Succession de Bouteflika : l'Algérie dans le flou
Officiellement, l’état de santé d'Abdelaziz Bouteflika s’est «nettement amélioré» depuis son hospitalisation au Val-de-Grâce, le 27 avril 2013. Le président algérien avait déjà été soigné dans cet hôpital militaire parisien fin 2005 pour, selon Alger, «un ulcère hémorragique à l'estomac». Des notes diplomatiques confidentielles américaines, parvenues aux médias en 2012, laissent entendre qu’il a en fait survécu à un cancer.
Depuis, la moindre absence de M. Bouteflika, devenu chef de l'Etat en 1999, réélu en avril 2004 puis en avril 2009, nourrit les spéculations sur sa santé, mettant en doute les versions officielles. «Avant son mini-AVC, le président était sûr d’être reconduit pour un quatrième mandat», assure le politologue Rachid Tlemçani. Selon lui, «l’annonce officielle de son malaise -fait inhabituel dans les traditions du régime algérien- est destinée à préparer l’opinion publique à la succession de Bouteflika».
Transition démocratique
«S'il achève son 3e mandat et renonce à en briguer un nouveau, l’Algérie va entrer de plain-pied dans la transition démocratique», analyse le politologue. Dans ce cas, «le champ politique sera ouvert pour la première fois dans l’histoire de l’Algérie. Le cabinet noir ne sera plus en mesure de choisir un candidat (du régime). L’armée va se diviser en plusieurs groupes», ajoute-t-il.
Lors de son premier mandat en avril 1999, soutenu par l’armée et le Front de libération nationale (FLN, alors parti unique), Bouteflika s‘était retrouvé seul en lice après le retrait de ses six adversaires, convaincus qu’il y aurait des fraudes.
«Boutef», comme l'appellent ses compatriotes, a été réélu en 2009 grâce à un amendement de la Constitution qui limitait à deux le nombre de mandats présidentiels. L’opposition, qui a toujours crié à la fraude électorale, avait alors contesté le taux de participation officiel (74,54%), selon elle beaucoup plus faible.
Peser sur le choix de son successeur
«S’il décide de rester jusqu’à la fin de son mandat, M. Bouteflika voudrait peser sur le choix de son successeur. Mais je ne pense pas que les responsables algériens soient prêts à tenir des élections présidentielles dans une totale transparence. Les choses ne sont pas encore claires», affirme pour sa part le politologue et ancien officier de l’armée, Ahmed Adimi.
Depuis l’indépendance de l’Algérie en 1962, l’institution militaire a toujours choisi le chef de l'Etat : Ahmed Ben Balla (1962-1965), Houari Boumediène (1965-1978), Chadli Bendjedid (1978-1992), Mohamed Boudiaf, ramené de son exil marocain pour être assassiné six mois plus tard en juin 1992, Liamine Zeroual (1994-1999) puis Abdelaziz Bouteflika.
Comme ses prédécesseurs, M. Bouteflika est issu de la génération de la guerre d’indépendance contre la France (1954-1962). Mais dans l’Algérie d’aujourd’hui, où plus de 70% des 36 millions d’habitants ont moins de 30 ans, peu se souviennent de cette page de l'Histoire.
Nouvelle génération de dirigeants
«Nous devons passer le flambeau à une nouvelle génération de dirigeants, l’époque de la légitimité révolutionnaire est révolue», affirme Hichem Aboud, essayiste et rédacteur en chef de Mon Journal. Dans un système politique opaque où le président cohabite avec une puissante élite liée aux forces de sécurité, les «décideurs» ne verraient pas forcément d’un mauvais œil l’ascension de personnalités plus jeunes, selon lui.
Mais tout changement de direction brutal paraît exclu dans un pays traumatisé par l’insurrection islamiste et la guerre civile des années1990 qui a fait 200.000 morts. «La majorité des Algériens souhaitent une transition en douceur et dans la transparence», reconnaît Geoff Porter, directeur du cabinet North Africa Risk Consulting.
«Ils veulent sans nul doute un candidat qui a de la vitalité et de l’énergie pour s’attaquer aux difficiles problèmes de l’Algérie (…) mais ils veulent aussi quelqu’un qui réforme le système politique de manière progressive, plutôt qu’en le bouleversant entièrement », explique-t-il.
La population est consciente, selon M. Porter, que seul un homme issu du sérail, disposant d’un capital politique et des alliances et réseaux nécessaires, pourra apporter le changement au sein du système.
Un seul candidat déclaré
Pour l'instant, l'ancien Premier ministre Ahmed Benbitour, 67 ans, est le seul candidat déclaré à la présidentielle. D'autres pourraient se dévoiler à condition qu'Abdelaziz Bouteflika affiche clairement ses intentions.
Parmi les candidats potentiels figurent l'actuel Premier ministre Abdelmalek Sellal, un technocrate de 65 ans considéré comme un homme de consensus, et un autre ancien chef de gouvernement, Mouloud Hamrouche, 70 ans, un réformiste dont les parents ont été tués pendant la guerre d'indépendance. Il pourrait obtenir le soutien de Hocine Aït Ahmed, icône de la révolution.
Dominée depuis l'indépendance par le Front de libération nationale (FLN), l'Algérie compte aujourd'hui une centaine de petites formations politiques dont le faible poids des dirigeants ne leur donne aucune chance d'être présents à l'élection.
Si le chef de l'Etat est dans l'incapacité de terminer son mandat, la Constitution prévoit que le président du Sénat, Abdelkader Bensalah, le remplace jusqu'à la tenue d'élections dans un délai de soixante jours.
Dans un discours prononcé le 8 mai 2012, à Sétif, M. Bouteflika avait laissé entendre, qu'il passerait le flambeau. «Ma génération est finie, avait-il dit. Chacun doit savoir se respecter. Cinquante ans après, le rôle des moudjahidines [anciens combattants, NDLR] est terminé. Ceux qui ont libéré le pays vous disent : aujourd'hui, nous n'en pouvons plus.»
Considéré comme le principal artisan de la réconciliation nationale après dix ans de guerre civile en Algérie, le président algérien avait dû affronter une contestation populaire menaçant le pouvoir, comme les émeutes en 2011 contre la vie chère.
Une nouvelle Constitution
Le 15 avril 2011, au moment des révoltes du «Printemps arabe», le chef de l'Etat sortait d'un long mutisme pour annoncer son intention d'introduire de profondes réformes politiques à travers l'élaboration d'une nouvelle Constitution.
Les enjeux politiques de cette nouvelle Constitution tournent essentiellement autour de la nature du régime : présidentiel, comme le souhaite le courant nationaliste, ou parlementaire, comme le réclament les islamistes et une partie de l'opposition. Une solution intermédiaire pourrait toutefois être retenue : un régime semi-parlementaire où l'exécutif serait bicéphale, avec un Premier ministre aux pouvoirs élargis mais susceptible d'être destitué par le Parlement.
L'intauration du poste de vice-président est également envisagée. Celui-ci serait élu en même temps que le chef de l'État avec lequel il constituerait, comme aux États-Unis, un «ticket» électoral. Si cette hyptothèse était retenue, elle pourrait donner une indication sur les intentions présidentielles de M. Bouteflika. Reste à savoir quand et si la nouvelle Constitution sera votée.
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