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Brésil, Chine, Russie... La corruption casse-t-elle les BRICS?

Lula en garde à vue. L’ex président brésilien arrêté dans le cadre d’une enquête pour corruption. Scandales chez les oligarques russes. Mise au pas de la politique des cadeaux en Chine. Nouvelles accusations contre Zuma en Afrique du Sud. Les «BRICS» sont en pleine crise après des années de croissance record. Sans compter le développement de la corruption, noté par Transparency International.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
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Réunion des BRIC en 2010. A l'époque tout était rose pour les Bric. (Dmitry Astakhov / RIA Novosti)

Au moment où les BRICS connaissent de grosses difficultés économiques, l’heure est aux affaires de corruption dans ces pays qui ont connu pendant quelque 15 ans des croissances étonnantes. Au Brésil, c’est l’ex président Lula qui est pris dans une tempête judiciaire en liaison avec des affaires de corruption dans son parti politique. En Chine, le pouvoir central a lancé une grande campagne, très politique, contre la corruption. «Les procureurs chinois ont ouvert des enquêtes à l'encontre de 54.249 fonctionnaires, comprenant à la fois des responsables de haut rang, surnommés "tigres", et des fonctionnaires de rang inférieur, ou "mouches", soupçonnés d'être impliqués dans 40.834 affaires de corruption en 2015 », raconte le Quotidien du peuple. Résultat, dans le monde, l'industrie du luxe voit ses ventes payer la politique «anti cadeaux» décidée par Pekin.

Les exemples pourraient se multiplier parmi les autres Etats membres des BRICS dans lesquels pouvoirs publics et intérêts privés sont souvent entremélés. Dernier exemple en date, les problèmes rencontrés par le président Zuma pris dans le scandale du financement de sa résidence privée.

Une émergence réussie
Il y a quinze ans, un économiste de Goldman Sachs lançait l'acronyme «BRIC» pour désigner le Brésil, la Russie, l'Inde et la Chine. Après, le groupe s’est enrichi d’un S (South Africa, l’Afrique du Sud). «Entre 2001 et 2014, leur PIB a été multiplié par 6,3, alors que celui du G6 (G7 sans le Canada, NDLR)  l'a été par 1,7. Aujourd'hui, si le G6 représente encore 48 % de l'économie mondiale, les BRIC, qui ne pesaient que 10 % en 2001, en représentent 25 % », rappelle l’économiste Jean-Marc Daniel.

La croissance de ces pays a été fulgurante. Une croissance en grande partie dopée par les matières premières (dont le pétrole) et tirée notamment par le boom économique chinois, dévoreur d'énergie, d'acier... Mais, après ces folles années, le ralentissement est brutal pour certains de ces pays qui regroupent la moitié de la population mondiale.


Une crise générale
En 2015, le PIB du Brésil a reculé de 4%, celui de la Russie de 3,7%. La croissance de la Chine plafonne après des chiffres stratosphériques, le tout accompagné d’une chute de leurs monnaies. Seule l'Inde semble continuer à afficher une croissance record, mais elle part d'un point très bas. 

La Chine est l'une des causes de cette chute. En 2010, son expansion qui semblait sans fin se grippe. «L’expansion économique mondiale était alimentée en grande partie par la frénésie chinoise de construction et d’industrialisation à tout-va. Celle-ci entraînait une demande massive des matières premières les plus diverses, que la Chine se procurait tant auprès des BRICS que de pays tiers. Le boom chinois s’était construit sur les politiques de crédit hasardeuses et précaires des nombreuses banques régionales qui avaient vu le jour dans le pays, sur fond de corruption omniprésente»,  note Immanuel Wallerstein, chercheur à l'Université de Yale.

Quand le gouvernement chinois voulut assainir la situation, le taux de croissance chuta sensiblement, tout en restant à un niveau relativement élevé. Ces ajustements chinois ont eu des répercussions immédiates à l’étranger, et notamment chez les autres pays des BRICS, qui se sont révélés économiquement fragiles et donc politiquement vulnérables. L’effondrement mondial des prix du pétrole ajoutant à la crise, les BRICS ont vu, l’un après l’autre et sous des formes diverses, leur situation se dégrader.

