Afrique : flux financiers illicites, l’hémorragie continue
Membre éminent de la société civile gabonaise, Marc Ona Essangui est aussi coordonateur de la coalition «Publiez Ce Que Vous Payez».
L'Union africaine a entrepris en juin 2015 une campagne en Afrique de l’Ouest pour sensibiliser les Etats et les populations sur les ravages des flux financiers illicites en provenance d'Afrique. Le manque à gagner représente 50 milliards de dollars par an. C’est plus que l’aide publique au développement. Que pensez-vous de cette initiative?
Je suis toujours sceptique à toute initiative de cette nature venant de l'Union africaine. Cette institution ne représente que le club des chefs d'Etats qui la compose et n'a jamais été la voix des Africains qui sont gagnés au quotidien par la pauvreté. Le Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique, NDLR) et d'autres initiatives lancées à grand renfort de publicité en sont une illustration.
Ces chefs d'Etats sont à l'origine de cette criminalité financière et de la corruption qui facilite le pillage des ressources africaines à leur profit. Et au profit des réseaux mafieux occidentaux et asiatiques qui les maintiennent au pouvoir.
Vous êtes parmi ceux qui pensent que les chefs d'Etat africains sont les premiers responsables de cette hémorragie?
Ce n'est qu'une évidence. Les procès et autres dossiers comme les biens mal acquis en sont de parfaites illustrations. Les dictateurs africains confondent les finances publiques et leurs propres tirelires et peuvent à volonté effectuer des transactions financières et des acquisitions de biens immobiliers et autres objets de luxe sans craindre la réaction des institutions qui sont à leurs ordres.
La justice des Etats africains est aussi corrompue que les potentats au pouvoir, pas pour le bien des populations mais pour les appauvrir. Un peuple pauvre et mal éduqué est corvéable à souhait et manipulable pour se maintenir au pouvoir. L'argent qui aurait pu servir à améliorer les conditions de vie des populations est détourné vers les paradis fiscaux avec la complicité de ces hommes politiques qui disposent de réseaux en Occident et ailleurs.
Le Gabon en est une parfaite illustration avec le pillage des ressources du pays par la famille Bongo au pouvoir depuis 50 ans appuyée par les réseaux affairistes français de gauche comme de droite.
Comment peut-on combattre ce fléau qui est encouragé par la corruption qui gangrène l'Afrique? L'évasion fiscale et les activités criminelles qui prolifèrent ont des ramifications à travers le monde?
L'Union Africaine aurait dû commencer par imposer un Etat de droit. Un Etat de droit est synonyme d'institutions républicaines, des institutions qui constituent des contre-pouvoir et une justice au service, non pas d'un homme fort, mais du peuple souverain. Une justice qui sanctionne tous les citoyens de la même manière. Ce n'est pas sorcier. Les juges qui ne diront pas le droit seront eux aussi sanctionnés. Le corrupteur comme le corrompu sont tous coupables devant la loi.
Ne pas faire la promotion de la démocratie et se lancer dans des initiatives qui sont vouées à l'échec démontre le manque de cohérence de l'Union Africaine.
Quel doit être le rôle des sociétés civiles africaines dans ce combat?
Le rôle de la société civile, c'est d'abord de créer des opinions publiques africaines fortes. D'informer les populations sur ces dérives. Il faut rompre avec la passivité des citoyens africains pour reconquérir le pouvoir du peuple. Certains peuples se réveillent et d'autres doivent leur emboîter le pas. Le peuple burkinabè en est un parfait exemple. Celui du Sénégal aussi. Nous sommes des lanceurs d'alertes et nous ne devons pas nous plier devant des pressions et autres tentatives de corruption et intimidations.
Qu'attendez-vous des partenaires du développement pour arrêter l'hémorragie?
S'ils ne sont pas complices comme cela se dit partout en Afrique, ils devraient accompagner les peuples vers plus de démocratie. La démocratie est une valeur universelle qui a fait ses preuves en terme de développement partout dans le monde. Ce n'est pas un luxe pour l'Afrique. C'est une nécessité.
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