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Omar el-Béchir catalyse les tensions entre la CPI et l'Union africaine

Le refus des autorités sud-africaines d'exécuter l'interdiction de sortie du territoire prononcée par la justice à l'encontre du président soudanais Omar el-Béchir relance le débat sur le rôle de la Cour pénale internationale (CPI). Notamment pour les Africains. Le chef d'Etat fait l'objet d'un mandat d'arrêt international lancé par l'institution judiciaire.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le président soudanais Omar el-Béchir (à gauche, en costume bleu) salué par son homologue zimbabwéen Robert Mugarbe (de dos, en noir), président en exercice de l'Union africaine (UA), lors du 25e sommet de l'organisation panafricaine le 14 juin 2015. Le chef d'Etat soudanais s'est rendu en Afrique du Sud alors qu'il fait l'objet d'un mandat d'arrêt international lancé par la Cour pénale internationale (CPI). (AFP PHOTO / GIANLUIGI GUERCIA)

Le président Omar el-Béchir est reparti libre. Encore une fois, en dépit de l’interdiction faite cette fois-ci par un tribunal de Pretoria de quitter le territoire après sa participation au 25e sommet de l’Union africaine (UA), qui s'est tenu à Johannesbourg (7 au 15 juin 2015), en Afrique du Sud. La justice souhaitait ainsi faire exécuter le mandat d’arrêt international qui pèse sur le chef d’Etat soudanais accusé de génocide au Darfour.

«Nous sommes déçus qu'il n'ait pas été interpellé», a confié James Stewart, procureur adjoint de la Cour pénale internationale (CPI) à l'AFP, le 15 juin 2015. «Notre position a toujours été que l'obligation incombant à l'Afrique du Sud est claire, elle devait l'arrêter.»

Quelques jours avant la tenue du sommet, Me Sidiki Kaba, l'actuel ministre sénégalais de la Justice, président l'Assemblée des Etats Parties au Statut de Rome qui institue la CPI, rappelait dans un communiqué daté du 13 juin 2015 «que deux mandats d'arrêt délivrés par la Cour à (son) encontre (n'avaient) toujours pas été exécutés». Aussi, invitait-il l'Afrique du Sud «(à) ne ménager aucun effort pour veiller à (leur) exécution si les informations reçues sont confirmées». Le tribunal de Pretoria a, pour sa part, indiqué que l’Etat sud-africain «avait enfreint la Constitution» en n’arrêtant pas Omar el-Béchir.

La procureure de la Cour pénale internationale Fatou Bensouda (à gauche) et son adjoint James Stewart, le 14 juin 2014, avant la première comparution de l'Ivoirien Charles Blé Goudé.
 (MICHAEL KOOREN / ANP MAG / ANP/AFP)


«La CPI signifie quelque chose»
Au sein de l'institution judiciaire, l’évènement n'est pourtant pas vécu comme un échec. «C'est en effet la première fois que la justice d'un pays tente d'empêcher un chef d'Etat en exercice de quitter son territoire en réponse à une demande de la CPI», note James Stewart. Le procureur adjoint estime, selon l’AFP, que «cela démontre qu'un mandat d'arrêt de la CPI signifie quelque chose». Mais pour qui ?

Les Sud-Africains ont démontré qu’ils avaient une justice indépendante. Mais la Nation arc-en-ciel, dont l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Nkosazana Dlamini Zuma, assure la présidence de la commission de l’UA, se retrouve entre le marteau et l'enclume.  La puissance politique africaine, que l'Afrique du Sud veut être, n’aurait pu se permettre de livrer le président soudanais à la CPI: «Il (Jacob Zuma) m'a dit que le président el-Béchir ne serait pas arrêté puisqu'il ne permettrait pas à la police de l'arrêter ici», a admis Robert Mugabe, le président zimbabwéen qui assure la présidence en exercice de l'organisation panafricaine.
 
Refus de coopérer
La ligne de fracture qui traverse aujourd’hui l’Afrique du Sud est celle qui traverse tout un continent. Le Tchad, en 2010, et le Nigeria, en 2013, n'avaient pas non plus exécuté le mandat d'arrêt de la CPI contre Omar el-Béchir, suivant ainsi la doctrine de l'Union africaine. D'autant qu'il participait, à chaque fois, à un sommet de l'organisation. 