La corruption dans le monde. Plus le pays est en rouge, plus le niveau de corruption est important, selon l'ONG. (Transparency International)

Corruption : «tous les BRICS sont concernés»
La corruption est loin de pouvoir expliquer la crise actuelle des BRICS malgré les scandales qui touchent certains de ces pays. Surtout que si la corruption existe bien, l’organisation Transparency international classe les Etats membres dans le milieu du tableau des pays les plus corrompus. «Tous les BRICS sont concernés et ont des scores en dessous de 50 dans notre index», a souligné Robin Hodess, directrice de recherche au sein de l'ONG basée à Berlin. (Le classement va de 0 à 100, du plus corrompu au plus vertueux). La Russie est de loin le moins bien classé (119e), derrière la Chine (83e), l'Inde (76e) et l'Afrique du Sud (61e). Quant au Brésil, il est a perdu 5 points et 7 places à la 76e. 

Plus grave sans doute, la croissance mal maîtrisée de la Chine coute aujourd'hui très cher. L'Etat central a du mal à contrôler les investissements anarchiques des années précédentes. On ne compte plus les villes fantômes dans l'empire du milieu. Un phénomène qui ne touche pas que la Chine. En Inde, «l’énormité de la ville fantôme de Jaypee peut rivaliser avec certaines des célèbres villes vides de Chine», racontait le Financial Times à propos d’une gigantesque construction fantôme en Inde. Et le journal d’ajouter  «En cause, les réglementations imprévisibles, des entités puissantes, liées au gouvernement, qui souvent ne respectent pas les termes des contrats, et autres problèmes structurels».

Pour l'économiste Jean-Marc Daniel, ces pays sont sortis de leur isolement par des moyens officiellement décriés explique-t-il dans Les Echos: «le Brésil en instaurant un système agro-industriel fondé sur la corruption, la Russie en instaurant un système rentier d'exploitation de ses ressources en hydrocarbures fondé sur la corruption, la Chine en instaurant un système industriel exportateur fondé sur la corruption». 

Si on ajoute l'insécurité juridique à la corruption, pour les partenaires de ces pays le tableau devient assez sombre. «Les problèmes majeurs inhérents à une activité commerciale dans les pays BRIC sont, du point de vue des entreprises, le manque de sécurité juridique et la corruption. Le manque de sécurité juridique est considéré comme un risque élevé par une entreprise sur quatre et la corruption, par une entreprise sur cinq», estime une étude publiée en Suisse.

Luiz Inacio Lula  da Silva, ancien ouvrier tourneur, président du Brésil de 2003 à 2011, essuie des larmes devant ses partisans le 4 mars 2016 après le début de ses ennuis avec la justice. Il aurait sorti 30 millions de la pauvreté pensant sa présidence. (NELSON ALMEIDA / AFP)

Une critique politique ?
Cette situation n'est sans doute pas nouvelle dans l'histoire économique. Tous les pays ne se sont ils pas développés de cette façon ? Les scandales qui ont marqué l'histoire de France sont là pour le rappeler. «L'un des plus grands dangers de la croissance dans les pays en développement est [...] le capitalisme de connivence [qui] crée des oligarchies et ralentit la croissance», affirmait récemment le gouverneur de la banque centrale indienne Raghuram Rajan dénonçant la collusion entre les élites politique, économique et financière.

A côté de la corruption et des affaires clairement illégales, la Banque Mondiale dénonçait, elle, «certaines entreprises (qui) utilisent des stratégies élaborées afin de ne pas payer de taxes dans les pays où elles sont présentes». «C'est une forme de corruption qui touche les populations pauvres», ajoutait le président de la Banque mondiale (BM), Jim Yong Kim.

Pour le journaliste brésilien indépendant, Pepe Escobar, chroniqueur sur la chaîne russe RT « il y a complot contre les pays du BRICS. Il n'est donc pas surprenant, écrit-il, que les trois puissances-clés des BRICS aient subi, depuis un certain temps, des attaques simultanées sur de nombreux fronts ». Le journaliste ajoutait dans un blog de l'Observateur: « Fin 2014, il était déjà manifeste que la meute habituelle porterait sans retenue tous les coups possibles pour déstabiliser la septième économie mondiale (le Brésil, NDLR), avec pour objectif un bon vieux changement de régime au moyen d'un méchant cocktail d'impasse politique («l'ingouvernabilité») poussant l'économie à s'enliser», ajoutait il, n’hésitant pas à parler de «coup dEtat en douceur»

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