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Les mines sud-africaines, miroir d'une économie à la dérive

L’Afrique du Sud est assise sur un tas d’or et de multiples autres minerais, qui assurent près de 70% de ses revenus à l’exportation. Mais aujourd’hui, le modèle est remis en cause : depuis deux mois, de nombreux bassins miniers sont touchés par des grèves sauvages, dont la répression est meurtrière. Une situation révélatrice des difficultés que traverse le pays.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Dans la mine de platine de Phokeng (nord-ouest de Johannesburg) le 19 janvier 2011 (AFP - PABALLO THEKISO)

Le sous-sol sud-africain recèle quelque… soixante minerais différents. Il compte ainsi parmi les premiers producteurs mondiaux de platine (près de 90% des réserves), de chrome (73%), de manganèse (75%). Sans parler des diamants et du charbon (5e producteur mondial).

Le secteur minier est évidemment l’une des principales ressources du pays et le moteur de son économie. Selon les chiffres des autorités locales, il compte pour près de 18% du PIB et fait travailler un million de personnes (en comptant les emplois qui en découlent). Mais depuis quelques années, le système patine.

Exemple caractéristique : l’or. En 2006, l’Afrique du Sud était le premier producteur de métal jaune (avec 40 % des réserves mondiales). Mais en six ans, il a rétrogradé en cinquième position, loin derrière la Chine, désormais numéro un. Motifs : des gisements de plus en plus profonds, donc de plus en plus coûteux. Dans le même temps, les groupes exploitants doivent faire face à la hausse des coûts de l'électricité. De plus, des appels à la nationalisation des mines, émanant notamment de la gauche de l'African National Congress (ANC), le parti au pouvoir, freinent les investissements. 

Une situation économique morose
Cette difficulté du secteur aurifère intervient alors que depuis une décennie, l’économie sud-africaine tourne au ralenti : ces dernières années, sa croissance annuelle n’a atteint péniblement que 2% contre 6% en moyenne pour ses voisins. Pour ne rien arranger, l’agence Standard and Poor’s a baissé d’un cran en octobre la note du pays. Quant au taux de chômage, il s’élève officiellement à 25%, alors qu’il serait probablement plus près de 40%, selon certains experts.

Dans un bidonville à Marikana le 15 septembre 2012 (AFP - ALEXANDER JOE)
 
Cette situation morose déborde sur le plan social. Depuis le mois d’août, les bassins miniers ont été touchés par des grèves sauvages qui se sont étendues comme une traînée de poudre. Alors que leurs pertes s’accumulent, les propriétaires (privés) des mines ont licencié des milliers d’ouvriers qui vivent très souvent dans des conditions misérables.

De leur côté, les autorités ont réagi avec une extrême brutalité. Le 16 août, la police, équipée de véhicules blindés, a ouvert le feu sur des grévistes à la mine de platine de Marikana, propriété du groupe britannique Lonmin. Les affrontements ont fait au moins 44 morts (dont 34 tués par les forces de l’ordre) et 78 blessés. 270 autres personnes ont été arrêtées en vertu d’une loi remontant aux années sombres de l’apartheid (ségrégation raciale).

La nouvelle du massacre, le pire depuis la chute du régime raciste en 1994, a créé un choc dans l’opinion. «Nous sommes (…) consternés par cette violence insensée», a réagi le président Jacob Zuma. «L’Etat sud-africain est en guerre avec ses pauvres», a commenté le site sud-africain africanscene.

Enrichissement
La grève à la mine Lonmin «ne portait pas seulement sur les salaires. Elle exprimait aussi une protestation contre les insuffisances du syndicat officiel des mineurs». Auquel on reproche souvent, à tort ou à raison, d’être plus proche des milieux d’affaires que de ses propres membres… L’ancien dirigeant de cette organisation, Cyril Ramaphosa, grande figure de la lutte anti-apartheid, est connu pour être «un homme d’affaires comblé», propriétaire des 145 restaurants McDonald’s sud-africains. Il est un peu le symbole caricatural d’une élite, arrivée au pouvoir avec l’ANC, dont il se dit qu’elle a le plus profité de la chute de l’apartheid.

Un mineur en grève en train d'appeler ses collègues à une manifestation à Carletonville (nord-ouest de Johannesburg) (22-10-2012) (AFP - ALEXANDER JOE )
 
Pour africanscene, la situation à Marikana «n’est que la manifestation (…) de l’injustice et de l’exploitation» dans le pays. Dans ce contexte, le mouvement social atteint l’ANC, à qui l’on reproche souvent l’incompétence de ses cadres et la corruption qui ronge la société. D’autant que le gouvernement n’a pas forcément réussi, comme il le promettait, à transformer la vie des millions de Sud-Africains pauvres.

Certes, il n’est pas resté inactif. Selon les chiffres officiels, 1,4 million de logements ont ainsi été construits depuis 1994. Un système d’allocations a également été mis en place. Mais 40% de la population reste classée comme «pauvre», selon les critères officiels.

«Caractère colonial et raciste»
Au plus haut sommet du pouvoir sud-africain, on estime que l’économie doit opérer un changement radical. «L'héritage structurel du colonialisme (...) reste profondément ancré. Ceci se reflète dans les structures et le caractère colonial, raciste et sexiste de notre économie», a déclaré le président Jacob Zuma à l’issue d’une conférence de son parti en juin.

Une manière de ne pas se laisser déborder par les radicaux issus de ses rangs ? L’ex-dirigeant de la Ligue de la jeunesse, Julius Malema, exclu de l’ANC et condamné en justice pour avoir chanté dans ses meetings Shoot the boer (Tuez le fermier blanc), a été très présent lors du mouvement social. «Nous n’allons pas nous retirer. Nous ne nous rendrons que quand umlungu [le Blanc, en zoulou, NDLR] nous donnera notre argent», a notamment lancé le jeune tribun le 23 août, lors de la cérémonie en mémoire des victimes de Marikana.

Les raisons de la grève à Marikana

 

France 24, «posté» le 11 octobre 2012

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