Cette dernière avait clairement manifesté sa défiance vis-à-vis de l'institution lors d’un sommet extraordinaire convoqué après que le président kényan Uhuru Kenyatta a été cité à comparaître devant la Cour. C’était la première fois, depuis sa création en 2002, qu’un chef d’Etat en exercice était entendu devant la juridiction internationale. Le président sud-africain Jacob Zuma avait alors publiquement soutenu la position de l'UA.
Pour l'organisation, «aucune poursuite ne doit être engagée devant un tribunal international contre un chef d’Etat ou de gouvernement en exercice ou toute autre personne agissant ou habilitée à agir en cette qualité durant son mandat» afin de «sauvegarder l’ordre constitutionnel, la stabilité et l’intégrité des Etats membres.»

Lors du dernier sommet de l'organisation panafricaine, Robert Mugabe a de nouveau fustigé l'institution. «Nous ne sommes pas au siège de la CPI ici et nous n’en voulons pas dans la région», a-t-il dit, se faisant le porte-parole de ses homologues africains tout en soulignant que son propre pays «n’avait pas signé le Traité de la CPI». Revenant sur l'idée d'un retrait des Africains de la Cour, il a néanmoins noté que ce n'était pas l'Union africaine mais ses Etats membres qui avaient ratifié le Traité de Rome. 

Se tourner vers la Cour africaine de justice des droits de l’Homme et des peuples
L’avocat burkinabé Bénéwendé Sankara, qui défend la famille de l’ancien président Thomas Sankara, est aussi pour une justice des Africains par les Africains. Interrogé le 16 juin 2015 par Géopolis sur les critiques faites à la CPI, il déclarait: «Je suis panafricaniste. La Cour africaine de justice des droits de l’Homme et des peuples fait déjà un très bon travail. Je n’ai pas compris pourquoi les Africains n’ont pas mis plus l’accent sur cette cour qui a des compétences et qui demande simplement à être soutenue.»

L'avocat de la famille de l'ancien président assassiné Thomas Sankara, Bénéwendé Sankara, à Paris le 16 juin 2015 (FG/Géopolis)

«Au niveau de l’Union africaine, a poursuivi le futur candidat du front sankariste à la présidentielle d'octobre dans son pays, j’ai l’impression qu’on se réveille surtout avec le président zimbabwéen qui menace que l’Afrique se retire. Ceux qui ont été à la base du Traité de Rome (…) ne l’ont pas signé (Les Etats-Unis l’ont signé puis se sont rétractés). Ce qui a fait dire à beaucoup d’Africains que c’est fait encore pour les nègres (34 Etats africains sur les 54 du continent ont ratifié le Traite de Rome)».

Et de conclure: «Je pense qu’on peut renforcer la Cour africaine, lui donner toutes les compétences nécessaires et ce sera moins humiliant. Il y va de notre dignité africaine. Miser sur la Cour africaine des droits de l'Homme et des peuples, c'est aussi l'une des options choisies par l'UA pour supplanter la CPI. Pour l’avocat burkinabè, «derrière l’instrument international, se cache aussi des intérêts occidentaux. C’est une question politique extrêmement importante», selon lui.
L'ensemble des affaires traitées par la Cour pénale internationale (CPI) : capture d'écran d'une carte interactive.  (Source : CPI )

Que faire pour que les dirigeants africains ne se sentent pas exclusivement visés par la CPI? Réponse de Sidiki Kaba à Jeune Afrique. La cour «doit réorienter son action, écouter les récriminations des Africains. Il ne faut pas que l’Afrique, qui est le continent le plus représenté à La Haye, quitte la Cour. Le bureau du procureur doit étendre ses poursuites aux autres régions du monde. Il faut que la CPI ouvre des enquêtes partout où il y a eu des crimes qui relèvent de ses compétences, et pas seulement en Afrique. A partir de ce moment-là, la critique de l’équité géographique tombera d’elle-même.»


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