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Centrafrique : pourquoi les rebelles n'ont-ils pas pris la capitale ?

Après une succession de victoires, la coalition rebelle a préféré entamer des négociations plutôt que de prendre Bangui.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des soldats tchadiens près de Damara (Centrafrique), dernier verrou entre la capitale, Bangui, et les rebelles centrafricains, le 2 janvier 2013. (SIA KAMBOU / AFP)

Elle a surgi de nulle part le 10 décembre 2012. Un amalgame de plusieurs rébellions en guerre larvée contre le régime à Bangui. Mille, deux mille hommes peut-être. En Centrafrique, pays dévasté par la pauvreté et l'incurie de l’Etat, la coalition de la Séléka ("alliance" en sango, la langue nationale) prend une série de villes avec une facilité déconcertante.

En moins de trois semaines, la coalition venue du nord-est traverse de part en part un pays plus grand que la France. Devant elle, les Forces armées centrafricaines (Faca) s'évanouissent. Parfois même sans tirer un coup de feu. Et les rebelles finissent par déboucher à Sibut, à seulement 160 km de "Bangui la coquette", devenue Bangui la panique.

La Séléka, qui réclamait hier l’application d’accords de démobilisation, notamment des indemnisations, revoit alors ses ambitions à la hausse. Elle n’exclut plus de prendre la capitale. Mais aux portes de la ville, elle se ravise. Les rebelles, qui souhaitent pourtant la tête du président François Bozizé, s'immobilisent et acceptent mercredi 2 janvier de prendre part à des négociations. Pourquoi ce revirement ?

Des Centrafricains fuient Damara, à 75 km de la capitale, Bangui, le 2 janvier 2013. (SIA KAMBOU / AFP)

Parce que le rapport de force a changé

Devant l'avancée des rebelles en décembre, François Bozizé saisit vite que la situation est en train de mal tourner pour lui. Il appelle d'abord à l'aide son voisin tchadien. Le président Idriss Déby Itno l'a aidé à accéder au pouvoir en 2003. Il l'a aidé encore à reprendre une ville stratégique du nord-est du pays en 2010. Cette fois, il lui envoie un contingent qui prend position entre les rebelles et Bangui. Mais, bizarrement, ces troupes redoutables sont passives. Les amis tchadiens et congolais sont-ils en train de lâcher "Boz" ?

Il perd un peu de son sang-froid et attise le sentiment antifrançais. Le 26 décembre, des proches de son parti s'en prennent à l'ambassade de France. L'ancienne puissance coloniale refuse cependant d'intervenir. Mais elle renforce son dispositif militaire qui passe de 250 à 600 hommes. Officiellement, pour défendre les ressortissants étrangers. Officieusement, pour inviter les rebelles à y réfléchir à deux fois avant de fondre sur la capitale.

Au même moment, les pays d'Afrique centrale qui mènent une médiation s'interposent. La Force multinationale d'Afrique centrale (Fomac) se déploie à Damara, dernier verrou avant Bangui. Elle doit atteindre 760 hommes d'ici vendredi. Son chef est formel : désormais, "Bangui est sécurisée".

François Bozizé se montre encore plus prudent. Selon un porte-parole de la Séléka cité par le blog spécialisé Afrikarabia, trois mystérieux avions "gros porteurs en provenance d'Afrique du Sud" se seraient posés à Bangui. A leur bord, "un groupe de mercenaires sud-africains ainsi que du matériel", affirme-t-il.

 Parce que le régime a fait des concessions

Cerné, François Bozizé est contraint de lâcher du lest. Il assure d'abord qu'il ne modifiera pas la Constitution pour briguer un troisième mandat. Il promet aussi un gouvernement d'union nationale.

Mieux, il "est prêt à se rendre à Libreville [Gabon] ce jour-même" si ses pairs le lui demandent, et accepte un dialogue avec la rébellion "qui doit conduire à un gouvernement d'union nationale", annonce dimanche 30 décembre le président du Bénin et de l'Union africaine, Thomas Boni Yayi.

Trois jours plus tard, les rebelles annoncent qu'ils iront aux négociations à Libreville. Presque au même moment, François Bozizé relève de leurs fonctions son chef d'état-major et le ministre de la Défense. Ce dernier est son propre fils, Jean-Francis. Beaucoup le voyaient prendre sa succession et il devait obtenir prochainement le grade de général.

Parce que les rebelles sont divisés

Si la Séléka s'est rendue maîtresse du pays avec fulgurance, de nombreuses questions restent en suspens sur ce mouvement inconnu quatre mois plus tôt. On ignore précisément qui la dirige, d'où viennent ses armes, si elle dispose de soutiens à l'étranger et quelles sont ses composantes (Bangui les accuse de venir de pays de la région).

Déjà, des fractures apparaissent au sein de la coalition où fleurissent "porte-parole" et "commandants" autoproclamés. Jeudi, Armel Sayo, présenté par TV5 Monde comme le commandant militaire du Séléka, déclare qu'"il est hors de question jusqu'à preuve du contraire que la Séléka puisse participer à des discussions". Pour lui, ce serait "comme si nous avions abandonné le peuple. (...) Nous ne pouvons plus reculer." Il ajoute ne pas avoir été consulté pour d'éventuelles négociations : "Si c'était le cas, nous n'accepterions jamais. Une discussion avec le gouvernement, ce serait comme un ralliement."

Mercredi, une "source proche du dossier", s'inquiétait auprès de l'AFP : les rebelles "se retrouvent aujourd'hui avec des hommes qui ont faim, qui ont soif. Le risque, c'est qu'ils se transforment en coupeurs de route." Un autre fléau de la Centrafrique.

 

Bangui et les principales villes prises par les rebelles : 


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