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Boko Haram, enjeu de politique intérieure au Cameroun

Un texte anonyme provoque des remous au Cameroun. Il laisse entendre que la secte Boko Haram bénéficie de soutien au nord du pays. Ecrit par des élites du sud, le texte crie au loup sans dénoncer qui que ce soit, mais joue dangereusement avec l’unité du pays.
Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 2 min
Le président camerounais Paul Biya, le 3 avril 2014, à son arrivée à Bruxelles au sommet Europe-Afrique. (AFP/Thierry Charlier)

«Non aux complices de Boko Haram, principalement dans les régions septentrionales du Cameroun, et à leurs stratégies sournoises ou leurs tentatives d'incitation à la partition du territoire national.»
 
A en croire cet appel, l'heure est grave. Le pays semble menacé de se disloquer en deux, le nord aux mains des extrémistes de Boko Haram. Le texte en appelle donc à une guerre totale contre la secte. Surtout, il affirme que Boko Haram est déjà implanté au Cameroun.
«Une guerre totale… contre toutes les personnes qui acceptent de jouer un rôle de complices passifs ou de facilitateurs… et se constituant, de ce fait, Boko Haram du Cameroun.»
 
L’appel est anonyme ou presque, il est signé de membres du gouvernement et de parlementaires originaires de la région de la Lekié, un département qui jouxte Yaoundé. Des «élites» comme on dit ici qui ne donnent pas leur nom. Mais les journalistes camerounais ont eu vite fait de remonter à la source. Pour Camerpost.com, le texte est l’œuvre d’un seul homme, Henri Eyebe Ayissi, ministre délégué à la Présidence chargé du Contrôle supérieur de l’Etat. Un homme lâché depuis par les prétendus cosignataires !
 
Aucun nom n’est cité dans l’appel. Mais les accusations sont graves et le ton très emphatique. Les élites du nord n’ont pas tardé à réagir. Ainsi Mohaman Gabdo Yahya, chef traditionnel de Banyo, s’interroge : «Mais d’où viennent donc ces thèses du complot ourdit par des élites du grand Nord ?» Et de poursuivre : selon lui, ce qui est en jeu est la succession du président Biya.
 
Tout cela n’est pas neuf. Déjà le 11 juin 2014 dans un discours, Cavaye Yeguié Djibril, le président de l’Assemblée nationale, originaire du nord, en appelait à la délation pour se débarrasser de Boko Haram. «Beaucoup sont parmi nous, les uns tapis dans l’ombre, les autres très actifs mais dans l’hypocrisie… N’ayons pas peur, dénonçons les…»
 
Appel à une purge politique ? Les observateurs y voient surtout la rancœur d’un homme écarté des lucratives négociations des libérations d’otages. Mais ce texte a ouvert la voie.
 
Paradoxalement, Cavaye Yeguié Djibril est le premier à avoir critiqué l’appel de la Lekié. Bien éloigné de son discours du 11 juin, il dénonce des accusations «dangereuses pour la cohésion du Cameroun et préjudiciables à l’unité nationale».
 
Visiblement, l’interminable règne de l’inoxydable président Paul Biya (81 ans) commence à aiguiser les appétits politiques. Il monopolise le pouvoir depuis 31 ans. Mais jouer les Cassandre est une chose, accuser sans fondement en est une autre. L’actuelle stabilité du pays ne doit pas aveugler les politiques. Le Cameroun est vaste. Le nord, frontalier du Tchad et du Nigeria, a un style de vie bien éloigné de celui de Douala ou de Yaoundé.

Et ici, chrétiens et musulmans vivent en bonne harmonie. Mais c’était aussi le cas en République Centrafricaine. On voit ce que cela peut donner quand on jette de l'huile sur le feu.

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