Pourquoi la révolte au Burkina Faso ne concerne pas que le Burkina Faso (loin de là)
Les manifestations à Ouagadougou pourraient donner l'exemple à d'autres pays du continent africain.
Du jamais-vu à Ouagadougou. Après les rassemblements monstres de mardi – un million de personnes dans la rue, selon l'opposition –, des manifestants ont pris d'assaut l'Assemblée nationale, puis la télévision publique, dans la capitale du Burkina Faso, jeudi 30 octobre. Ils se sont aussi attaqués à la maison du frère du chef de l'Etat et ont incendié les domiciles de caciques du parti au pouvoir. Une trentaine de personnes auraient été tuées.
Dans la soirée de jeudi, l'armée a pris le pouvoir. Mais ces émeutes sanglantes contre son régime n'ont pas convaincu le président Blaise Compaoré de démissionner. En réponse, celui-ci a dit avoir "compris" le message de la population et pris "la juste mesure des fortes aspirations au changement".
Cette subite éruption de violence dans un pays réputé stable trouve en effet son origine dans la volonté du président Blaise Compaoré de réviser la Constitution afin de briguer un nouveau mandat et rester au pouvoir. Pour le Burkina Faso, ce mouvement est déjà historique, mais il pourrait aussi ébranler d'autres pays du continent. Francetv info vous explique pourquoi.
Parce que les dirigeants africains ont tendance à s'accrocher au pouvoir
Réviser la Constitution pour se représenter à la présidentielle est une pratique courante en Afrique. C'est ce qu'ont réussi à faire les présidents algérien, tchadien, ougandais ou camerounais, par exemple. Or d'autres pourraient être tentés de les imiter dans un proche avenir, comme Joseph Kabila, en République démocratique du Congo (RDC). Une élection présidentielle est programmée pour 2016 mais, déjà, son parti a fait savoir qu'il était favorable à une modification de la Constitution. Le Congo, le Burundi et le Bénin envisagent de faire de même. Dans ce contexte, le signal envoyé par les manifestants burkinabés pourrait en inspirer d'autres.
Faut-il y voir un signe ? En RDC, des responsables politiques semblent suivre la situation avec attention, remarque sur Twitter un journaliste de Jeune Afrique.
Les évènements du #Burkina suivis avec beaucoup d'attention en #RDC. Voir les tweets de @VitalKamerhe et @OlivierKamitatu #Congo
— Pierre Boisselet (@PierreBoisselet) 30 Octobre 2014
Parce que cela pourrait être le début d'un printemps subsaharien
Les événements au Burkina Faso ne sont "pas tout à fait une surprise", remarque Michel Galy, politologue et auteur de La guerre au Mali (éd. La Découverte). "On savait qu'on allait à l'épreuve de force : Blaise Compaoré voulait modifier à tout prix la Constitution et l'opposition avait dit qu'elle ne l'accepterait pas."
En outre, le pays a déjà connu des précédents. En février 2011, pendant le printemps arabe, la mort d'un élève battu par la police à Koudougou a déclenché des manifestations suivies d'émeutes et même de mutineries au sein des forces de sécurité, laissant alors penser à une possible exportation des printemps arabes au sud du Sahara. A cette période, d'autres pays avaient semblé inspirés par ces mouvements populaires, notamment au Sénégal (à l'époque dirigé par Abdoulaye Wade).
Pour Michel Galy, le parallèle avec les printemps arabes se justifie pour les événements en cours au Burkina Faso : "C'est la première fois qu'on voit une insurrection populaire en Afrique subsaharienne qui fait vraiment penser aux printemps arabes, qui reproduit un certain modèle avec un président autocrate et un système électif qui cède d'un coup." Toutefois, il met en garde sur la transition : "Reste à voir si un militaire ne remplacera pas un militaire."
Le Burkina Faso pourrait faire figure d'exemple. Le pays est symbolique pour le continent africain. C'est la nation du capitaine Thomas Sankara. Ce chantre anti-impérialiste du panafricanisme et du tiers-mondisme vient au pouvoir en 1983, à 33 ans. Le 4 aout 1984, il change le nom du pays : la Haute-Volta devient le Burkina Faso, le "pays des hommes intègres". Conduisant la "révolution burkinabée", il a entamé de grandes réformes agraires ou dans l'éducation, mais aussi pour plus d'égalité entre les sexes. Assassiné en 1987 (le rôle joué par le président Compaoré dans ce meurtre reste d'ailleurs un mystère), il est toujours adulé par la jeunesse de nombreux pays. Vingt-sept ans après sa mort, son nom revenait largement dans la bouche des manifestants, jeudi 30 octobre.
Y aura-t-il un effet domino avec des mouvements populaires décidés à empêcher que les présidents s'accrochent au pouvoir ? Impossible à dire encore, mais "plusieurs pays se trouvent dans le même cas de figure", relève Michel Galy, citant notamment la RDC, le Congo ou encore le Togo.
Parce que la région est instable
Enfin, le Burkina Faso faisait figure de pôle de stabilité dans une région troublée. Au sud-ouest, la Côte d'Ivoire doit organiser dans moins d'un an sa première élection présidentielle depuis la crise de 2010-2011 entre Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara. Au nord, le Mali n'est pas sorti de son conflit avec les touaregs et les islamistes. Quant au Niger, également frontalier, il est traversé par des groupes jihadistes venus de Libye.
Michel Galy tempère : certes, les partisans du président ivoirien, Alassane Ouattara, ont une sorte de "base arrière" au Burkina Faso et cela pourrait toucher la Côte d'Ivoire, mais il "ne pense pas que ces événements vont déstabiliser la région dans l'immédiat". Quant au risque jihadiste, si des terroristes pourraient profiter d'une éventuelle dégradation générale de la sécurité au Burkina, il estime qu'il est bien trop tôt pour s'en faire une idée.
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