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Burkina Faso: «La justice est un grand chantier qui doit être attaqué de front»

Le procès du dernier gouvernement de Blaise Compaoré – dont il était à la fois chef et membre en tant que ministre de la Défense – pour son implication dans la répression de l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014, prévu le 27 avril, a été reporté au 4 mai 2017. Entretien avec Smockey, cofondateur du Balai citoyen, mouvement de la société civile qui a mené la fronde contre le régime Compaoré.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le rappeur burkinabè Smockey (au centre de l'image), Serge Martin Bambara pour l'état civil, cofondateur du Balai citoyen, assiste le 31 octobre 2015 à une cérémonie marquant le premier anniversaire de la chute de l'ancien président Blaise Compaoré.  ( AFP PHOTO / AHMED OUOBA )

Qu’attendez-vous de ce procès?
C’est un passage obligé pour la justice burkinabè qui a des choses à prouver. Notamment que l’ensemble du peuple burkinabè ne s’est pas battu inutilement pour qu’il y ait séparation des pouvoirs. Il y a une grosse attente des Burkinabè en matière de justice, en ce qui concerne les crimes de sang, les crimes économiques. Il n’est jamais trop tard pour bien faire car ce procès est attendu depuis longtemps.

Que vous inspire l’absence de Blaise Compaoré exilé en Côte d’Ivoire?
Que Blaise Compaoré soit là ou pas, il faut que justice se fasse. Sa présence est censée lui garantir ses droits, s’il n’en veut pas… (il devrait être représenté par un avocat, Maître Sur, NDLR). Le peuple saura prendre ses responsabilités, la justice également. Il est évident que si Blaise Compaoré revient dans ce pays, il devra répondre des crimes dont il est accusé. La vie et les intérêts de nombreux Burkinabè sont en jeu.

Blaise Compaoré est l’un des rares dictateurs qui échappe encore à la justice de son pays. Mais ce n'est qu'une question de temps. Il n’est pas seulement opportun que Blaise Compaoré réponde de ses actes concernant les crimes et évènements des 30 et 31 octobre 2014, il y a aussi tout ce qui s’est passé avant. Vingt-sept ans de dictature ponctués par de nombreux crimes de sang: Thomas Sankara, Norbert Zongo.... Ils sont si nombreux. Avant de se réconcilier, il est important que les parents des victimes puissent mettre enfin des visages sur ces crimes-là et que les torts soient réparés.

​Par ailleurs, il y a tout un clan qui a profité du système Compaoré et qui survit grâce à de nombreux investissements dans le pays. C’est une très forte injustice pour les Burkinabè qui constatent qu’il y a encore des malfrats – si vous me passez l'expression – , des détourneurs de deniers publics qui ont commis des crimes économiques, qui ont investi dans le pays, qui sont actionnaires d’une grande majorité des sociétés de la place et et qui continuent à toucher des rentes...

Des Burkinabè, réunis devant un bâtiment du gouvernement à Ouagadougou, en attente le 31 octobre 2014 de l'annonce d'un dirigeant par intérim après la chute de l'ancien président Blaise Compaoré.  (Theo Renaut/AP/Sipa)

Le système Compaoré subsiste toujours...
Le système Compaoré arrive, d’une manière ou d’une autre, à perdurer parce que je crois que l’on a une justice qui devrait se bouger davantage. Même s'il est louable qu'elle dise qu'elle ne souhaite pas manœuvrer parce qu'elle veut agir en toute légalité, ce qui est tout à son honneur. Cependant, cela fait déjà deux ans... les gens ont besoin de résultats, de voir que ça bouge!

Souvenez-vous que la transition avait essuyé des critiques parce qu’elle avait tenté de saisir les comptes des dignitaires en fuite. Une démarche qui avait provoqué un tollé au motif que si la loi n’était pas respectée, cela pouvait se retourner contre le pays. Le gouvernement de transition avait été finalement obligé de suspendre sa décision pour le plus grand malheur des Burkinabè.

Aujourd’hui, je pense que le sujet peut être de nouveau être mis sur le tapis. La question est toujours d’actualité. Le Burkina a besoin d’une relance économique, d’infrastructures… Ces milliards de francs CFA qui ont été détournés pourraient être investis à bon escient. Il est grand temps de lancer la justice burkinabè sur ces chantiers-là ! 
 
L'actuel président burkinabé, Roch Christian Kaboré, est un ancien dignitaire du régime Compaoré même s'il avait pris ses distances. Pensez-vous que ce procès, le premier grand procès de l'ère post-Compaoré, est un test pour l’exécutif et la justice burkinabè, à l’aune d’un autre procès que l'on imagine proche, celui des personnes impliquées dans l’assassinat de Thomas Sankara?
C’est une justice qui compte pour les Burkinabè parce qu'ils ont consenti à un sacrifice les 30 et 31 octobre 2014. Les victimes attendent encore aujourd’hui que justice se fasse. C’est un procès symbolique et il ne faut pas qu’il soit bâclé. Sans être un expert en droit, il peut faire jurisprudence, restaurer quelque peu l’autorité de l’Etat et amener les citoyens burkibabè à avoir plus confiance en leur justice. Ou produire exactement l’effet inverse.

Nous sommes une marmite en ébullition par ici. Depuis l’insurrection des 30 et 31 octobre, depuis la résistance au putsch et cette difficile année de transition, les Burkinabè n'ont plus peur de mouiller le maillot. Il appartient à ce gouvernement de toujours s’en rappeler, de faire en sorte que les promesses essentielles soient tenues. Et la justice sociale en fait partie, la justice tout court est un grand chantier qui doit être attaqué de front.

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