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La société civile burkinabé organise la résistance contre les moustiques OGM

Les Burkinabé ont eu raison du coton transgénique. Ils sont engagés aujourd'hui dans un combat contre des moustiques génétiquement modifiés dont le lâcher a été autorisé par les autorités locales pour lutter contre le paludisme dans le pays.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
L'anophèle gambiae est l'un des vecteurs du paludisme en Afrique.  (CDC / PHANIE)

Haro sur les organismes génétiquement modifiés (OGM) au Burkina Faso. En juin 2018, plus d'un millier de manifestants dénonçaient à Ouagadougou, la capitale, l’introduction d’OGM. «Stop à toutes ces manipulations génétiques et criminelles», «Monsanto, Malaria Target et Bill Gates, hors de l'Afrique», pouvait-on lire alors sur les banderoles brandies par les manifestants.

A l’approche d’un lâcher expérimental de moustiques génétiquement modifiés par Target Malaria (Objectif paludisme), une organisation à but non lucratif, la société civile burkinabé monte au créneau. Le Collectif citoyen pour l'agro-écologie, regroupant une soixantaine d'organisations, est radicalement contre le projet, estimant que «le risque zéro n'existe pas, surtout avec des manipulations génétiques».


Le paludisme est une maladie due à un parasite, le Plasmodium, (le Plasmodium falciparum étant le plus répandu en Afrique) transmis à l'homme par la piqûre de l'anophèle femelle infectée.  (FRAUD / BSIP)


«Forçage génétique»
«Le lâcher des moustiques génétiquement modifiés comporte un risque de catastrophe sanitaire effroyable. La modification du génome d'une espèce vivante peut entraîner un changement de comportement de cette espèce. La technologie à laquelle Target Malaria veut in fine arriver est un forçage génétique qui va amener les moustiques à disséminer un trait de caractère qui va descendre et contaminer toute la descendance de l'espèce», estime le coordonnateur du Collectif, Ali Tapsoba.

Le projet Target Malaria envisage de libérer, dans les «prochains mois», dans la nature des moustiques mâles génétiquement modifiés, dont l'accouplement avec des femelles sauvages «normales» donneraient des «oeufs qui n'arrivent pas à maturité et donc ne sont pas viables», explique le Dr Abdoulaye Diabaté, chercheur principal de Target Malaria. 

«Cela permettra de réduire considérablement et en un temps rapide des populations entières de ces moustiques et contribuer à l'élimination du paludisme», assure le médecin. Il souligne que les méthodes actuelles de lutte contre le paludisme tant en amont qu'en aval (insecticides, moustiquaires et traitements pharmaceutiques en préventif ou curatif) «montrent leurs limites». Au Burkina Faso, le paludisme constitue un problème majeur de santé publique avec plus de huit millions de cas estimés en 2016 et 21.000 décès. 

«Sans un débat public»
En septembre 2018, le projet a reçu l'autorisation de l'Agence nationale de biosécurité pour procéder à des lâchers de moustiques génétiquement modifiés mâles stériles sur deux sites d'étude. En tout, «10.000 moustiques "autolimitatifs" seront lâchés dans les prochains mois pour une expérience d'observation dans les localités de Bana et Souroukoudingan», à quelques kilomètres de la capitale économique et deuxième ville du pays, Bobo-Dioulasso. 

Le Dr Diabaté assure que le projet ne présente pas de risque pour les humains, les animaux ou l'environnement. Un avis que ne partage pas le Collectif citoyen pour l'agro-écologie. Ce dernier critique les méthodes de Target Malaria qui mettraient en péril ceux qui travaillent pour le projet. Il dénonce notamment l'emploi de «captureurs, des jeunes qui doivent se laisser piquer afin de pouvoir capturer les moustiques à l'aide de tubes. Ce sont des cobayes humains».

«Les populations ignorent l'enjeu de ce projet et ses conséquences, alors que d'autres même ignorent la présence d'un tel projet dans leurs localités», affirme-t-il, jugeant «aberrant et impensable que l'Agence nationale de biosécurité donne une autorisation de lâcher de moustiques sans un débat public».

Des menaces contre la société civile
Sur place, la tension monte. Les habitants et notamment les captureurs pour qui Target Malaria est une source de revenus, ont peur qu'on supprime le projet. Des équipes de journalistes ont été repoussées par les populations alors que le Collectif citoyen pour l'agro-écologie a reçu des menaces. «Dans le village de Bana, deux à trois personnes avec des jeunes captureurs nous ont empêchés d'avoir accès au village et nous ont formellement interdit d'interroger qui que ce soit, autrement nous ferons l'objet d'agressions physiques. Dans cette atmosphère, nous avons quitté les lieux», a indiqué Ali Tapsoba. «Mais d'autres personnes nous ont joints de manière contournée pour dire leurs inquiétudes». Le Collectif va introduire un recours devant le tribunal administratif.

La société civile burkinabé s'est toujours mobilisée contre les OGM. La Coalition pour la protection du patrimoine génétique africain, aujourd'hui aux côtés du Collectif citoyen pour l'agro-écologie, était déjà en première ligne contre le coton transgénique introduit en 2008 par Monsanto dans le pays. Le Burkina Faso avait fini par y renoncer en affirmant qu'il n'était pas rentable, sa fibre devenant de plus en plus courte et étant donc vendue moins cher sur les marchés mondiaux.

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