
Pour la médiation, il s'agit de convaincre Laurent Gbagbo, qui brandit sa légitimité (il a été élu en 2000 pour un mandat de cinq ans lors d'un scrutin déjà controversé), d'organiser des élections en 2005. Il faudra attendre la signature de l'Accord politque de Ouagadougou (APO) en mars 2007 pour que l'espoir d'une élection se profile. Cependant, la Côte d'Ivoire ira de report en report avant que le scrutin devienne réalité.    

Le premier tour de l'élection tant attendue est fixé au 31 octobre 2010. Il se déroulera sans heurt particulier. Les Ivoiriens sont de nouveau convoqués le 28 novembre pour le second tour : Laurent Gbagbo, leader du Front populaire ivoirien (FPI) et de La Majorité présidentielle (LMP) est opposé à Alassane Ouattara, président du Rassemblement des républicains (RDR) et canditat de la coalition du Rasssemblement des Houphouétistes pour la paix (RHDP). 

Trois longs jours
La Commission éléctorale indépendante (CEI, composé à majorité par les membres de l'opposition en conformité avec l'accord de 2007) a trois jours pour proclamer les résultats du scrutin. La veille de l'expiration du délai (mardi 30 novembre 2010), les dissensions apparaissent au sein de l'organe. Devant les caméras, son porte-parole est empêché d'annoncer les résultats provisoires du second tour par les représentants du camp présidentiel au sein de la CEI. Pour les analystes politiques, Laurent Gbagbo veut jouer la montre afin que la décision finale appartienne au Conseil constitutionnel acquis à sa cause. 

Youssouf Bakayoko, qui préside la CEI, se veut pourtant rassurant le mercredi 1er décembre alors que le délai imparti à la CEI expire quelques minutes plus tard. Après avoir remercié les Ivoiriens pour leur «patience», il rappelle sur les ondes de la télévision publique ivoirienne (RTI): «Il s'agit de problèmes d'une grande importance. Il n'est pas encore minuit, donc nous continuons de travailler.»


La CEI n'arrivera pas à respecter le délai constitutionnel. Il faudra attendre le jeudi 2 décembre pour connaître les résultats du second tour de la présidentielle. La chronologie de cette journée sera décisive pour l'avenir de la Côte d'Ivoire. «Tout s’est accéléré dans la deuxième partie d’après-midi du 2 décembre 2010 quand le président de la Commission électorale indépendante, Youssouf Bakayoko, arrive à l’Hôtel du Golf d’Abidjan. Peu de journalistes l’attendent, car rares sont ceux qui sont au courant de sa venue», rapportent les correspondants de RFI


«Le Président de la CEI  a réussi à proclamer les résultats du second tour sur les ondes d’une chaîne de télévision étrangère (la chaîne française France 24, NDLR) et sous protection armée, depuis le siège de campagne du RDR (Rassemblement des républicains, le parti du candidat déclaré vainqueur, NDLR). Le candidat Alassane Ouattara a été reconnu vainqueur du second tour de l’élection, avec 54,1% des suffrages», peut-on lire dans le rapport de mission des observateurs européens à la suite du scrutin présidentiel de 2010. 


«Il s’agit de résultats provisoires qui doivent encore être validés par le Conseil constitutionnel, écrivent les journalistes de RFI. Et justement, une heure plus tôt, son président Paul Yao N'Dré, un proche de Laurent Gbagbo, avait tenu une conférence de presse pour dire tout autre chose. Autre son de cloche, autre ambiance, et contrairement à l'Hôtel du Golfe, il y avait là une équipe de la télévision publique ivoirienne.» Le président du Conseil constitutionnel Paul Yao N'Dré constatait alors la défaillance de la commission électorale. 

«Pour cause de divergence portant sur les résultats de certaines régions, la CEI n'a pu donné des résultats provisoires. Le Conseil constitutionnel, chargé du contentieux en matière d'élection présidentielle se trouve saisi pour vider le contentieux et proclamer les résultats définitifs (du scrutin)», explique Paul Yao N'Dré. Il s'exprimera de nouveau dans la soirée sur les ondes de la télévision publique ivoirienne pour expliquer que la CEI est «forclose» et que son institution prend la relève dans le processus électoral. 


L'arbitre onusien
A quelques minutes près, deux informations contradictoires envahissent l'espace médiatique mais le public n'est pas le même : l'un est international, l'autre national. Le 3 décembre 2010, le Conseil constitutionnel invalide formellement les résultats communiqués par la CEI et annonce la victoire du président sortant Laurent Gbagbo. La Côte d'Ivoire a désormais deux présidents.  

Interrogé sur le cafouillage entourant l'issue du scrutin lors d'une conférence de presse, le 3 décembre 2010, le représentant spécial du sécrétaire général des Nations Unies en Côte d'Ivoire Young-Jin Choi fait la réponse suivante : «Il ne devrait pas y avoir de confusion. Pourquoi ? Parce que le gouvernement ivoirien a invité le Conseil de Sécurité à me donner le mandat de certifier le résultat des élections en Côte d’Ivoire. Certifier. Il y avait deux résultats, l’un par la Commission, l’autre par le Conseil constitutionnel. Je suis là pour certifier avec l’autorité finale», explique le diplomate onusien.

Il rappelait plus tôt que le dernier mot dans ce processus électoral appartenait aux Nations Unies : «Comme c’était le cas pour le premier tour, les étapes ainsi que la parole finale, c’est clair. D’abord c’est la commission électorale indépendante, ensuite le Conseil constitutionnel et la certification. Voilà, ce que j’ai fait au premier tour, voilà ce que je fais aujourd’hui.» 

Capture d'écran du site Abidjan.net. Elle illustre le contentieux électoral qui a conduit à la crise post-électorale de 2010.  (DR)


Certification
Et de poursuivre : «En tant que certificateur, j’ai analysé tous les procès-verbaux que j’ai reçus de la CEI. Voici ma conclusion : même si toutes les réclamations déposées par la Majorité présidentielle étaient prises en compte en nombre de procès-verbaux, et donc de votes, le résultat tel que proclamé par le Président de la CEI le 2 décembre ne changerait pas, confirmant que le candidat Alassane Ouattara est le vainqueur de l’élection présidentielle. Voilà la certification des élections en Côte d’Ivoire (...)» Ce même processus fut utilisé au Timor Oriental et au Népal. Mais la Côte d'Ivoire constitue une première car les Nations Unies n'ont pas eu la charge de l'organisation du scrutin. 

Le destin politique de Laurent Gbagbo a été scellé par un mot : certification. Au nom de ce dernier, Alassane Ouattara est le nouveau président ivoirien pour la Communauté internationale. Après plusieurs mois de résistance, Laurent Gbagbo est délogé du palais présidentiel par les Forces républicaines de Côte d'Ivoire (FRCI), proches d'Alassane Ouattara et formées par les rebelles de 2002, avec l'appui de l'armée française. Arrêté le 11 avril 2011, il est remis à la CPI le 30 novembre 2011. 

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