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Otages au Cameroun : si on ne négocie pas, qu'est-ce qu'on fait ?

Tous les moyens seront utilisés pour libérer les Français, a assuré le ministre de la Défense, tout en excluant de négocier. Que se passe-t-il en coulisses ? Francetv info a posé la question à des anciens de la DGSE.   

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Capture d'écran d'une vidéo publiée sur YouTube, le 25 février 2013, et montrant les sept otages français enlevés au Cameroun. La libération de la famille a été confirmée le 19 avril 2013. (YOUTUBE)

"On ne négocie pas sur ces bases-là, avec ces groupes-là." Invité sur RTL, mardi 26 février, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a exclu toute négociation avec Boko Haram, le groupe islamiste qui a revendiqué dans une vidéo postée sur YouTube l'enlèvement de sept Français au Cameroun. "Nous utiliserons tous les moyens possibles pour assurer la libération des otages", promet-il pourtant. 

Posture de principe ou réalité, si elle ne négocie pas, que fait la France ? Francetv info a posé la question à d'anciens membres de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), spécialistes de ces dossiers épineux.

1Annoncer la couleur

"Pour Washington ou Moscou, c'est simple. Un, on ne négocie pas, deux, on prépare une intervention : vous nous avez pris nos compatriotes, on va s'occuper de vous. Tandis qu'en France et dans d'autres pays d'Europe occidentale, c'est plus subtil, on observe un silence de façade, rien ne filtre, et on négocie en coulisses", décrypte un ancien agent de la DGSE joint par francetv info et qui souhaite rester anonyme.

Mais la France a amorcé un virage dans sa façon d'aborder la question des otages. "Pendant trente ans, Paris a beaucoup négocié, mais depuis quelques années, et notamment depuis la mort des deux jeunes gens enlevés au Niger [Vincent Delory et Antoine de Léocour, tués au Mali en janvier 2011], il y a eu une inflexion importante de la position française", explique à francetv info Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE. "Le message qu'essaie de faire passer la France, c'est : 'Les otages seront peut-être morts, mais soyez certains que les ravisseurs aussi'", précise-t-il.

2Jauger les ravisseurs et entamer le dialogue 

Il n'empêche qu'en parallèle des prises de position officielles, les services secrets français s'activent sur le terrain afin de rassembler toutes les informations disponibles sur les kidnappeurs. Il s'agit d'abord de localiser très précisément les otages, mais aussi de trouver qui sont exactement leurs ravisseurs. "Typiquement, les services français doivent être dans une phase intense d'étude technique de toutes les données que l'on peut extraire de la vidéo mise en ligne hier", détaille Alain Chouet. Et d'expliquer : "Il faut savoir qui détient réellement les otages car, par exemple chez Boko Haram, il y a un noyau dur mais aussi nombre de cellules qui gravitent autour."

On cherche également à savoir s'il s'agit de "quelqu'un que l'on peut faire fléchir avec des arguments tels que 'votre position sera prise en compte quand viendra la reconstruction', ou bien un pur radical qui ne voudra rien entendre", raconte un autre agent du renseignement à francetv info. Il faut ensuite trouver un intermédiaire fiable pour faire passer le message.

Pour tout cela, Paris s'appuie beaucoup sur les autorités nigérianes et camerounaises. "La France n'est pas démunie comme un pays qui n'a aucune histoire dans la région, note l'agent anonyme. Elle est en position de lancer des ballons d'essai, de monter très rapidement des cellules de crise sur place. Mais, une fois qu'on a dit qu'on ne négociait pas, qu'est-ce qu'on négocie ?"

3Tenter de trouver une issue 

"Libérer les otages par la force, c'est 95% de chances d'échouer et qu'ils soient tués, pointe d'emblée Alain Chouet. Mais ne pas négocier sur le plan financier ne veut pas dire que l'on ne peut pas négocier sur d'autres choses, notamment sur le fait de ne pas massacrer les ravisseurs."

Pour un autre spécialiste, "soit les preneurs d'otages demandent de l'argent et on essaie de réduire l'addition au maximum, soit les revendications sont politiques et la marge de manœuvre est bien plus restreinte". "On peut proposer des déclarations par exemple, comme en 2004 avec les paroles apaisantes de Dominique de Villepin sur le port des signes religieux à l'école, qui était l'une des revendications des ravisseurs de Christian Chesnot et Georges Malbrunot [otages français en Irak d'août à décembre 2004]. On montre notre bonne volonté, mais ça reste très très marginal, explique cet ancien agent rompu à l'exercice. Après, c'est un jeu politique de pression sur le groupe : 'Rendez-le-nous parce que notre justice sera implacable, et si ce n'est pas la justice, ce sera autre chose'."

Mais, "en général, les ravisseurs qui habillent leurs revendications de principes religieux finissent toujours par réclamer de l'argent", rappelle Alain Chouet. "Et si vous avez un moyen absolument certain de faire libérer vos otages vivants, vous allez le faire", concède-t-il. 

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