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Algérie. Les vraies raisons de la "repentance" de Hollande

Le président de la République avait déjà manifesté sa volonté de reconnaître la "sanglante répression" d'octobre 1961. Mais sa déclaration obéit aussi à des impératifs économiques et diplomatiques.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
A Asnières (Hauts-de-Seine), François Hollande accompagné du maire de la ville, le 17 octobre 2011, lors d'un hommage aux victimes de la répression du 17 octobre 1961, durant la guerre d'Algérie. (PATRICK KOVARIK / AFP)

AFRIQUE - Un petit communiqué le 17 octobre. Juste trois phrases, même pas prononcées par le président lui-même. "Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l'indépendance ont été tués lors d'une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. Cinquante et un ans après cette tragédie, je rends hommage à la mémoire des victimes."

Les passions se sont immédiatement réveillées. "Culpabilité permanente" dans une France "en dépression", a soupiré François Fillon à droite. Une déclaration "révélatrice du manque de courage de la France" face à son histoire coloniale, a déploré à l'inverse le président de la Maison de l'union méditerranéenne, Arezki Dahmani.

Le Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, a mollement salué "les bonnes intentions" de la France. Arrêt sur images n'a guère trouvé plus d'exaltation dans la presse algérienne. Le quotidien "quasi officiel El Moudjahid" n'a consacré "qu'un petit article au milieu de la dernière page". Le journal Liberté a lui titré sur "le petit geste de François Hollande", rapporte Courrier international. Et d'écrire que "pour assumer son passé colonial, la France, celle des socialistes particulièrement, semble avoir trouvé la formule. Saucissonner cette longue période tragique en épisodes reconnus et célébrés solennellement".

Cette déclaration n'est pas forcément profitable à François Hollande. Pourquoi le président de la République s'y est-il risqué ?

Une relation particulière avec l'Algérie

La déclaration de François Hollande n'est pas vraiment une surprise. Onze ans plus tôt, le nouveau maire de Paris, Bertrand Delanoë, avait posé une plaque commémorative sur le pont Saint-Michel. Et le 17 octobre 2011, en pleine campagne, "lorsque (François Hollande) a été investi comme candidat à la présidentielle, son premier geste a été de se rendre précisément sur le pont de Clichy, là où des manifestants algériens avaient été jetés dans la Seine, pour rendre un hommage à ces Algériens. C'était son premier geste politique dans sa campagne présidentielle en 2011", a rappelé l'historien Benjamin Stora.

Libération ajoute encore que "François Hollande entretient avec l'Algérie une relation particulière, car intime. Elève à l'ENA, c'est à Alger qu'il réalise son stage de première année". Le ministre délégué aux Anciens combattants, Kader Arif, confie au quotidien que le président "en garde un excellent souvenir". Il s'est depuis rendu à plusieurs reprises en Algérie, où il est très apprécié.

Enfin, comme le remarque Akram Belkaïd sur son blog, ce geste lui permet de rompre avec son prédécesseur, Nicolas Sarkozy, rétif à toute reconnaissance. Et aussi de faire un "geste de réconciliation qui s'adresse aux Français d'origine algérienne", explique le journaliste et essayiste. "C'est un peu plus compliqué de l'autre côté de la Méditerranée. Cela sera bien sûr considéré comme un geste positif mais en réalité on ne peut pas parler d'une revendication récurrente."

L'espoir de retombées économiques

Si elle ne déclenche pas l'enthousiasme en Algérie, cette déclaration s'inscrit pourtant dans une perspective de rapprochement avec ce grand pays francophone. Depuis l'élection du chef de l'Etat, Laurent Fabius (Affaires étrangères), Manuel Valls (Intérieur) et Nicole Bricq (Commerce extérieur, comme le relate Libération) ont déjà fait le déplacement à Alger en attendant que François Hollande ne s'y rende lui-même avant la fin de l'année.

Le Figaro affirme que, dans l'entourage du président, "tout en restant prudent, on n'écarte pas l'idée d'un traité d'amitié. Le retour d'un vieux projet auquel Jacques Chirac tenait", torpillé par "le vote en 2005 de la loi en faveur des rapatriés", qui comprenait le volet sur le "rôle positif" de la colonisation, par la suite abrogé. Depuis, l'Algérie réclame la repentance et la déclaration du président pourrait en être un préambule.

Ce projet de traité visait à engager les deux Etats dans un "partenariat d'exception" comparable à celui qui a rapproché l'Allemagne et la France en 1963. A la clé, un accès aux importantes ressources pétrolières de l'Algérie, très courtisées. Lors de sa visite, Laurent Fabius a d'ailleurs évoqué un futur "partenariat de grande dimension".

 La volonté de s'entendre sur le Nord-Mali

Le geste de François Hollande doit aussi permettre de se rapprocher de l'Algérie, acteur incontournable dans le processus de libération des otages et dans la résolution de la crise malienne. Or depuis que le Nord-Mali, qui partage 1 300 km de frontières avec l'Algérie, est tombé sous la coupe des islamistes, Alger privilégie une solution politique à une intervention étrangère aux confins du Sahara. Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) n'est qu'une émanation du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), créé lors de la guerre civile algérienne, et les autorités algériennes ne souhaitent pas le voir repasser la frontière.

La position algérienne est compliquée depuis l'enlèvement de diplomates algériens par des islamistes. Le pays se serait d'ailleurs lancé dans des négociations parallèles avec les islamistes touareg d'Ansar Dine qui contrôlent le Nord-Mali, explique une source gouvernementale au site algérien TSA, repris par Libération. "L'Algérie a initié un processus de dialogue entre Maliens. Pour nous, le plus important, c'est d'isoler les groupes maliens qui ont des revendications légitimes des narcotrafiquants du Mujao et des terroristes d’Aqmi. Ces derniers doivent être combattus sans relâche." 

Dans un autre article, TSA croit savoir qu'Alger est irrité par la "volonté française d'encourager une intervention militaire au Nord-Mali". Une source diplomatique juge que les motivations françaises sont dictées par "le souci de protéger les intérêts économiques (...) de la France dans la région" et évoque des "considérations franco-françaises de politique intérieure, dans le sillage du débat hexagonal sur le leadership du nouvel exécutif français sur la scène internationale". Et d'ajouter que l'Algérie, qui a ses "propres intérêts de sécurité", ne doit pas être considérée "comme simple maillon d'un schéma de sécurité (...) conclu ailleurs et selon un agenda qui n'est pas forcément le sien". La déclaration de François Hollande pourrait bien avoir pour but de décrisper les Algériens.

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