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L'aventure de Songhaï, ferme bio au Bénin

Songhaï est le nom d’une ferme bio fondée en 1985 à Porto-Novo au Bénin par un prêtre dominicain américain d’origine nigériane, Godfrey Nzamujo. Au départ, elle ne dépassait pas un ha. Aujourd’hui, elle s’étend sur 24 ha. Désignée «centre d’excellence pour l’agriculture» par l’ONU, l’exploitation s’est développée au Nigeria, au Liberia et au Sierre Leone. Récit.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le fondateur et directeur de Songhaï, Godfrey Nzamujo, sur les lieux de l'exploitation qu'il a fondée en 1985. (AFP - Charles Placide Tossou)

En fondant Songhaï (du nom de l'empire qui, à son apogée au XVIe, régnait sur une partie de l'Afrique de l'Ouest) il y a près de 30 ans, Godfrey Nzamujo avait un projet ambitieux : lutter contre la pauvreté et l’exode rural sur le continent noir. Aujourd’hui, un bâton à la main et un panama sur la tête, il parcourt d'un pas alerte les allées de la ferme bio, qui s’étend sur 24 ha. Une ferme qui est devenue un projet-pilote pour le reste de l'Afrique.
 
Dès l'aube, une armée d'employés et d'apprentis s'active à la production de denrées agricoles. Mais aussi à leur transformation et à leur distribution. Poussent ainsi fruits et légumes, riz, élevage de poissons, de porcs et de volailles… Avec un principe : «Rien ne se perd, tout se transforme», pour préserver l'environnement.

Les fientes de poules sont transformées en bio-gaz, qui alimente les cuisines du centre. Les pièces détachées des engins agricoles sont réutilisées pour la fabrication d'ingénieuses machines. Les eaux usées sont filtrées grâce à des jacinthes.

Désigné «centre d'excellence pour l'agriculture» par les Nations Unies, Songhaï s'est développé au Nigeria voisin, au Liberia et en Sierra Leone. Au total, l’exploitation a pour projet de s'implanter dans 16 pays d'Afrique de l'Ouest et centrale.
 
Augmenter la production sans l’aide de la chimie
Godfrey Nzamujo est confronté à un vrai casse-tête. Il entend aider les Africains à augmenter leurs rendements agricoles à travers des techniques simples. Mais sans avoir recours à des engrais ni à des pesticides, souvent utilisés sur le continent. Ceci afin d'abaisser les coûts de production. Tout en préservant l'environnement.
 
Le dominicain élevé en Californie dit avoir été très choqué par les images terrifiantes de famine en Afrique, à la télévision, au début des années 80. Il est donc parti à la découverte du continent, pour voir de quelle façon il pouvait mettre à profit sa formation universitaire en agronomie, économie et informatique, et lutter contre la pauvreté à son niveau.

Après avoir visité plusieurs pays, il atterrit au Bénin. Le gouvernement de ce pays (alors présidé par Mathieu Kérékou), marxiste à l'époque, lui cède un lopin de terre. «C'était un terrain abandonné, tué par l'engrais chimique et la pratique de l'agriculture conventionnelle. Ca ne marchait pas », raconte-t-il. «On était sept jeunes. On a creusé des puits, on a arrosé de nos mains... Et en pleine période de sécheresse, cette surface grise est devenue verte», ajoute-t-il.

Son secret: imiter la nature, valoriser les «bonnes bactéries» présentes dans le sol pour maximiser la production sans avoir recours à la chimie. Aujourd’hui, les rendements de Songhaï parlent d'eux-mêmes. La ferme produit sept tonnes de riz par hectare trois fois par an. Contre, au début, une tonne de riz par hectare et par an.µ

Un homme transporte des noix de coco dans une brouette dans la ferme de Songhaï le 30 janvier 2014. (AFP - Charles Placide Tossou)
              
Aujourd'hui, «Songhaï fait face au triple défi de l'Afrique aujourd'hui: la pauvreté, l'environnement et l'emploi des jeunes», explique le père Nzamujo. Dans le système qu'il a imaginé, détaillé dans son livre, Songhaï. Quand l'Afrique relève la tête (Cerf), la production locale est transformée et distribuée sur place. Ce qui permet de contribuer à lutter contre la pauvreté en créant une activité économique.

400 élèves-fermiers
Sur place, des confitures mijotent dans de gros chaudrons, pendant que les poulets rôtissent. L'huile de soja, le riz, les jus de fruit sont empaquetés pour être vendus dans la boutique ou servis dans le restaurant de l’installation. Ce centre presque autarcique dispose également d’un point d'accès internet et d’une banque. Ce qui évite aux résidents de devoir se rendre en ville.
 
Dans le même temps, 400 élèves-fermiers sont formés chaque année, sélectionnés sur concours. Ils  bénéficient d'une formation de 18 mois entièrement gratuite.

Paul Okou, 25 ans, est l'un d'entre eux. Ce fils d'agriculteurs de Parakou (nord du Bénin) aimerait reprendre l'activité de ses parents. Mais il voudrait travailler de façon plus rentable. «Mes parents utilisent des méthodes archaïques traditionnelles, alors qu'à Songhaï, on apprend la méthode moderne, mais artisanale!», s'enthousiasme-t-il. «Ce qu'on faisait en deux jours, maintenant, on le fait en deux heures», ajoute-t-il.

Les élèves-fermiers sont ensuite envoyés dans des villages où ils mettent en application ce qu'ils ont appris. Une fois en charge d'une exploitation, ils intègrent le réseau Songhaï et sont suivis régulièrement.
 
Songhaï accueille aussi des stagiaires qui financent leur propre formation, à hauteur de 350 euros pour six mois, comme Abua Eucharia Nchinor, Nigériane d’une trentenaire d’années, et Kemajou Nathanaël, un ancien commercial camerounais de 39 ans. Tous deux ont le projet d'ouvrir une ferme bio dans leurs pays respectifs. Et si Songhai était un «laboratoire pour l’Afrique», comme l’écrit son site internet… Une Afrique qui «relève la tête».

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